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Après 3 ans de présence, le centre Carter ferme ses portes

May Al-Maghrabi, Lundi, 20 octobre 2014

La fermeture subite du centre Carter pour les droits de l’homme met en avant les rapports conflictuels entre l’Etat et les ONG.

Le centre de défense des droits de l’homme, Carter, fondé par l’ancien président américain, Jimmy Carter, a fermé, cette semaine, son bureau au Caire. Le centre annonce qu’il n’observera pas les élections législatives prévues avant la fin de l’année.

Justifiant sa décision, le centre a indiqué dans un communiqué que « l’environnement actuel en Egypte n’est pas propice à des élections démocratiques sincères », dénonçant des « restrictions sur les libertés » et « des élections jouées d’avance ». Le centre a notamment dénoncé « des restrictions croissantes sur les libertés fondamentales d’expression, de réunion et d’association », et « les arrestations massives de partisans des Frères musulmans ».

Des accusations que le ministère des Affaires étrangères n’a pas tardé à rejeter, exprimant son étonnement au vu de « ces prétentions infondées ». Dans un communiqué, le ministère affirme que ces déclarations sont en contradiction avec une lettre envoyée par le centre Carter, le 31 août dernier, informant le ministère de la fermeture du centre pour des raisons logistiques. Le directeur du centre a en outre remercié les autorités égyptiennes pour leur coopération durant les trois années de sa présence en Egypte. « Ces prétentions manquent d’objectivité. Depuis le 30 juin, l’Egypte a respecté toutes les échéances électorales et constitutionnelles de la feuille de route avec une transparence dont témoignent les rapports des ONG locales et internationales », précise le communiqué du ministère, mettant en cause la dualité du discours du centre Carter.

Le centre Carter a ouvert son bureau au Caire à l’issue de la révolution de 2011 qui a renversé le président Moubarak. En trois ans de travail en Egypte, il a surveillé plusieurs élections : présidentielle, parlementaires et référendums sur la Constitution.

Abdel-Ghaffar Chokr, du Conseil national des droits de l’homme (organisme gouvernemental), estime que la fermeture du centre est une décision politique. « Pourquoi le centre n’a-t-il jamais critiqué le déroulement des élections sous les Frères, alors qu’il y a eu incontestablement des irrégularités au cours de ces élections ? ».

Crise de confiance

Mais pour d’autres observateurs, la fermeture du centre Carter montre à quel point les rapports entre l’Etat et certaines ONG, notamment étrangères, sont tendus. Avec l’avènement de la révolution du 25 janvier 2011, plusieurs ONG internationales avaient ouvert des bureaux en Egypte. Mais les rapports avec l’Etat égyptien n’ont pas tardé à se détériorer.

« Depuis la révolution du 25 janvier 2011, les rapports entre l’Etat et les ONG sont marqués par unesuspicionmutuelle », souligne le politologue Yousri Al-Azabawi. Des ONG étrangères ont ainsi été accusées de comploter contre l’Etat pendant la révolution du 25 janvier, d’autres ont été accusées de « soulever la population contre le pouvoir », surtout que certaines d’entre elles avaient organisé des campagnes pour sensibiliser les citoyens à défendre leurs droits en manifestant. Aujourd’hui, plusieurs de ces organisations parlent de « restrictions sécuritaires entravant leur travail ».

Par ailleurs, les mesures annoncées par le gouvernement pour réglementer le travail des ONG sont perçues comme une tentative visant à les domestiquer. « Le dénouement de cette crise de confiance réside dans une formule équilibrée qui garantit la liberté des ONG tout en respectant les impératifs de sécurité surtout en ce qui concerne le financement étranger des ONG qui est au centre de la crise avec l’Etat », affirme Al-Azabawi.

L’avocat Mohamad Zarée, du Centre des droits de l’homme pour l’aide aux prisonniers, estime que le départ du centre Carter incarne les véritables difficultés qu’affrontent les ONG aujourd’hui. « Pour dénouer une crise, il faut d’abord reconnaître qu’elle existe. Des dizaines d’ONG étrangères oeuvrant en Egypte ne parviennent pas depuis trois ans à légaliser leur statut. Les restrictions sécuritaires imposées au travail des organisations, qui oeuvrent dans le domaine de droits de l’homme, ne sont pas chimériques. Certes, l’Etat a le droit d’organiser le travail de ces organisations mais il doit trancher de manière claire et nette la question de leur présence sur le sol égyptien. Le problème est que jusqu’à présent le gouvernement utilise les ONG étrangères comme une façade démocratique sans leur octroyer la marge de liberté leur permettant d’accomplir leur mission ».

Zarée critique aussi le récent amendement de l’article 78 du code pénal qui étouffera, selon lui, les dernières ONG encore présentes. Le gouvernement vient en effet d’amender l’article 78 du code pénal durcissant les sanctions sur le financement étranger des ONG. Une procédure visant uniquement, selon le gouvernement, à lutter contre les activités terroristes financées depuis l’étranger. Ces sanctions sont passées d’une amende comprise entre 500 et 1000 L.E. à la prison à vie et une amende allant jusqu’à 500000 L.E. Dans certains cas, les sanctions peuvent atteindre la peine de mort.

« Il est illogique que le gouvernement s’octroie le droit absolu d’interdire certains financements destinés à des projets auxquels il s’oppose. Il faut savoir que beaucoup d’ONG, travaillant dans les domaines des droits et des libertés, comptent sur les financements étrangers, explique Zarée. Un Etat fort est un Etat où les organisations non gouvernementales sont fortes et libres » .

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