La couverture du magazine électronique « Dabiq », mis en ligne par Daech, en langue anglaise.
« Prévoyez si possible un départ d’un autre pays que le vôtre, en réservant un aller-retour de dernière minute. Ne perdez pas de temps à l’aéroport et sortez directement après avoir reçu votre bagage.
Prenez un taxi vers la gare routière d’Ankara, visitez la ville comme un touriste, vérifiez si vous êtes suivi ou pas. Contactez le responsable et faites ce qu’il vous dit ». Ce sont des instructions que le blog djihadiste d’
Ansar Al-Tawhid dépendant du front
Al-Nosra, qui enregistre plus de 6000 visiteurs par jour, présente aux volontaires pour rejoindre les combats en Syrie. Des cartes sont aussi mises en ligne, indiquant en rouge le trajet des combattants jusqu’à Gaziantep, la ville turque proche de la frontière avec la Syrie. Sur
Twitter, les
tweets font bon train, pour prêter serment d’allégeance au nouvel émir de Daech, Abou-Bakr Al-Baghdadi, qui a proclamé son califat sur les terres conquises en Iraq et en Syrie en juin dernier, d’après une vidéo diffusée sur Internet. Une autre vidéo promotionnelle d’un nouveau magazine, en anglais, qu’
Al-Qaëda entend mettre prochainement en ligne, intitulé «
Résurgence », fait le tour du Web.
L’activisme des organisations terroristes est en pleine expansion sur la toile, qui leur apporte une puissante arme de propagande. « Le djihad numérique » a été lancé il y a plus d’une décennie, quand Aymane Al-Zawahri, numéro deux d’Al-Qaëda et l’idéologue de l’organisation, a adopté une nouvelle stratégie de mondialisation du djihad, en l’insérant dans l’espace virtuel. « 50% de notre guerre contre l’ennemi est une guerre de propagande», a déclaré un jour Al-Zawahri. Ahmad Ban, spécialiste des groupes terroristes, explique qu’Al-Qaëda a été le premier à utiliser le Web tout au début des années 2000. L’organisation a créé son propre organe médiatique, la maison de production d’Al-Sahab, qui a mis en ligne des centaines de vidéos exaltant la victoire des attaques contre les soldats américains.
En parallèle, le nombre de forums djihadistes a progressé. De 13 sites en 2001, on en compte aujourd’hui plus de 6000, en plusieurs langues, qui jouent le rôle de mosquées, lieux traditionnels du débat, pour le recrutement de nouveaux djihadistes. Parmi ces sites aux larges audiences, on peut citer Al-Falouja, Hanin et Al-Tawhid. Ceux-ci offrent à leur visiteurs une bibliothèque de la jurisprudence du djihad, des discours sonores de prédicateurs radicaux, de l’expertise des anciens combattants en Afghanistan.
Leardership virtuel
C’est à travers ces sites que les djihadistes de « la troisième génération d’Al-Qaëda », ont pu voir le jour. Nommés les « loups solitaires », ils sont neutres dans la vie sociale, mais actifs sur le Web, et inconnus des services sécuritaires. Ils s’auto-radicalisent sous l’influence de ces forums. Leur leadership n’est aussi que virtuel. Le magazine en ligne Inspire d’Al-Qaëda rédigé en anglais, apparu en 2010 et piraté par les services américains en 2013, a été considéré comme l’inspirateur de ces « loups solitaires ». Selon Mohamad Younès, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, ce magazine a marqué un tournant dans la stratégie de communication et de recrutement d’Al-Qaëda. A travers ses 10 numéros, ce magazine au format attrayant, a présenté des méthodes pratiques aux djihadistes isolés pour commettre par eux-mêmes des attentats, comme par exemple comment « fabriquer une bombe dans la cuisine de maman » ou « incendier une voiture, en dix étapes ». Mohamad Merah, auteur présumé de l’assassinat de 7 personnes en France en 2012, les frères Tsarnaev, responsables inculpés dans l’attentat du marathon de Boston en 2013, dans lequel 3 personnes ont perdu la vie, incarnent ce modèle de loups solitaires.
Du cinéma d’action
Mais la véritable révolution numérique pour ces groupes, comme l’explique Rania Makram, chercheuse au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, est apparue avec les réseaux sociaux, en 2006. Selon elle, Daech a réussi à moderniser la propagande djihadiste. Le montage de son film intitulé « Le Choc des épées IV », avec ses prises de vues aériennes, zooms, effets sonores, respecte les codes du cinéma d’action. Daech séduit le plus grand nombre de fans sur les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter, en comparaison avec les autres mouvements djihadistes. « Les Européens » sont aujourd’hui, comme l'explique Makram, « les navigateurs visés», par ce groupe. Son nouveau magazine mis en ligne en langue anglaise, Dabiq, le montre bien. « La ligne éditoriale de ce magazine se concentre à embellir l’émirat de Daech pour attirer le plus grand nombre d’admirateurs occidentaux. Les photos de la cruauté et des destructions provoquées par ce groupe n’ont pas de place dans ce magazine ».
Selon un recensement d’avril dernier effectué par le Centre international pour l’étude de la radicalisation et de la violence politique, à Londres, le nombre de combattants étrangers agissant en Syrie en décembre 2013 est évalué à 11000 personnes, originaires de 74 pays. Parmi elles, près de 2 800 seraient des Européens ou Occidentau.
Lien court: