« Décembre ou février, ce n’est pas une grande différence ». La même phrase est formulée par deux sources qui évoquaient la date potentielle des prochaines élections législatives. Il y a d’abord Al-Sayed Al-Badawi, président du parti Néo-
Wafd, puis Moustapha Al-Fiqi, un ancien du PND, le parti de Moubarak, et conseiller «
officieux » du président Al-Sissi. Le premier affirme dans un entretien avec l’
Hebdo avoir exhorté le gouvernement à reporter le scrutin jusqu’à la révision de la loi électorale, promulguée la veille de l’investiture du président Al-Sissi et le lancement d’un débat sur le projet de loi des circonscriptions électorales. Le second sortait d’un déjeuner avec l’ancien premier ministre Kamal Al-Ganzouri qui s’efforce d’établir une liste
« nationale » des potentiels candidats
« après consultation des appareils sécuritaires », selon un rapport publié vendredi 5 septembre par le quotidien
Al-Ahram.
D’après lui, « Al-Sissi n’a pas le luxe de reporter davantage les élections, surtout pour son image à l’étranger ». Et entre les deux, une source gouvernementale affirme que « les élections se dérouleront à la date prévue ». Quand ? « Le président avait dit avant la fin de l’année », ajoute la même source. Il y a deux semaines, le chef de l’Etat aurait fixé cette échéance en recevant une délégation du Congrès américain, selon les déclarations du porte-parole de la présidence.
En effet, l’article transitoire 230 de la Constitution de 2014 exige que les procédures des élections législatives commencent au maximum 6 mois après l’entrée en vigueur du nouveau texte, soit avant le 18 juillet. Ainsi, juste avant l’expiration du délai, le président a décrété la création de la commission électorale pour contourner l’inconstitutionnalité du retard. « Les procédures », telles qu’exigées par la Constitution, ont ainsi de facto commencé.
Mais deux mois après sa création, cette commission constituée de juristes ne peut aller plus loin: la loi sur les circonscriptions étant encore « dans les tiroirs du gouvernement », comme l'indique une source juridique au Conseil d’Etat. D’autres s’attendent à la promulgation de la loi avant la fin du mois de septembre et le départ du président pour les réunions de l’Assemblée générale de l’Onu à New York. Contacté par téléphone, le conseiller Mohamad Qechta, membre de la Haute Commission électorale, s’est pourtant abstenu de tout commentaire.
Les plus proches du président affirment que le retard de la promulgation de cette loi est lié au nouveau projet d’Al-Sissi, encore en examen, de la division des gouvernorats. La répartition actuelle devra changer et 3 nouveaux gouvernorats seront créés. Aucune date n’est pourtant fixée. L’activiste George Ishaq rappelle pourtant que l’amendement de la carte des gouvernorats fait en 2006 « a pris une journée. C’est juste une excuse pour reporter le scrutin ». Une excuse qui permettrait au président, qui fait désormais cavalier seul s’emparant du pouvoir législatif et de l’exécutif, de publier davantage de décrets à valeur de loi. Rami Mohsen, président du Centre national pour les consultations parlementaires, recense ainsi « 83 décisions à valeur législative en moins de 100 jours de Sissi au pouvoir ».
Du mal à voir le jour
Le chef de l’Etat voudrait apparemment aussi s’assurer de la structure du nouveau Parlement avec lequel il partagera pour la première fois les prérogatives du pouvoir dans un système semi-présidentiel. Des tentatives de créer des coalitions électorales, qui serviraient plus tard de majorité au Parlement en faveur du chef de l’Etat, ont du mal à voir le jour. Au début, l’ex-chef des renseignements Mourad Mouafi et l’ancien ministre des Affaires étrangères Amr Moussa négociaient avec les partis pour tenter de les rallier, toutes tendances mêlées, avant que Mourad ne se retire sur fond de critiques de plusieurs partis, cédant la scène à Moussa, avant encore qu’un ancien premier ministre de Moubarak et proche de Sissi, Kamal Al-Ganzouri, ne fasse son entrée en scène (lire page 5). « Au nom de qui parle-t-il ? », s’indigne Ishaq, ajoutant: « Qu’il s’occupe de ses affaires. Les Egyptiens n’ont pas besoin de tutelle après deux révolutions ».
