« L
e président était furieux et a donné au gouvernement 3 jours pour alléger la crise de l’électricité », révèle une source au sein du gouvernement. Le chef de l’Etat venait de tenir une réunion avec les ministres du Pétrole et de l’Electricité. L’électricité est son premier casse-tête domestique. C’était mercredi 20 août et la production en électricité avait chuté d’un quart. Vendredi 22 août, les Egyptiens notent déjà une amélioration notable. Les coupures du courant se font moins fréquentes.
Dimanche soir, le chef de l’Etat fait référence à son prédécesseur Mohamad Morsi en notant qu’il n’avait pas été évincé de son poste à cause de la détérioration des services et notamment de l’électricité, qui avait irrité les Egyptiens et les avait poussés à manifester en masse contre lui. Ainsi, Al-Sissi a profité de l’occasion pour dévoiler les raisons derrière le recul des délestages. « L’importante amélioration est due à la priorité désormais accordée aux maisons au détriment des industries », a dit Abdel-Fattah Al-Sissi lors de sa rencontre avec des journalistes et présentateurs de télévision.
Gaber Al-Dessouki, président de la Société holding pour l’électricité, explique la formule montée avec le ministère du Pétrole: « Il a été convenu de fournir des quantités supplémentaires de carburant: gaz naturel, diesel et mazout, pour un total d’environ 5 millions de m3 équivalent gaz ».
Pour atteindre ce chiffre, la société holding EGAS a informé quelques dizaines d’usines à forte consommation d’énergie (engrais, ciment et métallurgie) d’une réduction de leurs quotas en gaz naturel. « Nous leur avons demandé d’entamer l’entretien de certaines unités de production durant les heures de grande consommation et ce, probablement jusqu’à fin août », affirme Hamdi Abdel-Aziz, porte-parole du ministère du Pétrole.
« La pénurie a vite chuté d’environ 6 000 mégawatts à 1200 avant de remonter à 2800 dimanche dernier, avec la forte chaleur et l’utilisation accrue des climatiseurs », précise pour sa part Mohamad Al-Yamani, porte-parole du ministère de l’Electricité.
« A titre d'exemple, sur 8 unités dans la région de Chabab à Ismaïliya, seule une fonctionnait avec une capacité de 150 mégawatts. Aujourd’hui, les 8 fonctionnent », précise Akram Ismaïl, cadre au ministère de l’Electricité.
Les responsables n’ont pas donné de date aux usines concernées, se contentant de dire que leur production sera touchée « jusqu’à l’amélioration de la crise ». Mais selon Akram Ismaïl, « le gouvernement ne pourra pas maintenir cette mesure plus d’une semaine. L’arrêt des chaînes de production est synonyme de pertes importantes ». Les usines et Chambres de commerce enregistrent déjà des pertes de 800000 L.E. par jour dans les usines de fer et d’acier, alors que l’industrie en général aurait perdu 15% de ses capacités de production à cause des coupures (lire page 5).
Le gouvernement, selon les experts, veut à tout prix surmonter cette crise cauchemardesque au moins jusqu’à début septembre, en espérant que les fortes perturbations diminueront avec la baisse des températures.
Déficit de 5 000 mégawatts
Selon les chiffres officiels, l’Egypte a besoin d’un peu plus de 28000 mégawatts pour couvrir ses besoins en électricité en été et 2 000 de moins en hiver. Mais la production actuelle tourne autour des 23000 mégawatts.
Les responsables voyaient la crise venir, « mais on l’attendait plutôt pour 2017. Nous espérions que l’exploitation de nouveaux gisements et la construction de nouvelles centrales allaient répondre à la demande croissante », avoue Hafez Salmawy, président de l’Organisme de règlement de l’électricité. Mais ni les gisements ni les nouvelles centrales n’ont vu le jour et, depuis des années, le pays connaît des coupures de courant qui se font de plus en plus fréquentes.
Les régimes successifs ne manquent pas de justifications. Le gouvernement de Mahlab en avance quatre. La pénurie de carburants nécessaires au fonctionnement des centrales, la détérioration de certaines centrales, le sabotage mené par les partisans du président déchu et la surconsommation des Egyptiens.
Pourtant, selon les données de la Banque mondiale en 2011, la consommation moyenne d’électricité par habitant était 10 fois inférieure à celle d’un Qatari et deux fois inférieure à celle d’un Sud-Africain. Le gouvernement ne cesse pourtant de demander aux Egyptiens de réduire leur consommation.
Le sabotage mené par les Frères musulmans et autres, gonflé par le gouvernement, ne touche finalement qu’environ 1% de la production, selon les responsables du ministère de l’Electricité.
Les experts s’accordent à croire que la crise est avant tout liée au carburant, gaz naturel en tête, puisque la grande majorité des centrales sont construites pour fonctionner à base de gaz naturel. « L’utilisation de mazout lourd et de diesel endommage les moteurs et réduit la production », précise Akram Ismaïl.
D’après un responsable auprès des centrales parlant sous couvert de l’anonymat, des centrales d’une capacité d’environ 2 000 mégawatts ont été ainsi mises hors service pour entretien et seront probablement rejointes par d’autres vouées à la retraite. 27% des centrales ont déjà plus de 20 ans.
Le changement de carburant était la solution pour laquelle avait opté immédiatement le gouvernement depuis que la production de gaz naturel a dégringolé. La révolution de janvier 2011 et l’instabilité politique qui a perduré 3 ans ont poussé à la stagnation des explorations de nouveaux champs, et l’Etat s’est finalement retrouvé endetté de 6 milliards de dollars envers son « partenaire étranger ».
« La production a ainsi baissé de 6 milliards de m3 à 5,2 milliards, puis à 4,7 », précise Hafez Salmawy.
Selon une étude menée par le chercheur Amr Adly de l’Université Stanford et publiée par l’Initiative égyptienne des droits personnels, l’Egypte a perdu environ 10 milliards de dollars de revenus en gaz de 2005 à 2010. L’étude intitulée « Contrats de corruption du gaz à l’ère Moubarak » révèle que le régime de Moubarak avait permis l’exportation de milliards de mètres cubes de gaz vers la Jordanie, l’Espagne et Israël, à des prix très bas.
Importer davantage
Le gouvernement Mahlab entend aujourd’hui compter sur les importations, mais à des prix beaucoup plus élevés. Sissi aurait ainsi conclu des accords avec l’Algérie et la Russie. Les responsables avancent décembre comme date d’arrivée du gaz naturel pour répondre au déficit.
En juin, Alger avait annoncé avoir accepté livrer 5 cargaisons de gaz naturel liquéfié à l’Egypte, d’ici la fin de l’année. « Les installations actuelles ne le permettent pas. Elle ont été construites pour l’exportation et non pas l’importation. On a besoin d’un terminal offshore », précise encore Akram Ismaïl.
Le port de Damiette permet une importation de petites quantités, mais Le Caire n’a pas annoncé son aménagement ou son expansion pour une éventuelle importation. Et d’où viendrait le financement? Pour l’instant, Le Caire compte sur des aides et dons de plusieurs milliards de dollars en provenance notamment d’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.
Parallèlement, le gouvernement a réduit les subventions sur les carburants. Il a du même coup autorisé l’importation du charbon pour pallier le manque de gaz, provoquant une vaste polémique environnementale. Le gouvernement a également affirmé sa volonté d’ouvrir la production de l’électricité au secteur privé. Mais pour l’heure, rien ne permet d’envisager une amélioration sur le long terme.
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