Al-Ahram Hebdo : Depuis le début de l’offensive israélienne, plusieurs trêves ont été annoncées puis rompues. Et le président américain, Barack Obama, a déclaré qu’un cessez-le-feu ne peut avoir lieu sans que le Hamas tienne à ses engagements. Que pensez-vous de la position américaine ?
Saëb Erekat : La position américaine est, comme d’habitude, injuste et totalement pro-israélienne. Ce n’est pas surprenant, puisque les Etats-Unis et l’Occident en général se sont toujours ralliés à la position israélienne. D’ailleurs, alors qu’Israël poursuivait son offensive meurtrière contre les civils gazaouis, les Etats-Unis lui ont fourni davantage d’armes au vu et au su du monde entier.
Cette guerre n’est ni la première, ni la dernière. Tant qu’il y a occupation, il y aura résistance — même s’il existe différentes formes de résistance. Cependant, cette offensive est l’une des plus violentes. A ce jour, nous avons plus de 1 700 martyrs et plus de 7 000 blessés. En outre, quelque 25 000 maisons ont été détruites et l’infrastructure de base fortement endommagée. Les habitants de Gaza vivent sans eau et sans électricité. Et c’est ce qui a poussé le président Mahmoud Abbas à déclarer — dans une lettre adressée à l’Onu — que Gaza est en situation de catastrophe humanitaire. Ce qui signifie qu’il faut ouvrir des corridors humanitaires pour l’approvisionner en produits de base et de première nécessité.
— Vous parlez comme si la situation actuelle allait traîner en longueur ...
— Je ne pense pas, en effet, qu’Israël ait l’intention de stopper son offensive dans le proche avenir. 16 000 réservistes ont été convoqués, et même si l’armée israélienne a déclaré avoir entrepris de retirer un certain nombre de soldats, elle en a déployé d’autres à l’intérieur de la bande de Gaza. De même, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a laissé entendre que l’opération allait entrer dans une nouvelle phase. Israël veut détruire l’ensemble de l’infrastructure de base de la bande de Gaza : eau, électricité, écoles, hôpitaux et maisons. Et c’est pour cela que nous avons demandé des garanties égypto-américaines pour toute éventuelle trêve.
— Qu’en est-il des trêves humanitaires ?
— Depuis le début de l’offensive, chaque fois qu’Israël accepte ou déclare une trêve humanitaire, il finit par la rompre et reprendre les bombardements de plus belle en tuant davantage de civils. Pour Israël, il s’agit d’accords tactiques et non pas d’une réelle volonté de cesser les hostilités.
— Quels sont donc, selon vous, les objectifs politiques israéliens à court et moyen termes ?
— En s’attaquant à l’infrastructure de base, Israël oriente les prochaines éventuelles négociations vers les questions relatives à la reconstruction de Gaza. Ce qui nous éloignerait de l’essence même des négociations et de nos revendications, à savoir la fin de l’occupation en premier lieu. Israël veut d’abord isoler la bande de Gaza et la détacher du reste des territoires palestiniens. Ce que l’Autorité n’acceptera jamais.
En outre, il ne faut pas oublier que cette offensive est intervenue suite à la réconciliation palestinienne et la formation d’un gouvernement d’union nationale. Aujourd’hui, il n’existe plus à Gaza un gouvernement du Hamas comme c’était le cas depuis 2006. Abou-Mazen (le président palestinien) a réussi à mettre fin aux divisions internes, car la réconciliation est une étape primordiale en vue de la solution des deux Etats, contrairement à ce que prétend M. Netanyahu. De plus, M. Netanyahu poursuit sa politique de colonisation, ce qui va à l’encontre de la création d’un Etat palestinien. Il est ouvertement contre la solution des deux Etats. Le premier ministre israélien a eu recours à cette guerre après la réconciliation palestinienne, pour échapper aux pressions exercées contre lui. Déjà, il avait pris pour prétexte l’accord de réconciliation pour stopper les pourparlers de paix. Il avait aussi imposé des sanctions à l’encontre de l’Autorité. Mais M. Mahmoud Abbas a réussi à isoler M. Netanyahu sur le plan international, en prouvant qu’il fait tout pour entraver les efforts de paix. Après la disparition des trois colons israéliens, M. Netanyahu a trouvé le prétexte qu’il attendait, il a exploité l’occasion pour mener cette guerre et anéantir la bande de Gaza, pour l’isoler et éloigner davantage la solution des deux Etats.
