Affrontements à Tripoli entre l'armée et les islamistes.
(Photo : AP)
De Abra à Tripoli en passant par Ersal, villes côtières aux frontières syriennes, les combats opposent des groupes extrémistes sunnites à l’armée libanaise depuis le déclenchement de la crise syrienne. Le pays du Cèdre a connu dès lors plusieurs incidents frontaliers avec ces groupes opposés au régime de Bachar Al-Assad qui s’en prennent aux bastions du Hezbollah, qui combat aux côtés des forces d’Al-Assad. Les opérations se sont intensifiées dès le lendemain du vide présidentiel avec des incursions à l’intérieur du pays. Voitures piégées, kamikazes et séries d’explosions ont secoué les bastions du Hezbollah dans la banlieue sud de la capitale libanaise. Depuis août, Al-Nosra et l’organisation de l’Etat islamique retiennent en otage 27 policiers et soldats libanais, et en ont tué trois autres. Le danger sécuritaire s’est aussi accentué après que la mouvance d’Al-Nosra eut menacé, cette semaine: «
La véritable bataille au Liban n’a pas encore commencé », a-t-elle fait savoir.
Fathi Mahmoud, expert des questions libanaises à Al-Ahram, explique que la situation sécuritaire est de nature fragile au Liban et s’est gravement détériorée à cause, d’un côté, de la paralysie politique, et de l’autre, de l’implication de deux antagonistes libanais dans le conflit syrien. « La politique de distanciation vis-à-vis de la crise syrienne, adoptée en juin 2013 par toutes les parties libanaises dans la déclaration de Baabda, a ainsi volé en éclats », dit Mahmoud. Et d’ajouter : « Une guerre par procuration se déroule aujourd’hui sur le territoire libanais, notamment à Tripoli, entre les sunnites anti-Bachar Al-Assad et les alaouites (chiites) pro-régime syrien ».
Et entre ces deux camps, l’armée libanaise apparaît faible au niveau opérationnel et incapable d’affronter le danger djihadiste provenant de Syrie, explique Iman Abdel-Halim, chercheuse au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Pour le Hezbollah, la défaite de l’armée face à ces djihadistes donne une légitimité à ses armes sous prétexte de la nécessité urgente de protéger le Liban », dit Mahmoud. La crédibilité de l’armée commence aussi à se fissurer, ajoute Mahmoud, puisque l’armée libanaise, en affrontant les groupes sunnites hostiles au « Hezbollah », est perçue par les Libanais qui soutiennent l’opposition syrienne comme « servant l’agenda du Hezbollah et non du Liban ». Les sunnites de Tripoli, foyer des islamistes, ont ainsi appelé au djihad contre l’armée libanaise, alors que le rôle sécuritaire du Hezbollah s’est élargi d’une manière considérable dans le pays. Les forces dites d’« auto-défenses » appartenant à ce parti se sont visiblement propagées dans les rues aux côtés des militaires et des policiers. Ce rôle s’est même étendu pour atteindre les frontières. Le Hezbollah a créé des « zones de sécurité » sur la frontière entre la Syrie et le Liban, en coordination avec l’armée libanaise, ce qui a provoqué l’indignation des forces politiques libanaises accusant l’armée d’abandonner la responsabilité de la protection des frontières et de la laisser au Hezbollah entièrement impliqué dans le conflit en Syrie.
L’économie frappée de plein fouet
« La paralysie politique et l’insécurité dont souffre le Liban ont frappé aussi l’économie de plein fouet », explique Iman Abdel-Halim. Le tourisme, source principale de revenus, a connu une baisse constante après que les pays du Golfe, d’où proviennent plus de la moitié des touristes, eurent invité leurs ressortissants à éviter de se rendre au Liban. Les retombées de la crise ont interrompu aussi le flux des investissements et l’activité économique, tout en réduisant les recettes de l’Etat. La situation s’est détériorée davantage avec l’afflux massif des réfugiés syriens, dont le nombre a atteint 1,1 million de réfugiés, soit 20% de la population libanaise, bouleversant l’équilibre démographique et le marché du travail, et sapant les infrastructures et les services publics. Selon les chiffres de la Banque mondiale, 170000 Libanais sont tombés dans la pauvreté entre 2012 et 2014, et le taux de chômage a doublé en deux ans, passant au-dessus de la barre des 20%. La croissance du PIB réel a reculé durant la même période, de 2,9 points chaque année. Les écoles publiques accueillent plus de 100000 élèves syriens qui sont admis gratuitement, au même titre que les écoliers libanais. Bref, selon le rapport, le conflit syrien a coûté 7,5 milliards de dollars au Liban.
Ces réfugiés représentent aussi, selon Mahmoud, une forte menace sécuritaire pour le Liban puisqu’ils pourraient être facilement recrutés par les groupes djihadistes. Les réfugiés, en grande majorité sunnites, menacent aussi, affirme le chercheur, l’équilibre communautaire entre sunnites, chiites et chrétiens.
La défaillance du gouvernement, ravagé par les dissensions politiques, est ici pointée du doigt. « Ouvrir ou fermer les frontières ? Une question qui divise le gouvernement, et chaque camp mesure les avantages et les inconvénients d’après son implication dans le conflit syrien », explique Mahmoud. Et bien qu’il soit officiel depuis octobre que le Liban a décidé de fermer ses frontières, aucune démarche n’a été prise sur le terrain.
Le vide présidentiel a jeté aussi de l’ombre sur ce dossier, puisque selon les sources libanaises, 38% seulement des aides internationales promises pour les réfugiés ont été versées. « Le statut d’un pays sans président rend les pays donateurs méfiants à l’égard d’une exfiltration des fonds vers des parties en conflit et non à l’Etat », conclut Mahmoud.
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