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Politiques publiques : Premier décryptage

SamarAl-Gamal, Mardi, 16 septembre 2014

Lors de sa campagne présidentielle, Al-Sissi s’est abstenu de tout engagement pour les 100 premiers jours de son mandat. Aujourd’hui un premier bilan permet toutefois de dévoiler la tendance générale de sa politique.

Premier décryptage

« Deux ans », c’est le délai que Abdel-Fattah Al-Sissi, alors candidat à la présidentielle, avait fixé pour mesurer « une première amélioration » dans la vie des Egyptiens. C’était début mai, lors de son premier entretien télévisé de campagne, quand le présentateur Ibrahim Issa lui avait demandé : « Cela signifie qu’il n’existe pas dans votre programme de 100 jours, alors que c’est une tradition mondiale ? ». Sissi réplique : « Donnez-moi d’abord ces normes mondiales ».

Pourtant, dans son dernier discours du 6 septembre, il appelle les Egyptiens à « la patience ». « Patientez », dit-il, « Cela n’est pas facile et prendra du temps ».

Quand et comment ? Il ne répond ni à l’une ni à l’autre question, laissant les experts perplexes quant à ses politiques publiques. « Le grand absent des 100 jours est cette vision globale ou encore les stratégies publiques précises qui nous permettront de prévoir l’avenir », affirme Abdel-Ghaffar Chokr, président du parti l’Alliance socialiste. En plus de 3 mois au pouvoir, le président Sissi n’a pas encore dévoilé son équipe présidentielle, « qui sont ses conseillers ? Qui est dans les coulisses de la direction de l’Etat ? », se demande Bakkar.

Savoir qui lui conseille, qui l’aide, est une clé essentielle pour tracer la tendance de sa gouvernance. Au contraire, en cette période, il a pris plusieurs dizaines de décisions, promulgué d’autres dizaines de lois et annoncé le lancement de grands projets aux financements pharaoniques. Il réduit la subvention aux énergies, élève les prix de l’électricité et de l’eau, impose une nouvelle taxe sur les plus riches, mais il reste sans programme politique affiché. « Le seul programme clair est le programme financier », estime le chercheur à l’institut Carnegie Middle East, Amr Adly. « Il vise à alléger le déficit du budget, à réduire les dettes publiques et à attirer des investissements pour accroître la croissance », résume-t-il. Le gouvernement semble compter sur la lecture des indices de la croissance, de la Bourse, des investissements ... Selon le chercheur, cela est dû au fait que « l’élite monétaire » dispose d’un programme clair, d’où ces mesures d’austérité, peu populaires, immédiatement adoptées par Sissi une fois au pouvoir.

Ces mesures se contredisent pourtant avec le retour en force de l’Etat par le biais des projets pharaoniques (lire page 4). « Sissi veut donner l’image d’un homme de réalisations et de grands projets qui dépassent les 18 ans de règne de Nasser et les 11 ans de Sadate, même s’il ne dispose pas du financement nécessaire », pense Hazem Hosni, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. D’après lui, il cherche à renforcer les piliers de son pouvoir en créant « un rêve » pour les Egyptiens. « Mais nous restons dans le cercle du rêve. Un rêve éphémère, d’autant plus que les bénéfices de ces projets ont été gonflés : ils ne vont pas engendrer de recettes, au moins sur le court terme », ajoute-t-il.

Les économistes déchiffrent ainsi difficilement la politique économique, avec ce mélange de néolibéralisme introduit par Gamal Moubarak, et une intervention de l’Etat pour contrôler le marché ou encore des politiques socialistes en faveur des plus démunis. Ainsi, pour combler les mesures d’austérité et échapper à la récession, il compte sur l’épargne directe des citoyens via les certificats d’investissement aux côtés d’un financement des pays du Golfe. Adly croit que l’objectif ultime ou le titre du programme de Sissi est de « récupérer la légitimité de l’Etat face au changement, la révolution, le terrorisme, avec une force conservatrice qui mène certaines réformes, car le statu quo est intenable ».

L’armée et la présidence

Dans ce programme, Sissi ne compte certes pas sur les institutions de l’Etat. « Ces 100 jours ont confirmé sa conviction de gérer le pays en comptant principalement sur deux institutions : l’armée et la présidence, et ralliant le ministère de l’Intérieur », explique Hosni. Ainsi, « la bureaucratie militaire est le partenaire des donateurs du Golfe et c’est elle qui est au premier plan dans les projets », ajoute Adly. Simplement, car les militaires font peu confiance aux civils, et contrairement à Moubarak ou Sadate qui avaient fait de la politique avant de prendre les rênes du pouvoir, Sissi vient directement des rangs de l’armée.

