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Gaza : Reconstruire, mais pour quel lendemain ?

Samar Al-Gamal, Lundi, 13 octobre 2014

Blocus israélien depuis huit ans et trois guerres en six ans. Gaza est un territoire quasi inhabitable. Une cinquantaine de pays, en plus de l'Onu, se sont retrouvés au Caire pour lui apporter un souffle de vie. Ils promettent 5,4 milliards de dollars pour reconstruire, après les dégâts de l'opération israélienne « Bordure protectrice ».

Gaza  : Reconstruire, mais pour quel lendemain  ?
(Photo:Reuters)

Le chiffre est grandiloquent. Les participants à la conférence de « la reconstruction de Gaza », co-organisée par l’Egypte et la Norvège, ont promis environ 5,4 milliards de dollars pour reconstruire Gaza. L’Autorité palestinienne avait espéré 4 milliards de dollars, tandis que l’Unrwa (l’agence onusienne de secours aux réfugiés palestiniens) réclamait 6 milliards de dollars. Le Qatar a promis la plus grosse contribution avec un milliard de dollars, alors que Washington devrait fournir un total de 400 millions de dollars en un an, dont 212 millions dans l’immédiat. L’Union européenne accordera, pour sa part, 450 millions d’euros pour 2015. « Nous sommes ici pour soutenir le peuple de Gaza qui a subi des souffrances terribles cet été », a déclaré le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, dans son discours à la conférence du Caire.

Il y a 5 ans, en 2009, ces mêmes pays s’étaient retrouvés dans la station balnéaire égyptienne de Charm Al-Cheikh, et s’étaient engagés à allouer quelque 4,5 milliards de dollars à Gaza, afin de reconstruire le territoire dévasté par une autre guerre israélienne « Plomb durci », qui avait tué 1315 Palestiniens de décembre 2008 à janvier 2009. « Nous nous sommes engagés à apporter notre soutien. Nous avons décidé de reconstruire. Et pourtant, nous revoici. Le cycle de la construction et de la destruction a continué, cette fois en pire », a avoué Ki-moon.

Gaza  : Reconstruire, mais pour quel lendemain  ?
(Photo:AP)

Les fonds promis à l’époque sont pourtant restés en bonne partie dans les caisses. Le blocus israélien imposé à la bande de Gaza depuis la prise de pouvoir du Hamas en 2007 a simplement rendu la reconstruction presque impossible. Tel-Aviv n’a autorisé les livraisons de matériaux de construction que pour les projets supervisés par des agences internationales, et cinq ans plus tard, la moitié des maisons détruites n’ont toujours pas été reconstruites à cause des restrictions israéliennes. « L’entrave à la reconstruction était aussi due à la division interpalestinienne », croit Magdi Al-Khaldi, conseiller diplomatique du président palestinien. « Aujourd’hui, il y a un gouvernement de consensus et c’est lui qui dirigera la reconstruction du territoire et rassurera les organisations internationales sur l’acheminement de leurs fonds et les alliés de l’occupant ne peuvent plus cacher ses crimes », poursuit-il.

Maher Al-Tabaa, expert économique joint par téléphone à Gaza, estime aussi que la communauté internationale n’a plus le luxe de fermer les yeux sur la situation dans ce petit territoire, accueillant pourtant quelque 1,8 million d’habitants. « La dévastation provoquée par la récente guerre israélienne dépasse de loin celle de 2009. La situation économique s’est fortement dégradée avec une hausse du taux de pauvreté, 230000 personnes au chômage et 100000 sans abri», explique Tabaa, qui est membre de la Chambre de commerce et d’industrie à Gaza. Même avant la dernière guerre, les Nations-Unies prévoyaient que, d’ici l’an 2020, la bande de Gaza serait inhabitable en raison du blocus. La guerre, qui a duré 51 jours tuant 2100 Palestiniens, a retardé cette date d’encore quelques années. Aujourd’hui, environ 20000 maisons sont complètement en ruine et 40000 autres sont partiellement détruites en plus d’un manque de 75000 unités avant la guerre.

L’Onu a ainsi conclu un accord tripartite avec l’Autorité palestinienne et Israël sur « les mécanismes » de reconstruction.

« Un nouveau régime de surveillance »

Mais selon le quotidien britannique The Guardian qui a obtenu une copie de l’accord, cet arrangement crée « un nouveau régime de surveillance restrictive sur les matériaux de construction qui risque de mettre l’Onu en charge d’un blocus israélien continu au lieu de le lever ». L’accord cède, en effet, à Israël le droit d’approuver, et potentiellement d’opposer son veto, sur les grands projets de reconstruction, y compris leur emplacement. Il inclut des plans de surveillance d’importation, de stockage et de vente de matériaux de construction— y compris l’installation de caméras vidéo, la mise en place d’une équipe d’inspecteurs internationaux et la création d’une base de données de fournisseurs et de consommateurs. Le tout sans mécanisme de règlement des différends. « Si les fonds sont alloués sans la levée du blocus, la reconstruction prendra plus de dix ans au lieu de trois », croit Al-Tabaa. Mais Oxfam est encore plus pessimiste.

L’ONG humanitaire estime que les restrictions israéliennes sur les importations à Gaza ne sont pas levées, la majeure partie des financements promis lors de la conférence des donateurs va languir une fois de plus sur des comptes bancaires pendant des décennies, avant d’avoir enfin un impact bénéfique sur les conditions de vie de la population. « Durant la première moitié de l’année 2014, 1100 camions en moyenne pouvaient entrer dans Gaza chaque mois. A ce rythme, il faudrait plus de 50 ans pour importer suffisamment de matériaux pour construire 89000 nouvelles maisons, 226 écoles, hôpitaux, usines, infrastructure de l’eau et de l’électricité », poursuit Oxfam. Selon elle, 7400 camions pouvaient entrer chaque mois à Gaza avant le blocus imposé par Israël. Si les pays donateurs n’intensifient pas la pression sur Israël pour lever le blocus, « les enfants seront grands-parents quand leurs maisons seront finalement reconstruites », avertit l’organisation. Mais la dernière réunion du Caire autour de la question de Gaza n’a pas soulevé la question. Le chef de l’Onu s’est contenté de dire que cela doit être la dernière conférence sur la reconstruction : « Ce cycle doit se terminer ». Mais comment ? « Il faut une solution politique pour Gaza dans le cadre plus large de discussions entre Palestiniens et Israéliens sur la solution à deux Etats (...), la seule véritable solution », a plaidé Catherine Ashton, chef de la diplomatie de l’Union européenne. « J’en appelle au peuple et au gouvernement israéliens: le temps est venu de mettre fin au conflit », a lancé le président Abdel-Fattah Al-Sissi, en ouvrant la conférence aux côtés du président palestinien, Mahmoud Abbas.

Puis est venu le tour du secrétaire d’Etat américain, John Kerry. « Un cessez-le-feu, ce n’est pas la paix. Nous devons nous rasseoir à la table (des négociations) et aider les parties à faire des choix difficiles, de vrais choix », dit-il. Comment? Y a-t-il un mécanisme pour relancer cette paix dans l’impasse? Et quand? Le chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman, dont le pays était absent de la conférence, a immédiatement rétorqué: « Il faut voir dans quel cadre et sur quels points porteraient ces négociations. Si elles ne portent que sur les exigences palestiniennes, alors c’est peine perdue ».

Au moment où se tenait la conférence, l’ancien premier ministre suédois, Carl Bildt, résumait sur son compte Twitter : « Toujours pas d’accord durable. Le blocus doit être levé. Elections. Sinon, juste une pause entre les deux guerres » .

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