Al-ahram hebdo : A l’en croire les titres de vos livres, on a l’impression que la question environnementale est en très grande partie politique ...
Hervé Kempf* : La situation de l’environnement découle de la façon dont se déroule l’activité économique. Et celle-ci dépend des rapports sociaux, notamment des rapports entre les classes sociales et des décisions politiques. Donc, le lien est extrêmement fort entre la situation de l’environnement et les décisions politiques.
Pour mon ouvrage Comment les riches détruisent la planète ?, il s’agissait d’expliquer comment les structures sociales, notamment les très grandes inégalités qui existent dans nos pays, ont un impact sur la situation écologique et la situation de la crise écologique. Après ce premier travail, j’ai voulu aller plus loin sur la question économique et le capitalisme. C’est le capitalisme qui provoque la destruction de l’environnement.
Dans un troisième temps, il s’est agi de creuser l’aspect politique de cette question et de percevoir qu’en fait, les pays européens ou d’Amérique du Nord ne sont plus vraiment des démocraties, car le capitalisme mène vers une situation oligarchique où il n’y a plus vraiment de démocratie. Cette situation nuit à l’écologie, parce que les classes dominantes ne veulent pas vraiment résoudre les questions environnementales.
— Qui sont ces « riches qui détruisent la planète » ? S’agit-il des pays riches ?
— Il ne s’agit pas des pays pauvres ou riches, mais des riches au sein de toutes les sociétés. Dans les pays développés, il y a une évolution depuis 30 ans qui conduit vers une inégalité de plus en plus grande. Les classes très réduites qui ont énormément d’argent acquièrent davantage de pouvoir politique et médiatique et développent une politique économique qui détruit l’environnement. C’est d’abord un raisonnement sur l’inégalité a u sein des pays riches.
— Lors du colloque à l’Institut français, un intervenant a abordé l’idée d’un complot en parlant du changement climatique. A quel point pensez-vous que les questions environnementales sont instrumentalisées pour des fins politiques ?
— Je ne pense pas qu’elles le soient. C’est plutôt l’inverse. La question écologique est la première question politique de ce début du XXIe siècle. Il est indispensable de savoir comment, avec une Terre très peuplée et avec un niveau d’abondance matérielle énorme, et donc une pression sur l’environnement extrêmement forte, on va pouvoir conserver l’équilibre de la nature, et pour permettre aux sociétés de rester à peu près « en paix ». De ce point de vue, l’environnement n’est pas instrumentalisé. La crise de l’environnement est absolument certaine et devrait au contraire être plus politisée au sens d’être portée dans la discussion politique et dans les décisions politiques.
— En 2007, vous analysiez cette crise selon trois points indissociables: changements climatiques, disparition de la biodiversité et pollution générale des écosystèmes. Y a-t-il eu depuis des changements ? Et qu’en est-il de la volonté des régimes politiques de résoudre ces problèmes ?
— Il y a une dégradation dans ces trois domaines, alors que les émissions de gaz à effet de serre continuent à croître de manière importante, que l’érosion de la biodiversité se poursuit à un rythme alarmant et que, malheureusement, la pollution des grands écosystèmes elle aussi se poursuit. On est dans une situation d’aggravation. Tous les indicateurs sont là et malheureusement, on sent que les classes dominantes ne veulent pas réellement les considérer comme une situation prioritaire et ne veulent pas agir véritablement.
— Dans votre dernier ouvrage L’Oligarchie ça suffit, vive la démocratie, qui se base sur le modèle français, vous abordez une manipulation des médias par les grands groupes industriels. On a l’impression d’être très proche de ce qui se passe en Egypte et dans nombre de pays arabes...
— Je ne connais pas suffisamment la situation des pays arabes et je ne peux pas commenter. Mais je sais que, même dans les pays européens et en Amérique du Nord, les médias sont très largement contrôlés par les grandes puissances financières ou par les grands industriels qui en contrôlent le contenu. Donc, on peut sans doute penser que les pays arabes ne dérogent pas à cette manière de faire. Ce que dit un média est le reflet de ce que pense son propriétaire.
— De 1998 à 2013, vous étiez responsable des sujets sur l’environnement à Le Monde. Pourquoi êtes-vous parti ?
— En 2013, ce journal où je travaillais depuis 15 ans m’a empêché de suivre un sujet que je suivais depuis longtemps et sur lequel j’étais tombé sur des informations originales. C’était à propos d’un aéroport au nord de Nantes. On m’a demandé de ne plus suivre ce sujet parce que ça prenait une importance nationale et politique. J’ai donc perdu ma liberté d’expression. Après, il y a eu un bras de fer, il y a eu un différend au terme duquel j’ai quitté Le Monde.
* Hervé Kempf est journaliste, spécialiste des questions environnementales les plus réputées. Depuis près de 20 ans, il travaille à faire reconnaître l’écologie comme un secteur d’informations à part entière, et a réalisé nombre de dossiers sur le changement climatique, le nucléaire, la biodiversité ou les OGM.
Après avoir fondé Reporterre, il a travaillé à Courrier International, à La Recherche et à Le Monde. Il est l’auteur de Comment les riches détruisent la planète ? (Seuil, 2007), Pour sauver la planète, sortez du capitalisme (Seuil, 2009) et L’Oligarchie, ça suffit, vive la démocratie (Seuil, 2011)
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