Après trois ans d’existence le Soudan du Sud est toujours plongé dans une profonde tourmente. Le 54e pays du continent africain reconnu par l’Onu le 14 juillet 2011, est confronté à une grave crise humanitaire et à une guerre civile extrêmement meurtrière. Cette situation est due au conflit de pouvoir sur fond de pétrole (le Sud détenait 80 % des réserves pétrolières du Soudan au moment de la scission), opposant le président Salva Kiir et son rival et ancien vice-président Riek Machar.
Depuis le 15 décembre 2013, les partisans des deux rivaux s’affrontent dans un conflit sans merci, entraînant avec eux la population des ethnies Dinka (proche de Salva Kiir) et Nuer (de Riek Machar). Un conflit qui a fait plusieurs milliers de morts et 1,5 million de déplacés selon les différentes ONG. L’armée régulière fidèle au président Kiir et les hommes de Riek Machar sont accusés par l’Onu d’avoir commis des atrocités et des exactions épouvantables, des localités sont carrément rayées de la carte.
Ils sont aussi accusés de ne pas avoir respecté le cessez-le-feu qui avait été conclu. Le secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-moon, a une nouvelle fois appelé, mardi 8 juillet, les belligérants à déposer les armes. Washington a renvoyé, à son tour, dos à dos Salvar Kiir et Riek Machar. Trois cessez-le-feu sont en effet restés lettre morte, ce que regrette la vice-secrétaire d’Etat américaine chargée des Affaires africaines, Linda Thomas- Greenfield. « Trouver un accord de paix, c’est bien. Mais si vous ne l’honorez pas, on ne pourra pas aller très loin. Donc, nous encourageons les parties à honorer cet accord, à retourner à la table des négociations, et à se préparer à aller de l’avant, pour que ce pays puisse célébrer ce troisième anniversaire. Car nous sommes excités par ce troisièmeanniversaire, mais en ce jour anniversaire, des gens du même pays se livrent à une guerre, et c’est très triste », a-t-elle confirmé.
Par ailleurs, rien ne permet de penser qu’à court terme, la situation des 11 millions de Sud-Soudanais va s’améliorer. Le président Salva Kirr et son adversaire Riek Machar ont beau clamer qu’ils souhaitent reprendre les pourparlers de paix, ils ne font aucun geste concret prouvant leur bonne foi. Quant à la communauté internationale, elle a beau multiplier les pressions, mais elle n’arrive pas à empêcher l’effondrement du pays.
Selon des observateurs, cette situation était attendue dès la création de ce pays.
« Ce conflit était malheureusement prévisible », explique le chercheur au Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) Marc Lavergne, spécialiste de la région. Largement souhaitée par la population, « l’indépendance sud-soudanaise est aussi le fruit de la politique américaine dans la région. L’Administration Bush est entrée dans les négociations après le 11 septembre et a réussi à imposer sa vision du clash des civilisations, en séparant les Arabes du Nord des chrétiens du Sud. Cette division n’était pas forcément la meilleure des solutions », a-t-il ajouté. L’Union européenne et l’Onu, présentes sur le terrain par la mission MINUSS, peuvent-elles changer la donne ? « On connaît la complexité des conflits africains. L’exemple de la Centrafrique montre les énormes difficultés pour un pouvoir étranger de résoudre des tensions qui existent déjà depuis un certain temps », tranche Lavergne.
Pour sa part, Ayman Shabana, vice-président du Centre des études soudanaises à l'Université du Caire, explique que la situation au Soudan du Sud est très compliquée et loin d’être facilement résolue. « Le Soudan du Sud souffre d’une structure politique fragile à cause des conflits ethniques qui le frappaient même avant son indépendance … », précise-t-il.
En outre, sous la pression internationale et américaine, des négociations ont eu lieu entre les deux rivaux et des propositions ont été faites, mais jusqu’à présent aucun accord n’a été signé. « La libération de prisonniers adversaires de Salva Kiir et la formation d’un gouvernement de transition représentant les différentes parties sont des conditions susceptibles d’être appliquées, mais tenir des premières élections et le départ de Keir avant la fin de son mandat en 2015 compliqueront plus la situation », conclut-il.