Preuve en est, le fameux fonds dit « Vive l’Egypte » qui vise à récolter 100 milliards de dollars et qui, selon ses propres propos, est un fonds « en marge » dépendant du président en personne et non du ministère des Finances, ni même de la Banque Centrale. Au lieu de penser à la réforme d’un appareil d’Etat dépassé, il crée des alternatives parallèles qui échappent à son contrôle.

Cette récupération de la légitimité de l’Etat, comme signe des premiers 100 jours, est plus claire dans le domaine de la sécurité. Ahmad Abd-Rabbo, professeur de systèmes de gouvernance à l’Université américaine, l’appelle « la sécurité par prestige », c’est-à-dire retrouver sur la forme un pays sûr, même si sur le fond, les problèmes persistent. Abd-Rabbo parle pourtant d’une certaine amélioration de la sécurité et note un recul des opérations terroristes, notamment dans la capitale, et une utilisation en baisse du mot « terrorisme » dans le discours de Sissi (lire page 5).

La politique est morte

De la gauche à la droite, politologues ou politiciens s’accordent à dire que si ces 100 jours ont dévoilé un indice sur les 4 ans à venir de Sissi, c’est quand même « la mort de la politique », dit Abdel-Ghaffar Chokr. « Une stagnation », selon les termes du porte-parole du parti Al-Nour, Nader Bakkar, qui croit que « le traitement politique des opposants disparaît en faveur du traitement policier ».

Il note aussi, en donnant comme exemple la loi des élections parlementaires qui accorde 80 % des sièges aux indépendants, qu’il y a une « tendance à réduire l’espace des partis politiques ». Cherche-t-il un retour à l’époque de Nasser où seul l’Etat faisait la politique ? « Pas de politique hors de l’Etat et ses institutions, et pas de politique tout court, si cela implique la transparence, les comptes à rendre et un gouvernement qui serait soumis au vote de confiance du Parlement », explique Abd-Rabbo. Les élections parlementaires qui devaient avoir lieu peu après son élection ont été reportées sine die et la feuille de route est désormais ajournée.

Les partisans du président et même les partis affichent publiquement leur volonté de former un Parlement qui ne contredit pas le chef de l’Etat. Ces 100 jours au pouvoir manquent aussi d’une politique alternative à celle des Frères. Pas de vision pour les droits de l’homme non plus. « La Constitution est ainsi restée lettre morte, et ne s’est pas traduite en termes de lois », affirme Chokr. Nader Bakkar, lui, fait référence à la loi sur les manifestations qui aurait dû être modifiée. En matière de liberté, c’est là où son impatience se manifeste rapidement. « Il est clairement sensible à l’opposition », pense le professeur de sciences politiques, Hazem Hosni.

Une tendance qui risque, selon les analystes interrogés par l’Hebdo, de se poursuivre jusqu’à la fin de son mandat, en attendant qu’une vision d’avenir se dessine. Amr Adly poursuit : « Il y a une conscience de la crise face à laquelle quelque chose se passe dans les cuisines de l’Etat. Mais de quoi s’agit-il ? Nul ne le sait » .

Le président a publié plus de 80 décrets qui ont force de loi. Voici les plus importants

Les universités

23 juin : Un décret pour amender la loi sur les universités annulant le mécanisme électif pour la nomination des recteurs et des présidents. C’est le président de la République qui va désormais désigner le président de l’université parmi trois candidats proposés par « un comité spécialisé ».

Impôt sur le revenu

30 juin : Un décret prévoyant l’amendement des dispositions de la loi de l’impôt sur le revenu impose des impôts de 10 % sur les bénéfices de la Bourse.

Le revenu maximal

2 juillet : Un décret-loi fixant le revenu maximal des employés dans les divers services publics à 42 000 L.E., soit 35 fois le revenu minimal déjà fixé à 1 200.

Impôt foncier

21 août : Un décret sur la modification de certaines dispositions de la loi de l’impôt sur l’immobilier. Les nouvelles modifications fixent l’impôt à 10 % de la valeur du bien. Le calcul de l’impôt foncier dépend de la valeur locative de l’unité. Les propriétaires d’un appartement de 2 millions de L.E. seront exemptés.

Assurance sociale

2 septembre : Un décret pour amender la loi sur l’assurance sociale. Le minimum de la pension passe de 150 L.E à 477 L.E.

Certificats d’investissement

2 septembre : Un décret-loi confiant aux banques Al-Ahly, Misr, Al-Qahira et Canal de Suez d’émettre des certificats d’investissement remboursables après 3 ans, à un taux d’intérêt de 12 %.

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