C’est officiel. Les Etats-Unis sont en guerre contre «
l’Etat islamique » (Daech en arabe), ce groupe djihadiste qui a récemment conquis presque le tiers de la Syrie et de l’Iraq et déclaré un califat islamique dans les territoires sous son contrôle. Pour gagner sa guerre contre le groupe terroriste, qui s’inspire d’Al-Qaëda, Washington a rallié une coalition internationale, occidentale et arabe.
Les Etats-Unis ont ainsi réuni, le 11 septembre à Djeddah, en Arabie saoudite, une dizaine de pays arabes, concernés par la lutte contre l’extrémisme religieux, qui doivent contribuer à des degrés divers à la bataille contre Daech. Il s’agit d’abord des six pétromonarchies du Golfe: l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Koweït, le Qatar, Bahreïn et Oman, ainsi que l’Egypte, l’Iraq, la Jordanie et le Liban. Tous sont préoccupés par la montée de l’extrémisme islamiste, que représente Daech. Ce dernier avait déjà affiché sa volonté d’étendre son influence dans la région, au-delà de l’Iraq et de la Syrie. Dans leur majorité, les Etats arabes qui ont rejoint Washington, malgré l’existence de différences d’interprétation entre eux, étaient demandeurs d’une intervention internationale contre Daech et réclamaient une stratégie globale de lutte contre l’extrémisme religieux. Ils estiment qu’un engagement régional n’est pas suffisant et qu’une intervention occidentale serait nécessaire pour venir à bout de la montée en puissance des groupes djihadistes radicaux, qui ont pullulé dans la région à la faveur des soulèvements populaires dans plusieurs pays arabes, depuis 2011.
La nouvelle stratégie des Etats-Unis, qui exclut toute intervention terrestre, comporte l’extension des frappes aériennes contre Daech en Iraq et le lancement de frappes similaires contre le groupe djihadiste en Syrie. Ce dernier point constitue un changement important dans la politique américaine envers le conflit syrien. Depuis la fin du retrait de son armée d’Iraq en 2010, Washington, sous Barack Obama, cherchait à éviter toute intervention militaire directe dans le monde arabe et le Moyen-Orient en général. L’année dernière, Obama s’est rétracté in extremis à lancer des frappes aériennes contre le régime de Bachar Al-Assad, après l’accord de celui-ci à détruire son arsenal d’armes chimiques. Il était également très réticent à équiper en armes la rébellion armée modérée contre le régime syrien, en partie de crainte que ces armes ne tombent entre les mains d’extrémistes religieux, qui sont en première ligne de la lutte contre Bachar Al-Assad. Cette réticence était une source majeure de friction avec l’Arabie saoudite, dont l’une des priorités est le soutien financier et en armes à l’opposition anti-Bachar. Riyad veut en découdre avec le régime syrien, en raison de son alliance avec la République islamique d’Iran, principal rival du Royaume wahhabite. Ce contentieux américano-saoudien devrait prendre fin puisque les Etats-Unis, dans le cadre de leur nouvelle stratégie, vont armer l’opposition modérée en Syrie, alors que l’Arabie saoudite ouvrira ses camps d’entraînement à quelque 10000 combattants de cette mouvance.
Les objectifs de la coalition arabo-occidentale sont multiples : contenir l’avancée militaire de Daech en Iraq et en Syrie, casser son image de force militaire imbattable, lui assénant ainsi un coup moral et psychologique qui réduirait son attrait et sa force mobilisatrice. Les récents et rapides succès militaires de Daech en Iraq et en Syrie ont fait grossir ses rangs et augmenté ainsi ses capacités à conquérir de nouveaux territoires. Selon les estimations du service de renseignements américain (CIA), le nombre des combattants de l’EI en Syrie et en Iraq est passé de 10000 à un chiffre oscillant entre 20000 et 31500, dont 15000 étrangers.
Le scénario d’affaiblissement de Daech pose cependant un dilemme majeur: comment réduire militairement l’EI sans que le vide laissé par son prévisible retrait sur le terrain soit rempli par l’armée du régime syrien? Autrement dit, comment empêcher que l’affaiblissement militaire de Daech ne profite aux troupes de Bachar Al-Assad? Pour faire face à cette éventualité, la coalition arabo-occidentale compte, comme mentionné, renforcer le camp de l’opposition modérée. Car seuls des raids aériens seront incapables de venir à bout de l’EI. Des forces terrestres doivent profiter de ces frappes pour gagner du terrain aux dépens de Daech. Or, l’opposition modérée est la composante la plus faible des forces anti-Assad et est incapable pour le moment de marquer la moindre avancée sur le terrain. L’opposition armée la plus puissante consiste en une multitude de groupes islamistes radicaux, dont le plus important est le Front Al-Nosra. S’inspirant d’Al-Qaëda, celui-ci est classé organisation terroriste par l’Arabie saoudite et les Etats-Unis. Ces groupes islamistes, l’armée syrienne régulière, ou les deux ensemble, risquent fort, en l’état actuel des choses, de remplir le vide qui serait créé par le retrait de Daech, prolongeant le conflit syrien et compliquant la recherche d’une solution durable.
L’Arabie saoudite, chef de file des pays du Golfe, voit, ou entrevoit, les choses sous un angle différent. Elle estime que le changement de la stratégie américaine, qui consiste pour la première fois en une intervention directe dans le conflit syrien (frappes aériennes, soutien militaire aux rebelles), créerait une dynamique nouvelle qui finirait par affaiblir le régime syrien et causer le départ de Bachar Al-Assad du pouvoir. Que les Etats-Unis aient franchi le rubicon de lancer des frappes aériennes contre des objectifs en Syrie pourrait les encourager à chercher à « finir le travail » en ciblant aussi des objectifs appartenant au régime, afin d’aider l’opposition. Certains voient dans le discours du président Obama du 17 septembre, où il a annoncé la nouvelle stratégie américaine, une allusion en ce sens, même si la priorité actuelle de Washington est l’anéantissement de Daech.
Riyad, qui était furieux contre ce qu’il estime une inaction américaine en Syrie, conditionnerait la poursuite de son aide aux Américains au développement de leur stratégie pour aboutir, à terme, au départ d’Assad. Les Saoudiens ne chercheraient certes pas une solution à l’iraqienne, mais à provoquer, grâce à l’intervention américaine et l’engagement occidental, une montée des pressions sur le président syrien pour qu’il accepte de quitter le pouvoir.
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