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Constitution : Importante vague de démissions

May Atta, Lundi, 19 novembre 2012

Les Eglises égyptiennes ont claqué la porte suivies par plus de 30 membres issus de formations diverses. Son avenir semble plus que jamais compromis, malgré les assurances des islamistes à vouloir continuer le travail.

importante
L'assemblée constituante continue ses travaux sans les forces libérales.

Plusieurs courants politiques ont officiellement annoncé leur retrait de l’assemblée constituante qui peine depuis des mois à rédiger une nouvelle Constitution. Lors d’une réunion dimanche au siège du parti néo-Wafd au Caire, les représentants de ces courants — 30 membres sur les 100 de l’assemblée — ont dénoncé la négligence des amendements dont ils ont proposé l’introduction suite à une première version de la Constitution, rendue publique il y a près de deux semaines. Ils protestaient aussi contre l’accélération du processus de l’élaboration de la Constitution, dont l’achèvement est prévu fin novembre, malgré les divergences qui minent l’assemblée.
Outre ces membres qui ont claqué la porte, plusieurs autres formations politiques non représentées à l’assemblée constituante ont participé à la réunion de dimanche. L’idée est de faire un front commun pour contrer « l’hégémonie des Frères musulmans et des salafistes » sur le processus constitutionnel.
Etaient présents deux ex-candidats à la présidentielle, Amr Moussa et Hamdine Sabbahi, ainsi que le président du parti Ghad Al-Sawra, Ayman Nour, et celui du parti Egyptien social-démocrate, Mohamad Aboul-Ghar, entre autres activistes et politiciens.
Accusant l’assemblée constituante de « tourner le dos à la révolution » et de favoriser l’instauration d’un Etat religieux, les personnalités réunies ont réitéré leur refus du contenu et de la logique que sous-tend le texte brouillon, qui est loin de refléter la pluralité culturelle, politique et religieuse de la société égyptienne.
Ils ont annoncé leur projet de former une équipe comprenant les démissionnaires et d’autres politiciens et juristes pour s’atteler à la rédaction d’une Constitution « parallèle », plus à même d’« incarner les objectifs et l’esprit de la révolution », qu’ils entendent par la suite soumettre au président de la République.

Monopole islamiste
L’initiative avait déjà été lancée en octobre par le parti de l’Alliance socialiste. « Dès le début, on était presque sûr qu’une assemblée dominée par les islamistes ne risquait pas de produire une Constitution satisfaisante pour tous les Egyptiens. C’est pourquoi on s’est mis d’accord avec d’autres formations politiques pour la rédaction d’une Constitution en dehors de l’assemblée », affirme Mona Ezzat, de l’Alliance socialiste. Sont partenaires dans ce projet : les partis Al-Dostour, l’Egyptien social-démocrate, l’Egypte forte de l’ex-Frère Abdel-Moneim Aboul-Foutouh, l’Egypte la liberté de Amr Hamzawi ainsi que le Courant populaire.
« Ce nouveau texte comprendra les clauses unanimement acceptées au sein de l’assemblée, mais aussi les amendements que l’on juge nécessaires sur les questions restées non tranchées. Nous allons continuer ce projet avec tous les membres démissionnaires de l’assemblée », explique Ezzat.
« L’assemblée constituante travaille dans l’obscurité dans l’objectif de servir les intérêts d’un seul courant politique », critique Wahid Abdel-Méguid, ex-porte-parole de l’assemblée constituante qui, lui aussi, a fini par claquer la porte. « Nous nous ne sommes pas retirés en protestation contre l’application de la charia. Mais plutôt parce que le texte brouillon de la Constitution en cours d’élaboration est l’expression d’idées dignes des talibans et du wahhabisme, des idées étrangères à la charia telle qu’on la connaît », poursuit Abdel-Méguid.
« Notre retrait est définitif. Il y a une volonté à l’assemblée de bâcler la Constitution dans des chambres closes. Nous refusons de participer à une telle entreprise », affirme de son côté Amr Moussa, ancien secrétaire général de la Ligue arabe et candidat malheureux à la présidentielle. « Les forces laïques n’abandonneront pas leur responsabilité envers la société et la patrie, nous ne collaborerons pas à une Constitution qui n’est pas digne du peuple égyptien », ajoute Moussa.

Les chrétiens poussés à bout
Cette même semaine, l’assemblée constituante a essuyé une autre abdication non moins importante, celle des quatre représentants des Eglises égyptiennes orthodoxe, catholique et protestante.
« La Constitution en cours d’élaboration n’est pas favorable à la laïcité de l’Etat, le texte ne stipule pas l’égalité des hommes et des femmes, mais souligne en revanche les origines jurisprudentielles de la charia. Tout cela est très ambigu, et c’est difficile de prédire ce qu’un tel texte pourrait entraîner au niveau de la société », souligne Mgr Marcos, porte-parole de l’Eglise copte.
« On ne peut pas construire un Etat de droit tout en se tenant à des avis juridiques archaïques qui répondent à des problèmes d’un autre temps », ajoute l’évêque.
« L’Eglise a beaucoup enduré durant les mois passés dans l’espoir de parvenir à un compromis acceptable par tous les segments de la société et de parvenir à une Constitution favorisant l’instauration d’un Etat de droit. Mais aujourd’hui, je peux vous dire que ce qui sortira de cette assemblée ne sera pas propice à la coexistence », poursuit-il.
Pour sa part, le Parti Liberté et Justice (PLJ, des Frères musulmans) a critiqué les démissions collectives de cette semaine. « Il y avait une sorte d’entente sur toutes les clauses de la Constitution, y compris celles relatives à la charia », estime Gamal Héchmat, du bureau politique du PLJ.
« Je ne comprends pas la raison de ces démissions. Je les vois comme une surenchère pour donner l’impression que ce sont les islamistes qui fabriquent la Constitution. Ces démissionnaires cherchent à empêcher la création d’institutions démocratiques, ils ne veulent pas permettre à la majorité du PLJ d’exercer le pouvoir », critique Héchmat.
Les démissions massives de la semaine dernière ne semblent pourtant pas entraîner l’implosion de l’assemblée. Du moins pas dans l’immédiat.
« Bien qu’elle ait perdu de sa légitimité après les démissions collectives de la semaine dernière, l’assemblée constituante peut continuer son travail en incluant d’autres membres issus de la mouvance islamiste », estime Hani Chokrallah, rédacteur en chef d’Al-Ahram Online.
Quant aux chances de réussite de l’initiative de produire une Constitution bis, Chokrallah souhaite que les forces pro-démocratiques parviennent à s’unir pour donner plus de poids à ce projet. « Mais de toute manière, même si les islamistes parviennent à exploiter l’ignorance de certains pour faire voter leur texte, il faut leur rappeler que le peuple n’est plus aussi docile qu’avant. Les Egyptiens ne permettront à personne de jouer avec leur sort. Quelle que soit la forme de la future Constitution, rien n’empêchera le peuple de défendre les principes de sa révolution, notamment sa liberté et son droit à une vie digne », conclut Chokrallah.
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