— Qu’en est-il des objectifs du Hamas ?
— A l’heure qu’il est, les objectifs du Hamas et les nôtres sont les mêmes. Ils se résument en la levée du blocus injuste de Gaza. C’est ce que réclament l’ensemble des factions palestiniennes, mais aussi l’OLP et l’Egypte.
— La délégation palestinienne présente au Caire représente-t-elle l’ensemble des factions ?
— Oui, il s’agit d’une délégation commune formée par Abou-Mazen et présidée par M. Azzam Al-Ahmad. Il n’y existe ni divisions, ni désaccords, et le but est commun : mettre fin à la guerre israélienne sous les auspices égyptiennes et avec des garanties américaines pour que cela ne se répète pas. La preuve qu’il n’y a pas de divisions palestiniennes est que toutes les factions ont respecté la trêve de 72 heures réclamée par les Etats-Unis et l’Onu. Mais c’est Israël qui a rompu cette trêve.
— Que pensez-vous de l’initiative égyptienne ?
— L’Autorité palestinienne et le président Abbas ont accepté cette initiative dès son annonce. Et comme l’a dit le président égyptien, Abdel-Fattah Al-Sissi, l’initiative égyptienne constitue la seule réelle chance pour mettre fin au conflit. Nous apprécions et nous considérons la position du Caire. L’Egypte n’est pas seulement un intermédiaire, elle a toujours été aux côtés du peuple palestinien. Nous sommes tous pour une accalmie, car nous ne voulons pas que davantage de sang palestinien coule.
— Pensez-vous que ces efforts diplomatiques puissent aboutir à une cessation des hostilités ? Etes-vous optimiste ?
— Je suis optimiste quant à la victoire de la volonté du peuple palestinien face à la machine de guerre israélienne. Mais il faut que nous soyons tous conscients qu’Israël, aussi bien que les Etats-Unis et l’Occident, ne connaissent que leurs intérêts. Il nous faut savoir, lorsque nous négocions avec eux, que c’est la langue des intérêts qui prime. Et aujourd’hui, après la réconciliation, notre position est plus forte.
— L’Autorité palestinienne va-t-elle recourir aux instances internationales ?
— Oui, nous l’avons déjà fait quand Israël n’a pas respecté ses engagements sur les libérations des prisonniers palestiniens. Cette fois-ci, nous allons recourir à la Cour pénale internationale, pour qu’Israël soit jugé pour les crimes de guerre commis à Gaza. Israël ne combat pas le terrorisme comme il le prétend, mais défend sa politique d’occupation dans une violation flagrante du droit international. Comme on peut le constater, Gaza subit aujourd’hui une destruction pire que celle qu’a subie Berlin lors de la Seconde Guerre mondiale.
— Qu’en est-il des pays arabes ? Ils semblent un peu absents ...
— Je demande aux pays arabes d’avoir une position commune et forte à l’encontre d’Israël. Et ce, afin de mettre fin à l’offensive israélienne, de soutenir l’initiative égyptienne, de lever le blocus de Gaza et de créer un Etat palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale. C’est là l’objectif ultime que nous devons tous poursuivre.
— En tant que chef des négociateurs palestiniens, pensez-vous qu’il soit possible de reprendre les négociations de paix israélo-palestiniennes une fois cette offensive finie ?
— Après la réconciliation palestinienne, c’est Israël qui a entravé la poursuite des négociations de paix en manquant à ses engagements, notamment concernant la libération des prisonniers, en imposant des sanctions contre l’Autorité palestinienne, et enfin, en lançant cette guerre. Pour reprendre les négociations, il faut qu’Israël commence par respecter ses engagements .
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