« Quand nous étions petits, ma mère nous promenait, mes frères et moi, dans un jardin qu’elle a surnommé le jardin des misérables
. Je la voyais pleurer en silence et je comprenais tout de suite que mon père l’avait maltraitée. Cela me chagrinait car je l’aimais beaucoup », dit Mohamad Chendy, 50 ans, réalisateur. Depuis, Chendy sait combien la femme est opprimée.
Devant son impuissance à faire quelque chose pour sa mère, il a demandé à ce que sa soeur soit traitée à son égal. Résultat : son père l’a renvoyé de la maison.
Chendy aurait pu ressembler à son père et avoir ce même regard vis-à-vis de la femme. Mais il a eu en horreur cette idéologie du macho. « En tant que garçon, j’avais beaucoup de liberté. Je pouvais recevoir mes copains à la maison sans que mes parents s’y opposent. Ma soeur aînée, qui vivait dans la même maison, n’y avait pas droit », regrette Chendy qui a observé cette iniquité autour de lui et qui dit que l’homme est libre, alors que toute une tribu gère la vie d’une femme.
Outre sa relation avec sa mère et sa soeur, c’est l’amour de l’art qui lui a permis de déceler les maux d’une société et de chercher à y remédier.
Ecriture, dessin et mise en scène, ce réalisateur anime des ateliers artistiques en collaboration avec des ONGs féministes pour aborder la violence exercée sur les femmes, le harcèlement sexuel et le viol conjugal.
Lors d’une conférence abordant le sujet de l’égalité entre les deux sexes, des hommes se sont exprimés : certains considèrent toujours la femme comme un objet de plaisir servant à la fécondation. « J’étais choqué d’entendre de tels propos prononcés par des personnes vivant parmi nous et qui occupent des postes-clés », dit Chendy avec colère.
A cet instant, il a compris que cela prendrait du temps avant que la société ne comprenne ce que veut dire « un être humain ».
Pour lui, liberté et égalité ne sont que des clichés que les gens prétendent adopter. Mais la réalité est toute autre: la femme continue d’être opprimée.
Il accueille dans ses ateliers des jeunes des deux sexes, d’apparence moderne, mais qui ont des idées arriérées. « Je discute des concepts et, pour réussir à obtenir leur adhésion, je fais valoir mes arguments en me référant aux droits de la femme », précise cet artiste qui milite pour la cause de la femme depuis son plus jeune âge.
« Après avoir terminé plusieurs ateliers d’écriture, nous avons commencé à discuter de ces sujets sensibles en essayant de ne pas choquer les mentalités ou provoquer de l’aversion », explique Chendy.
« Les ONG travaillent depuis des années sur les notions qui garantissent les droits de la femme. Mais la régression du statut de la femme est bien réelle », poursuit-il.
Chendy pense qu’il faut bannir de notre culture les idées rétrogrades qui entravent le progrès et le développement de notre société. Il constate que l’éducation et le cinéma renforcent les discriminations contre la femme.
En fondant un foyer, Chendy a voulu donner l’exemple en accordant à sa femme le droit de Aesma (le droit de demander le divorce). Il se souvient d’avoir été vivement critiqué par des hommes, mais aussi par des femmes. Et il continue à payer le prix de ses positions, puisqu’il vit en marge de la société. Pourtant, il le perçoit autrement. « J’ai des contacts avec des gens qui sont sur la même longueur d’onde et qui comprennent la situation de la femme ».
Aujourd’hui, son plus grand défi est de pouvoir changer les mentalités, surtout celles des femmes. « Ce qui me surprend, c’est que la femme peut exercer une pression sur elle-même. S’imposer des privations au détriment de ses droits, telle est l’éducation reçue par l’Egyptienne », dit-il avec étonnement
« Je rêve d’entendre un jour les parents dire: j’ai éduqué ma fille sur les principes de la liberté. A cet instant, je comprendrai que la femme est vraiment libre ».
Progrès et tradition ne sont pas incompatibles : Le message d’un saïdi
Waël Al-Béheiri, originaire d’Assouan et directeur du centre Afaq (horizons) pour le développement de la femme.
«
Ma mère a été victime d’une injustice en matière d’héritage. Elle a hérité de 400000 L.E. et n’a pu récupérer cette somme car l’argent de la famille ne doit pas tomber entre les mains d’un étranger, qui est mon père. C’est la coutume,
chez nous, en Haute-Egypte,», regrette Waël Al-Béheiri, originaire d’Assouan et directeur du centre
Afaq (horizons) pour le développement de la femme.
En fin de compte, ses oncles maternels ont fini par donner 10 000 L.E. à sa mère, une somme dérisoire.
En réalité, Waël n’est pas de l’avis de certains libéraux qui appellent à un partage équitable entre l’homme et la femme en matière d’héritage. Il veut tout simplement appliquer la charia qui stipule que l’homme doit hériter du double. Ce saïdi ne voit pas de contradiction entre la liberté de la femme et le respect des rites de l’islam. Il fait allusion aux femmes militantes dans l’Histoire égyptienne qui ont arraché le droit de manifester, de voter et de travailler.
