Le ministre iranien des Affaires étrangères rencontre son homologue américain,
à Genève, le 14 janvier.
Les discours officiels américains comme iraniens affirment que les négociations sur le nucléaire dans lesquelles les deux pays sont engagés se limitent au dossier nucléaire. Mais la menace de Daech en est aussi un aspect important. Car l’existence de Daech a apparemment renforcé la position de l’Iran dans ces négociations avec Washington, vu l’implication politique de Téhéran en Syrie et en Iraq. «
La présence de Daech a changé l’équation », dit Haïdar Al-Abadi, premier ministre iraqien lors d’un entretien avec
Al-Hayat le mois dernier, en parlant des relations entre l’Iran et les Etats-Unis.
Les analystes s’accordent sur l’influence de cet enjeu sur les positions de force des deux pays. Selon Moustapha Al-Labbad, spécialiste des affaires iraniennes: « Les négociations sur le nucléaire de l’Iran avec les six grands pays sont liées aux événements en Iraq, car l’intersection entre les intérêts de l’Iran et ceux des Etats-Unis est une vérité géopolitique qui pousse les deux parties à s’entendre sur le dossier nucléaire ». Il explique que cette entente est basée sur le rétrécissement du programme nucléaire iranien et sur l’idée de ne pas le militariser. En échange, les Etats-Unis reconnaissent le rôle de l’Iran dans la région.
L’Iran influence déjà la politique des pays de la région, notamment à travers l’appui aux milices chiites qui soutiennent Assad en Syrie et la forte présence en Iraq, ainsi que les relations stratégiques avec le Liban et les liens idéologiques avec les Houthis au Yémen. Mohamad Al-Menchawi, écrivain et journaliste basé à Washington, qui suit étroitement les négociations nucléaires, estime que les Etats-Unis et l’Iran ont maintenant un ennemi commun— Daech— qui les pousse à aboutir à un accord au plus vite, afin de se consacrer au combat contre cet ennemi.
Mohammed Mohsen Abo El-Nour, spécialiste des affaires iraniennes, pense, lui, que « sans doute, la position de l’Iran s’est affaiblie dans les négociations parce que Téhéran est sûr que Daech est un outil de pression pour l’amener à accepter les termes des Etats-Unis ». Il explique que l’Iran comprend qu’il doit limiter l’activité de l’Etat islamique d’abord, avant de dicter ses conditions lors des négociations, mais qu’il ne veut pas s’engager dans une guerre contre une organisation dont l’issue est inconnue. Selon le professeur de sciences politiques, Ahmad Abd-Rabbo, l’Iran ne veut pas combatte l’EI, « car la présence de Daech renforce en effet sa position et détourne les yeux de l’Occident de Bachar en Syrie et donc sert l’Iran, alors pourquoi le détruirait-il ? »
Pourtant, l’Iran a bombardé des positions de Daech en Iraq, mais toujours de façon limitée. L’Iran aurait mené des raids aériens fin novembre dans la ville de Diali sur les frontières de l’Iraq avec l’Iran. Les Etats-Unis ont annoncé que des raids aériens iraniens ont visé des cibles de Daech le 3 décembre, information pourtant niée par Téhéran. Selon Al-Labbad, les raids aériens menés par l’Iran ont un aspect « symbolique », car les avions utilisés dans l’offensive sont peu nombreux et anciens, et manquent d’efficacité, mais « suffisent pour envoyer un message politique qui dit que l’Iran est impliqué dans la guerre contre l’EI, et peut donc se montrer comme partenaire de l’Occident dans sa guerre ». Il ajoute que cette intervention iranienne limitée est expliquée par le fait que Téhéran veut tester les réactions régionales et internationales avant l’expansion de ses activités militaires. Or, dès la première semaine des attaques de Daech en Iraq, l’Iran a envoyé des armes à travers un pont aérien à Baghdad et au Kurdistan, même avant l’implication des Etats-Unis dans le conflit.
Abo El-Nour estime aussi que l’Iran contribue avec des troupes sur le terrain qui maîtrisent le combat des guérillas. Selon le premier ministre iraqien, l’assistance militaire iranienne est sous forme de conseillers en Iraq. Ainsi, la contribution militaire de l’Iran s’effectue loin de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis. Selon Abo El-Nour, il en est ainsi par méfiance des Etats-Unis et de la coalition. « L’Iran perçoit cette organisation, l’Etat islamique, avec beaucoup de méfiance, et la pensée stratégique de Téhéran table sur le fait que Daech est une création américaine ou au moins est soutenue et financée par les Etats-Unis », explique-t-il. « La participation de l’Iran à la guerre contre Daech est bien accueillie par les Américains, mais sans coordination annoncée », précise Al-Labbad. Car comme l’explique Abo El-Nour, les Etats-Unis ne veulent pas perdre leurs alliés arabes du Golfe qui se méfient d’un rôle plus large de l’Iran en Iraq et au Moyen-Orient, tandis que l’Iran craint, lui, une coalition qui peut rappeler la guerre entre l’Iran et l’Iraq en 1980-1988 où des pays arabes, notamment les pays du Golfe, et occidentaux comme les Etats-Unis et la France, ont soutenu l’Iraq. « L’Iran éprouve encore une appréhension et une crainte de cette situation passée », disait le premier ministre iraqien dans son entretien, en ajoutant pourtant : « Nous ne pouvons pas permettre l’utilisation du territoire iraqien contre l’Iran, puisque la Coalition internationale soutient l’Iraq contre l’Etat islamique et non contre un pays voisin ». Abo El-Nour croit néanmoins que la présence de forces aériennes de façon si poussées dans la région menace, avant tout, la sécurité de l’Iran.
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