L’ensemble vocal Allegro, l’une des chorales les plus réputées à Sarajevo, est composée de dix femmes originaires de la Bosnie-Herzégovine. Munie de voix célestes et accompagnée d’un bon nombre de musiciens bosniaques, elle a été fondée en 1998, à Sarajevo, par Samra Bucan. Et depuis, elle a pu se doter d’un large répertoire musical, de musique religieuse musulmane et traditionnelle folklorique. Une musique répandue à Drina (rivière du Monténégro) et Kalesija (municipalité de Bosnie). En outre, la troupe tient à interpréter des oeuvres orchestrales de compositeurs mondiaux, pour choristes. Car il s’agit d’un choeur qui, selon une version occidentale, participe à la louange de Dieu, à sa manière. Et ne manque pas de rappeler le rôle des anciennes confréries soufies de la Bosnie (Rufa’i, Kadiri, Nakshbandi et Mevlevi), sujettes à de nombreux bouleversements politiques. Leur musique est alors pétrie d’influences slaves, grecques, turques, hongroises, albanaises et tziganes. « En Bosnie, le soufisme est un concept spirituel sacré basé sur l’amour de Dieu. Cela n’exige pas de langue particulière. La musique, le sacré et le chant constituent une langue universelle. C’est sur ce concept que se base Allegro», déclare Intissar Abdel-Fattah, président et fondateur du festival Samae, depuis 1996.
Longtemps sous domination étrangère (ottomane, hongroise et yougoslave), la Bosnie s’est forgée son identité autour des communautés musulmanes bosniaques, catholiques croates et orthodoxes serbes. Raison pour laquelle la chorale Allegro, accompagnée de violons et un sargija (instruments à cordes), se plaît à chanter les traditions rurales polyphoniques, tels le ganga (type de chant rural bosnien) — traditionnellement interprété par des bergers— et la sevdah (genre mélancolique typique voisin de la musique turque). D’ailleurs, Allegro aime constamment clôturer ses soirées de musique spirituelle bosniaque par l’Ode de la joie, quatrième partie de la symphonie de Beethoven, évoquant ainsi la grâce divine et la bonté des âmes.
Tunisie : C’est le dialogue qui compte
Porte-flambeau d’un message de paix, d’amour et de tolérance, entre religions du monde, la troupe tunisienne Annajeh tente de renouveler la musique spirituelle et le chant religieux. Fondée par le cheikh Hatem Al-Ferchichi en 1990, au Monastir (Tunisie), la troupe respecte beaucoup le sacré identitaire soufi du patrimoine musical tunisien. Un patrimoine lié à des malouf (maqamat venus du Maroc), dit aussi toboue andalou, en dialecte tunisien. C’est-à-dire un takht musical accompagné d’un ensemble vocal, sans mounchid (chanteur de louanges). « On tente de rompre carrément avec la monotonie de la musique traditionnelle soufie, celle des années 1960 et 70, en Tunisie. Et ce, pour faciliter à l’auditeur arabe et occidental de mieux apprécier le patrimoine musical tunisien, dans un langage qui lui est compréhensible », déclare cheikh Hatem Al-Ferchichi, disciple de l’école du grand cheikh soufi Abdel-Salam Al-Faytouri.
Dans une soirée multiculturelle qui ressemble à la hadra (assemblée de fidèles dans les rites soufis), mais dans un contexte profane, le tout chez Annajeh s’associe pour chanter l’amour divin: chant religieux et soufi tunisien, chants liturgiques coptes, Azan (logiciel d’appel à la prière des musulmans), mouachahat égyptiennes et andalouses, symphonie, danse de derviches tourneurs, danse patrimoniale tunisienne, Zikr (scansion répétitive du nom de Dieu), poésies soufies (d’Ibn Al-Fared, Ibn Al-Arabi, Taha Al-Fachni, Mohamad Omrane, Al-Toukhi, Al-Naqchabandi). Ce métissage culturel n’est pas en fait loin de la Tunisie. Car le pays a toujours développé son image de nation musulmane « moderne et tolérante », grâce aux valeurs universelles du soufisme, lequel constitue une partie importante du patrimoine musical tunisien. Ce patrimoine remonte d’ailleurs aux premières générations de musulmans, mettant l’accent sur les valeurs que l’islam partage avec les religions monothéistes.
Le soufisme tunisien a connu sa gloire au début du XIIIe siècle, notamment avec l’arrivée de Sidi Bou Ali du Maroc, pour s’installer à Nefta, où il instaura une confrérie soufie. Après sa mort, un mausolée est construit à son nom, « Le Sultan du Djérid ». Et à partir de cette date, Nefta devint le deuxième centre religieux de Tunisie après le Kairouan. Mais le soufisme a été quasiment réduit à néant par le régime dictatorial, jusqu’à la « révolution du Jasmin », laquelle a rendu au soufisme sa place au coeur de la société tunisienne.
