Un chirurgien accusé d’avoir pratiqué une excision ayant provoqué la mort d’une adolescente de 13 ans a été condamné, le 26 janvier, à 2 ans de prison ferme par la Cour d’appel de Mansoura, dans le gouvernorat de Daqahliya, pour homicide involontaire avec une peine supplémentaire de 3 mois pour «
pratique de l’excision ».
Le tribunal a également ordonné la fermeture, pendant un an, de la clinique dans laquelle a été pratiquée l’opération. Quant au père de la victime, Ibrahim Al-Batae, il a été condamné à 3 mois de prison avec sursis pour avoir conduit sa fille à la clinique, afin qu’elle y subisse une excision.
L’incident remonte à juin 2013, lorsqu’un chirurgien, Raslan Fadl, pratique une excision sur une jeune fille de 13 ans, Soheir Al-Batae, qui a trouvé la mort durant l’opération. En première instance, le tribunal correctionnel avait acquitté le chirurgien, en novembre dernier, après avoir proposé à la famille de la victime 50000 L.E. en guise de compensation.
Mais l’affaire a été prise en main par les défenseurs des droits des femmes et des associations qui combattent l’excision et qui considéraient ce verdict « honteux ».
« Nous nous sommes fortement mobilisées, refusant ce verdict. Il était de notre devoir de mener la bataille judiciaire jusqu’au bout. Nous avons réussi alors à convaincre le procureur général de faire appel, vu que nous n’avons pas le droit direct de le faire après la réconciliation du chirurgien avec la famille de la victime », raconte Soad Abou-Deyah, membre de l’ONG Egalité Maintenant, qui s’est chargée du dossier.
Un cas de jurisprudence
C’est la première fois qu’un médecin est condamné pour pratique de l’excision et que le père de la jeune fille est jugé. « C’est une évolution en matière de lutte contre les violences exercées sur les femmes. C’est le fruit d’une longue bataille menée par la société civile. Ce jugement constitue une réelle victoire », se félicite Nihad Aboul-Qomsane, avocate et présidente du Centre égyptien pour les droits des femmes.
Le jugement a été d’ailleurs prononcé deux semaines avant la Journée mondiale contre les mutilations génitales féminines, prévue le 6 février. « C’est un message au monde que l’Egypte dénonce cette pratique. C’est un premier pas dans la lutte contre ce phénomène », ajoute l’activiste.
Il n’existe pas de loi spécifique sur la pratique de l’excision en Egypte. La loi 12 de 1996, relative à l’enfance, interdit cependant cette pratique, mais ne mentionne aucune sanction. Un décret gouvernemental de 1996 interdit aussi cette pratique, sauf en cas de nécessité médicale, dans les hôpitaux publics et privés.
Après la mort de Bodour Chaker, une jeune fille de 11 ans en 2007, lors d’une excision dans le gouvernorat de Minya, le Parlement a approuvé un amendement de la loi 12/1996 sur l’enfance prévoyant une peine de prison de 3 mois à 2 ans et d’une d’amende de 1000 à 5000 L.E. En pratique, cette loi n’est qu’exceptionnellement appliquée, lorsque l’opération tourne mal.
Une pratique courante
L’Egypte est signataire de plusieurs traités internationaux et régionaux relatifs aux droits des femmes qui interdisent l’excision. Toutefois, cette pratique reste fréquente dans les zones rurales, parmi les musulmans et les coptes. Beaucoup de parents pensent que l’excision est essentielle pour préserver la chasteté de leurs filles.
Les filles sont opérées avant l’âge de 15 ans, en secret, par des sages-femmes traditionnelles ou des médecins dans des cliniques privées, ou parfois à domicile.
Les chiffres relatifs à l’excision sont alarmants. Selon un rapport publié par l’Unicef en août 2014, 27,2 millions de femmes sont excisées en Egypte. Une autre étude faite par l’Organisation mondiale de la santé montre que le Nord de l’Egypte est moins touché (25%) que le Sud, où dans certaines zones rurales autour de Louqsor le taux s’élève à 99%.
L’avocat Gamal Eid, directeur du Réseau arabe d’informations sur les droits de l’homme, évoque le besoin de lois plus fermes, des peines plus dures et un contrôle plus stricte de la part du ministère de la Santé sur les cliniques privées. « Le gouvernement doit renforcer son contrôle pour que la loi soit appliquée. La plupart des cas ne sont pas examinés par la justice qu’après un drame », souligne-t-il.
Parallèlement aux lois, il faut intensifier les campagnes de sensibilisation aux dangers de l’excision. L’ancien Parlement islamiste, dominé par les Frères musulmans et les salafistes, avait négligé les droits de la femme. L’affaire avait atteint son apogée lorsque le Conseil national de la femme a porté plainte auprès du procureur général après le lancement d’un convoi médical par le Parti Liberté et justice pour se rendre dans les villages de Minya, en Haute-Egypte, pour pratiquer des excisions gratuites.
Prise de conscience
Aujourd’hui, le gouvernement et la société civile déploient des efforts pour renforcer la sensibilisation. Un plan quinquennal vient d’être lancé par le Conseil national de la population pour réduire le taux à 15%. Ce programme vise à lancer des campagnes de sensibilisation dans les cliniques du « planning familial » situées dans tout le pays, ainsi qu’à diffuser des spots publicitaires dans les médias baptisées « Ça suffit l’excision des filles ».
La Coalition contre l’excision, formée en 2003 d’une centaine d’organisations égyptiennes de défense des droits de la femme et de l’enfant, mène aussi, pour sa part, des campagnes dans plusieurs régions urbaines, rurales et populaires.
« Si les familles pensent que l’excision est un devoir religieux, la loi ne réglera jamais le problème. Ça ne sert à rien aussi de donner des arguments médicaux. Il faut mobiliser les chefs religieux musulmans et chrétiens dans les campagnes de sensibilisation pour parler avec les parents et les chefs des villages, en s’attaquant aux comportements et aux fausses croyances dans les communautés, pour changer leurs mentalités », précise Aboul-Qomsane, tout en qualifiant ce travail de « changement de comportements ». La bataille n’est pas facile.
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