Alerte à la famine
Depuis plus d’une semaine, des ONG informaient la communauté internationale sur la famine qui risquait de frapper le Soudan du Sud. Lundi 7 juillet, Médecins du monde a tiré la sonnette d’alarme sur la crise humanitaire qui frappe ce pays. « Plus de 7 millions de personnes sont victimes d’insécurité alimentaire, soit plus des deux tiers de la population du pays, une situation qui pourrait s’aggraver d’ici la fin de l’année », lançait l’ONG dans un communiqué. Et d’ajouter qu’« une épidémie de choléra frappe Juba, la capitale, depuis le mois de mai dernier. Près de 2 200 cas ont été signalés à travers le pays et 54 se sont avérés mortels ».
Le 3 juillet, le Comité d’urgence britannique pour les catastrophes (DEC), une organisation qui réunit 13 ONG humanitaires, dont Oxfam et Save the Children, a aussi indiqué que si le conflit continue et que l’aide n’augmente pas, alors il est probable que d’ici août, des régions sombreront dans la famine. Le DEC soulignait avoir « moins de la moitié de l’argent nécessaire pour aider à empêcher que la crise alimentaire qui se développe au Soudan du Sud ne vire à la catastrophe ».
Selon Action contre la faim, la crise humanitaire n’en est qu’à ses débuts et ne fera que s’aggraver : « On estime à 50 000 le nombre d’enfants qui pourraient mourir de malnutrition, et des dizaines de milliers du choléra, de la rougeole, de la pneumonie et d’autres maladies si la réponse humanitaire n’est pas augmentée de façon significative », selon le bureau des Nations-Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Les enfants aussi menacés
En outre, les enfants, en particulier, affrontent aussi une malnutrition aiguë. Le nombre d’enfants qui risquent de mourir de causes liées à la malnutrition a augmenté de façon spectaculaire, laissant présager une catastrophe imminente.
On estime que 235 000 enfants de moins de 5 ans ont besoin d’un traitement pour la malnutrition aiguë sévère cette année, c’est deux fois plus que l’année dernière. Cela s’ajoute aux 675 000 autres enfants qui ont besoin d’un traitement pour la malnutrition aiguë sévère modérée. Jusqu’à présent, la communauté humanitaire n’a pas pu apporter le traitement requis à environ 10 % de ces enfants en raison des conditions difficiles. « Parmi les personnes qui ont dû fuir leur maison, beaucoup doivent marcher pendant des jours sans rien manger avant d’atteindre une ville comme la capitale de l’Etat de Bentiu, dans l’espoir d’y trouver de l’aide. Certains d’entre eux, en particulier les enfants, arrivent si gravement malnutris qu’il n’y a rien qui puisse être fait pour les sauver », a déclaré Jonathan Veitch, représentant de l’Unicef au Soudan du Sud. « Nous devons atteindre les populations isolées avec des vivres et des services essentiels pour leur épargner ce voyage périlleux », a-t-il poursuivi.
1,5 million de déplacés
Le conflit au Soudan du Sud a déplacé environ 1,5 million de personnes. Elles se sont dirigées notamment vers l’Ouganda et l’Ethiopie. Plus d’1,1 million d’entre eux — dont plus de la moitié sont des enfants — vivent dans des abris de fortune dans le Soudan du Sud avec peu ou pas d’accès à l’aide humanitaire. Quatre millions de personnes subissent un niveau d’insécurité alimentaire grave et l’Unicef prévient que 50 000 enfants de moins de 5 ans risquent de mourir cette année, s’ils ne reçoivent pas de traitement pour la malnutrition aiguë sévère. Cette crise a aussi gravement affecté l’accès humanitaire ainsi que les services de santé, d’eau et d’assainissement .
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