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Je le dis de manière très claire : il n’y aura pas de laxisme, pas de répit vis-à-vis de ceux qui ont recours à la violence, qui ont du sang sur les mains ». Le président Abdel-Fattah Al-Sissi l’a promis lors de son discours d’investiture.
Après trois ans de troubles post-révolutionnaires, le rétablissement de la sécurité s’est imposé comme l’un des dossiers les plus cruciaux de son agenda, bien avant qu’il n’arrive à la tête du pays, et depuis qu’il est perçu par une majorité d’Egyptiens comme le sauveur du pays.
Attaques contre les forces de sécurité, sabotage des établissements de services publics et trafics d’armes, vols, kidnappings, harcèlements en masse. Des défis sécuritaires colossaux que 100 jours après son investiture, Al-Sissi ne semble pas encore en mesure d’endiguer. En dépit d’une reprise relative de la sécurité générale et du recul de la criminalité, les actes terroristes s’accentuent remettant en question sa stratégie sécuritaire. Depuis la destitution du président islamiste Mohamad Morsi, le 3 juillet 2013, les attaques revendiquées par les groupes islamistes armés contre les forces de sécurité et l’armée se sont multipliées, surtout dans le Sinaï, faisant plus de 500 victimes. Al-Sissi avait promis de « débarrasser l’Egypte du terrorisme et d’anéantir les Frères musulmans » qu’il accuse d’utiliser des groupes terroristes dans le Sinaï, pour déstabiliser le pays. L’armée avait lancé, il y a un an, une vaste campagne contre les fiefs terroristes, tuant plusieurs dizaines de djihadistes et arrêtant des centaines d’entre eux, selon les communiqués de l’armée. Qadri Saïd, expert militaire, croit pourtant que la stratégie sécuritaire d’Al-Sissi est sur le bon chemin. « Le retour de la stabilité sécuritaire et le recul notable des crimes au cours de ces derniers mois sont palpables pour le simple citoyen ». Mais la situation reste alarmante en matière de terrorisme. Saïd pense pourtant que « les efforts sécuritaires ont réalisé un grand succès et ont pu briser la majorité des groupuscules terroristes ». Il énumère la destruction des tunnels reliant le Sinaï à la bande de Gaza, la reprise du contrôle sécuritaire sur les frontières, le démantèlement de plusieurs cellules terroristes et la saisie d’énormes quantités d’armes passées clandestinement au Sinaï. Selon lui, la poursuite de ces actes terroristes ne témoigne pas d’une défaillance sécuritaire. « En comparaison aux vagues de terrorisme frappant les pays arabes comme l’Iraq, la Libye ou la Syrie, il faut avouer que l’Egypte a réussi à endiguer le terrorisme grâce à une politique sécuritaire équilibrée qui n’a pas eu recours à des mesures exceptionnelles hors du cadre de la loi, comme le prétendent certains », ajoute Saïd.
Procédés obsolètes
Si Ahmad Ban, spécialiste des mouvements islamistes, ne nie pas l’impact de la campagne sécuritaire en cours, il reproche à la politique sécuritaire de Sissi un manque de mécanisme clair qui refléterait sa vision pour l’avenir sécuritaire du pays. Il note même certaines défaillances tactiques. Selon lui, face à une évolution opérationnelle des méthodes terroristes, les services de sécurité travaillent encore avec des procédés obsolètes. « Les opérations menées pour la lutte contre le terrorisme nécessitent plus de compétence et un recours à des technologies de pointe en matière de sécurité. Mais les services de sécurité ne disposent pas d’informations sur la nature et les objectifs des groupuscules terroristes », note-t-il. Ban propose la création d’un comité spécial formé d’experts sécuritaires. « Il n’y a pas de mal à reconnaître l’incompétence et chercher à y remédier », dit-il.
Sameh Eid, spécialiste des mouvements islamistes, critique plus violemment une stratégie sécuritaire « floue et insuffisante ». « L’Etat n’a pas de vision déterminée sur l’avenir des Frères musulmans, ce qui explique la confusion dans sa politique à l’égard de la confrérie. Alors que le gouvernement l’a déclarée organisation terroriste, il n’exclut pas de probable réconciliation avec les Frères. Une attitude vague qui alimente davantage la conviction des djihadistes que leurs buts ne seront plus atteints à travers un processus politique », explique Eïd. Il pense que la stratégie sécuritaire devrait avoir aussi des ailes politique et idéologique. « Le combat contre le terrorisme ne pourra pas avancer en l’absence de combat idéologique. Ces djihadistes sont à 100 % convaincus qu’ils sont dans une guerre sacrée. Face à de telles mentalités, la solution sécuritaire ne suffit pas », affirme Eïd.
La stratégie sécuritaire d’Al-Sissi pour atteindre ses objectifs s’est ainsi uniquement basée sur la politique de « la main lourde ». Ahmad Abd-Rabbou, professeur de sciences politiques à l’Université américaine, parle d’intimidation incarnée par les arrestations massives dans les rangs des Frères, les condamnations à mort collectives ainsi que les restrictions imposées sur les libertés. Selon lui, « l’échec de la campagne sécuritaire intensifiée à endiguer la violence revient en premier lieu à sa politisation. On est face à différentes formes de violences et d’actes hors la loi de la part de certains groupes extrémistes. Mais en généralisant la qualification de terroristes sur tous les actes des Frères musulmans, le régime cherche à justifier la répression de ses opposants » .
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