La musique soufie attire ainsi toutes sortes de Tunisiens, restant fidèles à ce style musical et à cet état d’esprit, tant au niveau philosophique qu’au niveau musical. Dans cette même lignée, de « la quête du bonheur, de l’amour des siens, de la tolérance et de la promotion de la paix », Al-Ferchichi engage sa troupe, et par la suite les récepteurs, jeunes et moins jeunes, dans un dialogue interreligieux, à travers des productions musicales de « travail sérieux », bien étudié et non aléatoire. Débutant sa hadra, sur un tempo lent et majestueux, Al-Ferchichi mène son récepteur à atteindre progressivement l’apogée d’extase et de transe, dans des mouvements rythmiques très vifs. « Ma musique n’a pas de limites, elle est ouverte aux musiques du monde, car ce qui importe le plus c’est la communication », conclut Al-Ferchichi.
Zambie : Un A capella pour s'adresser à Dieu
Né en 1993, à Kalinglinga, Lusaka, en Zambie, le Zambian A cappela Boys Choir change de nom en 1998, pour devenir L’équipe de la musique vocale de Zambie.
Réputée en Zambie, aux Etats-Unis et en Finlande, cette équipe composée de 9 membres ajoute de nouvelles significations au chant religieux, en le liant aux arts de la chorale « A capella », et à la « philosophie du soufisme » laquelle croit fort que « le chant et la voix jouent le rôle de passeur entre l’homme et Dieu, en dépit des religions ».
Sans accompagnement instrumental, L’équipe de la musique vocale de Zambie focalise ses chants spirituels sur un rythme africain de musique traditionnelle zambienne, dans sa propre langue: le bantoue.
La formation musicale traite alors des questions locales et humaines dont souffre le pays (problèmes d’enfants sans abris, lutte contre le paludisme, etc.) Car de tout temps en Zambie, les rites ont constitué une expression du tissu social de la culture. Les chansons ont été utilisées pour enseigner, pour guérir, pour faire appel à des esprits et pour le simple plaisir.
L’équipe de la musique vocale réunit de grandes voix du « gospel » zambien, puise dans les chants africains, comme le mbube (une forme de musique vocale sud-africaine). Un mélange de tradition zambienne et de musique chrétienne, à influence populaire. Le « gospel urbain contemporain », ou encore « la musique chrétienne contemporaine », ce genre très populaire, qui connaît un grand succès en Afrique, est d’ailleurs très présent dans tous les pays christianisés, particulièrement en Afrique australe et dans beaucoup de congrégations zambiennes. Et ce, depuis que l’Eglise Adventiste du Septième Jour impose son propre système de notation musicale, le « tonis sol fa », inventé par le Britannique John Curwen, au XIXe siècle. « Nous croyons fort en un seul Dieu, le créateur de l’Univers. Ce qui lie le chant soufi au gospel, c’est le fait de communiquer émotions et sentiments aux autres, à la différence des religions et des cultures. Et c’est à travers le festival Samae, rassemblant le rituel de différents pays du monde, que la troupe zambienne porte un message d’unité, d’amour et de paix au monde entier. Et ce, à travers son gospel, aux hymnes et cantiques euro-américains et ses chansons vives, joyeuses et dansantes », déclare Geofrey Sizala, leader de la troupe zambienne.
Pakistan : Le qawwali, métaphore de la foi
Dans une panoplie de choeurs et de musiciens, et dans une scène à la fois « magique, exotique et spectaculaire », joue la troupe pakistanaise de la musique spirituelle Maerifat (sagesse et connaissance, en ourdou). Celle-ci a été lancée par le poète Zafer Iqbal, musicologue au collège national de l’art à Lahore.
Maerifat communique émotionnellement avec son auditeur, pour faire valoir les valeurs de tolérance, d’amour, de paix, et d’al-wajd (harmonie avec l’univers). Elle rassemble neuf interprètes : deux chanteurs principaux qui jouent de l’harmonium, cinq chanteurs de refrains qui battent la mesure avec leurs mains, un joueur de tabla (percussions) et un joueur de dholak (tambour). La composition est souvent parfaite, lente et mesurée. C’est un ensemble de la tradition qawwali, qui consiste à chanter principalement en ourdou, des poèmes d’amour, des louanges de Dieu et son prophète, des saints, sur base de chant religieux et de poésie soufie. D’ailleurs, le chant qawwali, cette musique « dévotionnelle » de la confrérie soufie des Chishtis en Inde et au Pakistan, remonte au XIIIe siècle. Il fait revivre un concept musical à la croisée des chemins de l’islam, du soufisme et de l’hindouisme. C’est à travers ce métissage, construit sur la structure classique du râg et du tâl, le qaul arabe, la poésie persane, le ghazal indo-persan, le bhajan hindou et les longs poèmes ésotériques qawwali, que la troupe Maerifat provoque l’extase de son auditeur, envoûté vers l’illumination.
*Pour le programme détaillé, voir page Calendrier.
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