« Mes filles Hanine et Assinate vont poursuivre leurs études jusqu’à la fin et avoir une carrière. On essaye de les éduquer sans leur faire subir de contraintes, mais dans un contexte qui convienne à notre culture », dit Béheiri.
Sa femme et lui ont fondé l’association Afaq qui travaille sur le développement politique et économique de la femme. « C’est ma femme qui a eu l’idée de cette association et c’est la raison pour laquelle elle en est la présidente. Je dois l’encourager et la soutenir pour continuer ce travail de bénévolat », dit Béheiri.
Il a compris qu’une femme doit être indépendante financièrement pour éviter qu’elle ne soit menacée à n’importe quel moment de sa vie.
Béheiri s’adresse aux femmes saïdies dans les champs, les écoles et partout ailleurs. « L’expérience montre quelques défaillances en matière de droits de la femme. Celle-ci doit apprendre comment les revendiquer ». Béheiri pense que la saïdie insiste à profiter de ses droits mais que les traditions restent un frein conséquent.
Il a été impressionné par la forte participation des femmes saïdies lors des élections présidentielles. « La femme a été réellement motivée et a sauvé le pays du chaos ! ».
Aujourd’hui, il souhaite qu’une loi soit promulguée pour pénaliser ceux qui privent les femmes de leurs droits.
Il travaille en coordination avec d’autres ONG pour faire pression sur les preneurs de décision afin de garantir un meilleur avenir aux femmes. Leur objectif : permettre à la femme de jouer pleinement son rôle dans la vie.
Mettre fin à l’excision : Quand un avocat s’engage
Ahmad Hamza, avocat et coordinateur dans l’Association de la femme pour le développement à Qalioubiya, dans le Delta.
«
En faisant mes études universitaires, je voulais insister sur le thème des droits de la femme. Je pensais qu’elle bénéficiait de tous les droits nécessaires lui garantissant une vie décente », se souvient Ahmad Hamza, avocat et coordinateur dans l’Association de la femme pour le développement à Qalioubiya, dans le Delta.
Ce jeune homme natif du village Sandbiss, toujours à Qalioubiya, a obtenu un emploi dans une ONG féministe après avoir terminé ses études universitaires. Au départ, il considérait ce travail comme une opportunité à ne pas rater. Mais en travaillant sur terrain, il a découvert que la femme souffrait d’une injustice criante.
Le travail de Hamza au sein de cette ONG a forgé sa personnalité et a changé ses idées envers la femme.
« J’ai toujours considéré la loi du kholea (droit de divorce de la femme si elle renonce à ses droits matériels, ndlr) comme une humiliation pour l’homme. Mais en découvrant les souffrances qu’elle subit, j’ai compris que le kholea est une bouée de sauvetage pour les femmes asservies ou opprimées », se souvient Hamza.
Au fil du temps, il a constaté que le sujet des droits de la femme était lié à tous les aspects de la vie quotidienne. « J’ai été choqué de voir des petites filles mourir à cause de certaines traditions ancestrales, comme l’excision ».
Chaque jour, il constate le nombre élevé de filles âgées entre 9 et 13 ans qui ont perdu la vie à cause de l’excision. Il n’hésite pas à donner aux villageoises des explications détaillées sur les causes du décès. Hémorragie, choc nerveux, infection, allergie à un antibiotique.
Dans son village natal, aider les femmes à obtenir leurs droits est devenu son objectif. Il lutte également contre le mariage précoce. Il évite d’organiser des conférences abordant les sujets tabous et préfère rencontrer les gens en privé pour les aborder. Aujourd’hui, il est fier que deux villages de Qalioubiya aient enrayé la tradition de l’excision et que sa campagne de sensibilisation ait porté ses fruits. « Des hommes m’ont critiqué vivement pour avoir abordé le sujet de la violence contre la femme en me disant que ce n’était pas mon intérêt d’en parler ».
Mais Hamza n’a pas l’intention de baisser les bras. Il continue de discuter avec des gens des deux sexes dans les villages des alentours, en appuyant sur les traditions qui entravent le progrès de la femme. Selon lui, la femme doit veiller à utiliser ses droits avec discernement et être responsable de ses choix, sans craindre la vision péjorative de la société.
« J’ai tenté de convaincre une amie avocate et victime de violence d’intenter un procès contre son mari qui l’avait rouée de coups. Il a été si violent qu’elle a perdu connaissance et a été transportée à l’hôpital où elle a passé 21 jours. Mais cette femme n’a pas voulu porter plainte pour éviter tout scandale. J’ai compris à quel point la femme avait besoin d’aide». Hamza dresse un bilan effrayant: « Si la femme éduquée ne revendique pas ses droits, que dire du sort de l’analphabète ? ».
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