Coptes et libéraux n'ont pas eu de cesse d'exprimer leurs craintes.
La version finale de la Constitution devrait être prête le 20 novembre, date à laquelle elle sera remise au président de la République pour être soumise à un « débat populaire ». Sa validation par voie de référendum, dernière phase d’un processus qui s’est étalé sur environ cinq mois, devrait avoir lieu au mois de décembre. C’est le calendrier annoncé par le président de l’assemblée constituante, le magistrat Hossam Al-Gheriani.
Les délibérations autour des amendements proposés à la première version, rendue publique il y a deux semaines et qui compte 232 articles, ont commencé dimanche et sont supposées s’étaler sur quatre jours. Amr Derag, secrétaire général de l’assemblée, insiste sur la nécessaire « transparence » du processus affirmant le « droit de chaque citoyen à participer à la rédaction de la Constitution ».
Les délibérations autour du texte portent notamment sur les objections et les propositions relatives aux articles réglementant la relation entre la religion et l’Etat, le pouvoir et les compétences du président de la République ainsi que les libertés individuelles et publiques. Mais les représentants de la société civile, aux antipodes des islamistes au sein de l’assemblée, menacent de se retirer à cause de cette « accélération injustifiée » du processus. Ils accusent les islamistes de vouloir finaliser rapidement le texte de la future Constitution pour couper court à la décision de justice qui risque de mettre en cause la constitutionnalité même de l’assemblée constituante qu’ils dominent. Des dizaines de plaintes ont été déposées, mettant en cause le mécanisme utilisé pour le choix de ses 100 membres. Le 23 octobre, la Haute Cour administrative, qui devait se prononcer sur la validité de l’assemblée, a renvoyé l’affaire devant la Haute Cour constitutionnelle. Celle-ci est supposée se pencher sur l’affaire dans un délai d’un à deux mois.
Gaber Nassar, juriste et membre de l’assemblée, critique le calendrier prévu pour clore les délibérations sur la Constitution, qu’il juge trop serré et trop hâtif. « Il est impossible de pouvoir débattre de tous les articles de la Constitution en l’espace de quelques jours. Moi, personnellement, j’ai déposé des amendements sur des dizaines d’articles, comment et quand ont-ils pu être considérés ? Je suis en train de considérer mon retrait de l’assemblée, de même que plusieurs de mes collègues », menace-t-il.
D’autres voix s’élèvent
Alors que le temps presse, d’autres voix s’élèvent contre les clauses de la première version en cours de finalisation : les ouvriers et les paysans refusent l’annulation du quota qui leur permettait, depuis les années du président Nasser, d’occuper 50 % des sièges du Parlement, et militent pour le droit de former des syndicats indépendants, un droit qui leur a été refusé dans le nouveau texte. Les journalistes, quant à eux, refusent les clauses relatives à la liberté de la presse. Leur syndicat affirme ne pas avoir été impliqué dans l’élaboration des lois ayant trait à leur profession. Même grogne chez la présidente du Conseil national des droits des femmes, Mervat Al-Télawi. « Le texte proposé au débat est plein d’expressions vagues qui risquent de marginaliser les femmes et vont donner lieu à une discrimination sexiste », souligne-t-elle. Jeudi, les juges se sont réunis en assemblée générale pour exprimer leur refus collectif d’un texte qui « compromet l’indépendance de la justice ». Le président de leur « club », le magistrat Ahmad Al-Zend, s’est montré solidaire avec tous les secteurs de la société qui se sentent lésés par le projet de Constitution. « Nous n’accepterons pas de Constitution qui légitime le mariage des filles à neuf ans. Une telle Constitution nous ramène au Moyen Age », assène-t-il. Les juges rejettent certaines clauses du texte, dans lesquelles ils voient un empiétement sur l’indépendance de la justice, notamment celles accordant au président de la République le droit de nommer les membres de la Haute Cour constitutionnelle.
« Clauses trop générales »
« La finalisation de ce texte brouillon demande des années de délibérations. J’ai lu cette première version, mon avis est qu’elle ressemble plus à un communiqué
issu d’une conférence populaire qu’à un texte légal », critique Nasser Ali, directeur du Centre arabe pour l’indépendance de la justice. « Le texte ne fait aucune référence aux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, il renferme des clauses trop générales sur le devoir de l’Etat de protéger les valeurs morales, la religion, l’éthique … ce qui laisse au législateur la latitude d’imposer, au nom de la morale et de la religion, des restrictions sur les libertés et les droits que cette même Constitution prétend protéger », explique-t-il. « On trouve ce genre de contradictions parfois dans une même clause, comme celle qui défend la liberté de formation des syndicats tout en stipulant qu’une même profession ne peut avoir plus qu’un syndicat », poursuit-il.
Certains, tel Bassem Kamel, ex-député et membre du Parti Egyptien social-démocrate, essayent de prendre les devants. « Pour le moment, assure-t-il, les membres de notre parti essayent de sillonner le pays pour expliquer aux simples citoyens comment cette Constitution, si elle est adoptée, peut leur ôter leurs droits et leurs libertés les plus fondamentaux ». Comme beaucoup d’opposants, Mona Ezzat, membre du Rassemblement populaire socialiste, appelle à faire table rase pour recommencer à zéro. « Le vrai problème ce n’est pas le texte en soi, mais c’est la composition de l’actuelle assemblée qui manque de professionnalisme et de représentativité. Elle ne parviendra jamais à traduire la volonté du peuple », affirme-t-elle.
En attendant, les islamistes maintiennent la pression dans le sens inverse. Parmi eux, plusieurs milliers d’ultraconservateurs ont manifesté vendredi sur la place Tahrir pour réclamer une Constitution conforme à la charia.
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