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« La marge de manoeuvre de Morsi est étroite »

Propos recueillis par May Al-Maghrabi, Mardi, 20 novembre 2012

Adel Soliman, directeur du Centre d'étude des perspectives d'avenir, estime que l'Egypte est dans une situation délicate, tiraillée entre son opinion publique et le désir de garder de bonnes relations avec Tel-Aviv et Washington.

Adel Soliman
Adel Soliman

Al-Ahram Hebdo : Quels sont, selon vous, les objectifs de l’opération militaire sur Gaza ?

Adel Soliman : L’opération en cours était planifiée depuis déjà quelque temps. Les roquettes tirées sur Israël ne sont qu’un prétexte. Israël veut dire aux Palestiniens que sa stratégie n’a pas changé et qu’il continuera à mettre à profit les dissensions inter-palestiniennes et coupera la route à toute tentative de réconciliation.

Le message le plus important, adressé au Hamas qui est proche des Frères musulmans, est qu’Israël ne permettra pas au groupe palestinien de se consolider après l’arrivée des islamistes au pouvoir en Egypte. Et il y a un dernier message adressé aux pays du Printemps arabe et qui consiste à leur dire : Ne pensez pas que les mutations en cours dans vos pays aient un impact sur la stratégie d’Israël dans la région ou sur ses relations privilégiées avec Washington.

— Cette offensive est probablement motivée par des considérations électorales. En 2008, Israël avait aussi attaqué Gaza avant les élections ...

— C’est sans doute vrai. L’opération est liée au calendrier des législatives israéliennes anticipées prévues en janvier. Face à la crise économique qui sévit en Israël, le gouvernement de Benyamin Netanyahu a opté pour la stratégie de la tension. Il s’agit d’un moyen pour inciter les Israéliens à voter pour les candidats du Likoud, qui cherche à se poser comme le parti capable de s’opposer aux roquettes du Hamas.

— L’opération ne vise-t-elle pas aussi à entraver les efforts de l’Autorité palestinienne pour devenir un Etat non membre aux Nations-Unies ?

— L’insistance des Palestiniens sur cette question inquiète Israël qui multiplie les efforts pour barrer la route à toute reconnaissance internationale de la Palestine. En marginalisant le gouvernement de Mahmoud Abbas et en amplifiant le danger du Hamas sur le processus de paix, Israël fragilise les chances de reconnaissance d’un Etat palestinien aux Nations-Unies.

— Vous parliez du message israélien aux pays du Printemps arabe, est-ce un moyen de tester le nouveau régime égyptien?

— Oui. Mais ce n’est qu’un but secondaire parce qu’Israël, comme les Etats-Unis, a déjà reçu des assurances claires de la part des islamistes avant et après leur arrivée au pouvoir. Je crois qu’Israël ne se préoccupe guère du sort du traité de paix, ni de ses relations avec l’Egypte, car il possède des relations stratégiques très fortes avec les Etats-Unis.

Israël sait que l’Egypte ne compromettra pas cette paix surtout avec les crises politiques et économiques qui frappent le pays. L’escalade de la violence dans la bande de Gaza est un test pour le nouveau président égyptien qui fait l’objet de pressions internationales pour sauvegarder la paix avec Israël, et fait face à des appels de la rue pour adopter une attitude plus sévère envers Tel-Aviv.

— Mais la réaction de l’Egypte a été plus virulente qu’auparavant, est-ce l’indice d’un revirement de la diplomatie égyptienne ?

— Le président Morsi dans son allocution a affirmé que le rappel de l’ambassadeur égyptien de Tel-Aviv n’est que le début d’une escalade et que l’Egypte est prête à aller plus loin si l’agression contre Gaza se poursuit. En condamnant les bombardements israéliens, Morsi a coupé court à toute critique et a voulu surtout tourner la page des années Moubarak, marquées par une passivité notable.

Néanmoins, le pouvoir égyptien est tiraillé entre la rue, qui sympathise avec la cause palestinienne, le souci de préserver les relations avec Washington et surtout le souci de donner une image responsable du pays. Et c’est ce qui explique cette contradiction qui caractérise les discours officiels.

Alors que Morsi s’est dit prêt à soutenir Gaza coûte que coûte, son premier ministre, Hicham Qandil, lors de sa visite à Gaza, s’est contenté de dire que l’Egypte oeuvre pour l’accalmie sans parler d’escalade. Cette dualité du discours officiel prouve que l’Egypte ne s’impliquera pas militairement dans le conflit et ne pourra que durcir le ton.

— Le rappel de l’ambassadeur égyptien a-t-il été fait au bon moment ?

— Je pense que Morsi ne devait pas commencer par cette carte, qui est le plus important moyen de pression. En soi, le rappel de l’ambassadeur ne signifie pas que la politique égyptienne envers Israël a changé. Le seul changement, c’est que la réaction a été plus rapide et plus ferme. Que ce soit le rappel de l’ambassadeur, l’ouverture du terminal de Rafah ou les contacts tous azimuts engagés avec la communauté internationale, il s’agissait de mesures pour absorber la colère populaire.

La marge de manoeuvre de Mohamad Morsi est limitée. Le président veut se poser en homme raisonnable et en médiateur. Il joue la carte de la légalité et du droit. C’est pourquoi s’il veut rester un médiateur important dans la région, il doit donner des gages de bonne conduite à une communauté internationale méfiante. Tiraillé entre sa volonté de suivre la rue et son désir de garder de bonnes relations avec les Etats-Unis et son voisin israélien, le pouvoir égyptien est dans une situation délicate.

— Avec la présence de djihadistes dans le Sinaï, la situation ne risque-t-elle pas de dégénérer si l’agression contre Gaza se poursuit ?

— Si une guerre avec Israël n’est pas à craindre, une instabilité à la frontière est tout à fait envisageable. Le Sinaï connaît une recrudescence du terrorisme et la situation est presque incontrôlable. Des attaques contre Israël, lancées du Sinaï, peuvent pousser l’Egypte ou Israël à agir, ce qui apportera une autre dimension au conflit. C’est pourquoi l’Egypte doit s’attaquer fermement à la destruction des tunnels par lesquels s’infiltrent ces djihadistes.

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