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Le malaise des ouvriers

SamarAl-Gamal, Lundi, 30 juin 2014

Après un mois de répit, les protestations ouvrières ont repris avec les mêmes revendications. Le gouvernement, lui, propose une nouvelle loi sur le travail qui ne satisfait pas vraiment la classe ouvrière.

Le malaise des ouvriers
Photo: Moustapha Emeira

Ils étaient quelques dizaines à manifester cette semaine devant un Conseil des ministres déserté. « Ni Frères, ni libéraux, nous voulons travailler », pouvait-on lire sur les pancartes. Ils exigent l’application du verdict de la Cour administrative suprême, qui avait jugé nulle la privatisation de la compagnie de lin Tanta Flax. L’entreprise a été créée en 1954 sur une superficie de 311 000 m2 avec 10 usines produisant plus de la moitié de la production de lin dans le monde. Mais un demi-siècle plus tard, en 2005, la société a été vendue à l’investisseur saoudien Abdallah Kaki, qui a entamé une série de licenciements des ouvriers. Le verdict, émis en septembre 2013, exige le retour de l’usine dans le secteur public, et avec elle les ouvriers. 3 mois plus tard, l’ancien premier ministre du président islamiste destitué Mohamad Morsi, Hicham Qandil, est apparu à la télé, menotté et les yeux bandés pour ne pas avoir exécuté le jugement qui annulait la privatisation de la compagnie.

Hazem Al-Beblawy succède à Qandil, puis il est écarté en faveur d’Ibrahim Mahlab, et la situation des ouvriers reste la même. La ligne de production est toujours en halte. Le gouvernement a même modifié la loi sur les investissements, pour permettre une réconciliation dans « la corruption de la privatisation » et éviter les décisions judiciaires.

La semaine dernière, le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux a tenu une conférence ouvrière intitulée « Les demandes des ouvriers au troisième président » sous le slogan : « Nous voulons revenir dans nos usines ». Le cas de la compagnie de Tanta est loin d’être le seul. A la compagnie Suez pour les conteneurs à Port-Saïd, la compagnie de polypropylène, celle de la sidérurgie à Hélouan, presque partout on repère des ouvriers licenciés ou encore en lutte pour toucher leurs primes. Selon le Centre égyptien, le taux des protestations a baissé durant le mois de mai, alors que le mois de février avait enregistré le taux de manifestation le plus élevé, poussant Hazem Al-Beblawy à démissionner.

Mai a cependant enregistré 46 protestations, en grande majorité de nature « ouvrière », et la baisse temporaire rompue la semaine dernière avec la première manifestation ouvrière sous Sissi n’a pas été accompagnée d’une satisfaction des revendications. « Ces revendications avaient été soulevées même avant la révolution contre Moubarak », explique Fatma Ramadan, l’une des fondatrices de l’Union des syndicats indépendants. Sous Moubarak ou après sa chute, les ouvriers revendiquaient une amélioration de leurs conditions de vie et le droit de s’organiser en syndicats. Mais plus de trois ans après une révolution, dont ils étaient les vrais instigateurs, les ouvriers ont de plus en plus de mal à faire entendre leurs voix.

Le comité juridique du ministère de la Main-d’oeuvre vient de publier le projet d’une nouvelle loi sur le travail qui, une fois de plus, est en deçà des attentes de la classe ouvrière.

Officiellement, le projet de loi devrait être proposé à un débat de société, avant d’être promulgué par le président.

Le comité législatif qui a formulé le projet n’a pas cherché à éviter les critiques émises par les travailleurs et par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et s’est contenté de reformuler le texte sans rien changer sur le fond limitant ainsi le droit de grève des travailleurs. Après avoir confirmé le droit des travailleurs à la grève pacifique, le texte interdit pourtant la grève totale ou l’appel en sa faveur dans des installations stratégiques ou vitales, où l’arrêt du travail peut porter préjudice à la sécurité nationale ou à un danger clair et imminent pour la vie d’une partie de la population, sa sécurité ou santé personnelle. Le projet de loi impose aussi plusieurs conditions pour la tenue des sit-in et les interdit sur les lieux de travail, s’ils « conduisent à la suspension partielle ou entière du travail, ou empêchent ceux en charge de la gestion, ou les ouvriers, voulant travailler, d’entrer ou de faire leur travail ». Le texte du gouvernement exige d’autres mesures pyramidales, dont la participation d’au moins 25 % des ouvriers, au sit-in et son annonce par leur syndicat, ou encore que l’employeur soit informé au moins 10 jours à l’avance par lettre recommandée avec accusé de réception.

Rahma Réfaat, conseillère juridique du Centre de services pour les syndicats et les ouvriers, estime que la nouvelle loi ne met pas de terme au malaise ouvrier, et « ne rime surtout pas avec les textes de la nouvelle Constitution relatifs aux droits économiques et sociaux » (lire entretien page 4).

Même si le texte, tel qu’il est émis par le gouvernement, comprend certaines clauses positives selon les dirigeants ouvriers, comme les clauses relatives au travail des femmes ou à la création d’un conseil national pour la sécurité professionnelle et la santé, ou encore la reconnaissance implicite des syndicats indépendants, il consacre l’alignement du gouvernement sur les employeurs (lire Lecture dans la loi page 5).

« Certaines modifications sont certes négatives », estime l’ancien ministre de la Main-d’oeuvres, Kamal Abou-Eta, dont le ministère avait travaillé sur un projet de loi qui n’a jamais vu le jour. « Ce texte reflète le point de vue d’un comité technique et ne pourra pas être traduit en loi sans l’approbation des partenaires sociaux », dit-il, en référence aux ouvriers. Et d’ajouter : « C’est l’un des acquis de la classe ouvrière, aucune loi ne pourra être promulguée sans leur aval ainsi que celui des employeurs ».

Des militants ouvriers ont déjà commencé une campagne sous le slogan : « Vers une loi juste du travail », pour traduire les préoccupations des ouvriers dans la nouvelle législation, notamment concernant les contrats d’embauche, la politique de privatisation du secteur public et la liberté d’organisation. « L’Egypte a été retirée temporairement de la courte liste noire de l’OIT, car nous avions présenté au gouvernement un projet de loi sur le droit d’organisation, lequel est encore lettre morte, et s’il ne voit pas le jour, on récupérera notre place sur la liste noire », explique Abou-Eta. L’OIT avait, en mai dernier, classé l’Egypte sur la liste noire des pays violant les libertés et droits ouvriers, avant de la retirer début juin, estimant que Le Caire faisait des « pas positifs ».

« Les gouvernements successifs adoptent les mêmes politiques, comme si nous changeons seulement les personnes, et les politiques restent inchangées avec un alignement sur les hommes d’affaires contre les pauvres », lance Gamal, l’un des ouvriers de Tanta Flax qui manifestait. Le même jour, à l’Ecole militaire, le président Sissi annonçait : « Je ne pourrai pas répondre à une seule revendication factionnelle. Ce n’est pas que je ne veux pas ou que le gouvernement ne veut pas. C’est que nous ne pouvons pas ». Selon l’ancien ministre Kamal Abou-Eta, le gouvernement, dans le budget qui vient de s’achever, a accordé 500 millions de L.E. à la rénovation et à la restructuration des usines, mais pas une seule L.E. n’a été dépensée. Parce qu’il n’y a pas de volonté l

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