« Toutes sont des initiatives personnelles », croit Moustapha Al-Fiqi. Le chef du Wafd estime qu’il s’agit d’une manoeuvre électorale pour « donner l’impression qu’il s’agit de la liste soutenue par le président ». Celui-ci, selon lui, « n’a pas besoin d’assise au Parlement puisqu’il dispose de la plus importante assise populaire ». Il parle pourtant d’un règlement qui sera signé par les partis coalisés avant les élections (lire entretien page 4).
Pour le moment, au moins 5 coalitions s’efforcent de tenir bon. La coalition du Wafd avec le Social-démocrate, née après la révolution, et avec eux 4 petits partis presque inconnus, ainsi que quelques formations. Ils cherchent à rallier avec eux le dit « Bloc national », fondé par des indépendants et dissidents du parti Al-Dostour. Ce dernier n’a pas encore fait connaître sa position, mais il semble plus proche du Courant démocratique, une autre coalition, plutôt de gauche, et qui rassemble le Courant populaire de l’ancien candidat à la présidentielle Hamdine Sabahi, avec les partis dits de la révolution du 25 janvier : la Coalition populaire, Misr Al-Horriya et Al-Karama (lire article page 5). Par ailleurs, les anciens du parti de Moubarak, répartis sur plusieurs partis, se rassemblent de nouveau, formant le Front égyptien, lequel inclut le Mouvement national, le parti d’un autre ancien candidat à la présidentielle et premier ministre de Moubarak dans ses derniers jours au pouvoir, Ahmad Chafiq, ainsi que La Conférence, un parti auquel Amr Moussa s'est rejoint à un certain moment, et le plus ancien parti de gauche Al-Tagammoe. Ce Front, que dirige désormais Ganzouri, rassemble aussi des anciens ministres de Moubarak qui avaient créé Misr Baladi, un rassemblement de soutien à Sissi pour la présidentielle.
Vive l’Egypte est un autre bloc d’indépendants formé d’anciens cadres, dont l’ancien chef de la diplomatie et ancien président du parti La Conférence Mohamad Al-Orabi, le juriste Yéhia Al-Gamal, l’ancien ministre du Logement Hassaballah Al-Kafrawi.
Similitude entre les alliances
En dépit des changements de circonstances, une étude du centre Al-Badael menée par Dalia Zada note une similitude entre les alliances d’aujourd’hui et celles post-révolutionnaires. En 2011, note l’étude, « l’alliance visait à faire face aux vestiges du régime de Moubarak, considérant les Frères musulmans comme faction ayant participé à la révolution de janvier 2011. Et les alliances actuelles sont formées avec l’esprit de la crainte du retour des islamistes. C’est dire que dans les deux cas, l’objectif est l’exclusion d’un groupe particulier ou d’une faction particulière et le travail pour sa défaite dans les élections ».
Le salafiste Al-Nour, l’Egypte forte, de Abdel-Moneim Aboul-Fotouh, un ancien Frère, n’ont pas ainsi pris part à aucune négociation de coalition. Ils pourraient avec Al-Masréyine Al-Ahrar, fondé par le milliardaire Naguib Sawirès, faire la course individuellement et auront ainsi du mal à faire passer leurs listes. La loi des législatives, approuvée en juin, précise deux modes de scrutin pour les 540 sièges élus. 80% des sièges, soit 420, aux candidatures uninominales, et 20% (120) aux listes de partis closes ou absolues. Un mode à même de provoquer des contentieux et qui a été rejeté par la majorité des partis qui l’ont qualifié de « mode cacique qui rappelle les élections des années 1980 », estime Mohamad Sami, président du parti Al-Karama. Ce qui engendrera, selon lui, « des Parlements copies conformes à ceux des Parlements de Moubarak ».
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