Les élections législatives tunisiennes ont soulevé de nombreuses réactions en Egypte, et dans le monde arabe. Les opposants au courant islamiste ont trouvé dans la défaite du mouvement Ennahda, une preuve que le soutien populaire dont bénéficiait l’islam politique, à un moment donné, n’est pas éternel. Quant aux partisans du courant islamiste, ils n’ont pas vu dans le recul du mouvement Ennahda, un indice négatif. Au contraire, cette défaite prouve, selon eux, que les islamistes ne sont pas des despotes et peuvent renoncer au pouvoir s’ils perdent les élections. A mon avis, l’interprétation qu’il faut donner aux élections tunisiennes est beaucoup plus compliquée. Nidaa Tounès a remporté 85 sièges, suivie par Ennahda avec 69 sièges, sur les 217 sièges du Conseil législatif. Ce qui signifie que Nidaa Tounès, qui comprend des hommes d’affaires, des syndicalistes et des hommes politiques affiliés au régime de l’ex-président Zein Al-Abbedine bin Ali, n’a pu remporté les élections que grâce à une coalition avec d’autres partis, dont Ennahda ne fait pas partie.
Le recul d’Ennahda était prévisible, et ce, malgré le soutien externe dont bénéficiait le mouvement. Selon un rapport publié par le Centre pour la réforme européenne, et élaboré par le chercheur Edouard Burke, il y a une quasi-unanimité parmi les Etats membres de l’UE, sur le fait que la Tunisie constitue un exemple de réforme politico-économique dans la région de l’Afrique du Nord. En effet, la Tunisie a réussi à organiser des élections intégrales pour élire les membres de l’Assemblée constituante, et a fourni un bel exemple d’intégration politique qui a regroupé tous les courants, tout en réduisant le rôle politique des appareils sécuritaires. L’UE a consacré à la Tunisie durant la période 2011-2015, près de 4 milliards d’Euros, dont 2 milliards sous forme de prêts, et 1,5 milliards d’aides directes, et le Qatar lui a prêté 1 milliard de dollars. Il y a aussi les aides techniques européennes présentées à la Tunisie pour réformer l’appareil administratif et sécuritaire.
Malgré ces aides économiques et le soutien international, les gouvernements tunisiens successifs n’ont pas réussi à pousser en avant le dossier économique. Et il était clair que la Troïka qui détenait le pouvoir après les premières législatives en 2011 (Ennahda, le Congrès pour la République, la Coalition démocratique pour le travail et les libertés), ne possède pas les compétences politiques et administratives lui permettant de gérer les institutions de l’Etat. Puis, les gouvernements de Hamadi Al-Gébali et de Ali Al-Arid, tous deux issus d’Ennahda, ont décidé de recourir à des hommes d’expérience de l’ancien régime de Bin Ali par l’intermédiaire d’une sorte de marché conclu, selon lequel ces gens participaient à la prise de décision en échange de leur loyauté à Ennahda.
Ceci prouve que la lutte politique et idéologique est une chose, et la possession des cadres politiques et administratifs capables de gérer les institutions et les appareils de l’Etat, est une autre chose.
En Tunisie, le recul du dossier économique a été accompagné d’une tension politique, alors que les opposants laïques étaient visés et que le terrorisme se répandait au sein de la société. Lorsque l’expérience des Frères musulmans a échoué en Egypte, et que la guerre civile a éclaté en Libye, la France, l’Allemagne, et les Etats-Unis, principaux supporters d’Ennahda, ont fait pression sur le gouvernement de la Troïka, dirigé par Ennahda, pour mettre fin à la crise politique et s’engager dans un dialogue. Ce dialogue a abouti à la remise du pouvoir à un gouvernement provisoire, chargé de superviser les élections législatives. A mon avis, la morale qu’on peut tirer de l’expérience tunisienne n’est pas nouvelle. Les islamistes y voient un retour de l’ancien régime. Chose qui n’est pas du tout vraie. L’ancien régime possédait des compétences politiques et administratives capables de gérer les affaires de l’Etat. Chose que les nouvelles élites n’ont pas pu faire à des degrés différents. C’est pour cela que les peuples penchent pour les anciennes élites.
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