C’est en descendant du bus pour aller prendre le métro que Farida, 26 ans, remarque un homme en train de la dévorer des yeux. Au début, elle a essayé de l’ignorer. 20 minutes se sont écoulées et son harceleur ne la quitte pas d’un pas. Puis il s’approche d’elle alors qu’elle attendait le métro et lui murmure à l’oreille: « Viens avec moi, j’ai un appartement ». Farida n’hésite pas à se déchausser et lui assène violemment des coups. « Les policiers ont été très coopérants et ils m’ont accompagnée au commissariat pour déposer ma plainte », dit-elle, surprise par les marques de soutien des gens et la rapidité avec laquelle l’agent de police a rédigé son procès-verbal. En fait, cet incident est arrivé quelques jours après la promulgation de la loi sur le harcèlement. « Ce n’est pas la première fois que je suis victime de harcèlement. Parfois, je me tais et d’autres fois, je lance des injures », affirme Farida. Cette fois-ci, Farida s’est dit qu’elle devait réagir, obtenir son droit de circuler librement dans la rue. Sa patience s’est épuisée et en même temps le soutien des policiers l’a encouragée à aller jusqu’au bout de son procès.
« Le Parquet a laissé en liberté le harceleur mais le procès est en cours. Dorénavant, je ne me tairai plus. Obtenir mon droit c’est obtenir celui de toutes les femmes », dit Farida.
En effet, cette jeune femme de 26 ans et qui travaille dans une ONG ne reflète pas la situation de la plupart des femmes qui ont vécu cette expérience. Farida qui a croisé des activistes a appris ce que c’est qu’un droit et comment l’obtenir.
Imane, fonctionnaire, se baladait un jour avec sa copine dans le quartier d’Al-Hussein. Un homme lui a lancé de gros mots suivis de gestes érotiques avec les lèvres. « Sous le choc, j’ai hurlé et je l’ai attrapé par le cou. Mais les gens m’ont demandé de lui donner quelques coups seulement et de le laisser partir. J’ai insisté pour l’emmener à la police », souligne Imane qui a l’habitude de raconter à ses parents le comportement des gamins qui fréquentent l’école mitoyenne à la sienne et qui lancent des mots grossiers ou font des gestes indécents. Mais ses parents soupçonnaient toujours les filles qui étaient pour eux responsables de ce comportement des garçons. « J’en avais assez de tout cela. Je me suis dit que je devais prendre ma revanche cette fois-ci après toutes ces années de silence », confie Imane. Mais cette dernière a attendu trois heures au poste de police avant de déposer sa plainte. Elle est restée sereine pour obtenir son droit. Elle a du mal à raconter aux agents de police tous les détails de ce harcèlement. « Il y avait beaucoup de monde. Et le fait de répéter ce que le harceleur a dit ou fait est nécessaire pour prouver qu’il a commis ce délit », raconte Imane qui a pu surmonter cette difficulté en inscrivant toutes les obscénités entendues sur un bout de papier. Après avoir quitté le commissariat, la famille du harceleur a réussi à avoir son nom, son adresse et son numéro de téléphone à travers les documents détenus par la police. Depuis, Imane fait l’objet de pression de la part de cette famille qui lui demande de retirer sa plainte. Et ses parents qui n’ont pas été épargnés craignent que leur fille ne se marie jamais.
Procédures complexes
En effet, le fait d’intenter un procès contre un harceleur est un vrai parcours du combattant, car il faut non seulement suivre une série de procédures juridiques accablantes, mais surtout faire face à une société qui continue à culpabiliser la femme. « La société continue à voir dans le harcèlement un geste banal ou autorisé et non pas un délit », confie Asmaa, journaliste.
Cette dernière, qui pense que c’est son droit le plus absolu d’être protégée dans la rue et par la société, n’a pas voulu céder aux supplications des gens. « Ils pensent que le fait de jeter en prison ce jeune harceleur pourrait détruire son avenir », se rappelle Asmaa de la réaction passive des passants.
« Lorsqu’il m’a touchée, j’ai couru de toutes mes forces pour le rattraper. Les passants ont cru qu’il avait volé mon sac. Ils m’ont proposé de m’aider à l’emmener au commissariat mais dès qu’ils ont compris qu’il s’agissait d’un harcèlement, ils se sont éclipsés l’un après l’autre », relate Asmaa. « J’ai été déçue de voir que l’officier n’accordait aucun intérêt à ma plainte oubliant que cet homme avait porté atteinte à mon honneur, ma pudeur et ma dignité de femme. J’ai dit à cet officier que l’Etat est responsable de ma sécurité et que j’ai le droit de marcher tranquillement dans la rue et d’être protégée », déclare-t-elle.
Asmaa pense que la condamnation à une année de prison était suffisante pour ce harceleur de 43 ans.
Une nouvelle loi plus stricte
Aujourd’hui, et après la promulgation de la nouvelle loi, il semble que les choses sont en train de changer. Cette loi est devenue plus sévère envers les harceleurs qui peuvent écoper des peines de prison allant de 3 à 7 ans avec une amende qui peut atteindre 50000 L.E.
En effet, d’après le porte-parole de l’initiative Shoft taharrosh (j’étais témoin d’un harcèlement), la promulgation de la nouvelle loi du harcèlement semble avoir encouragé les victimes à porter plainte. D’après un responsable au Parquet, des centaines de victimes ont eu l’audace de déposer plainte, suite aux incidents qui se sont déroulés le 8 juin dernier à Tahrir, jour d’investiture du nouveau président Abdel-Fattah Al-Sissi.
Selon Mounira Sabry, féministe, plusieurs indices prouvent que le nombre de plaintes déposées s'est multiplié ces 2 dernières années. Les interactions sur les pages Facebook et Twitter révèlent que les femmes osent de plus en plus en parler.
Et ce n’est pas tout. « Nous recevons des appels de femmes demandant des informations concernant les procédures juridiques à suivre », constate Fathi Farid, porte-parole de Shoft taharrosh.
Il ajoute que cette initiative reçoit la plainte et précise à la victime les 3 endroits qui s’occupent des démarches à suivre, à l’exemple du bureau des plaintes du Conseil national de la femme : Nazra, Al-Nadim et le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux.
Mais, si le fait de déposer plainte est le seul moyen pour garantir à la victime d’obtenir son droit, cette étape est un vrai défi. Il est nécessaire d’introduire dans la loi un article qui protège la fille, sa famille et les témoins. « Il faut épargner à la victime toute pression ou menace pour qu’elle puisse surmonter le traumatisme qu’elle a subi », explique Azza Kamel, directrice de cette initiative. D’après elle, les procédures à suivre renouvellent chez la victime la souffrance et accentue le sentiment de traumatisme. Azza Kamel appelle à la nécessité d’avoir une loi qui englobe toutes les violences faites aux femmes. Autrement dit, il faut avoir une unité spéciale pour recevoir la plainte, au Parquet, en psychiatrie et en médecine légale.
En fait, tous les activistes s’accordent à dire que la promulgation d’une nouvelle loi ne va pas tout régler. « Il faut avoir tout un système juridique permettant à la femme de revendiquer ses droits. Ce qui va l’encourager à déposer plainte et sentir que l’Etat est là pour protéger ses droits », commente Ayman Nagui.
Un avis partagé avec Mostafa Mahmoud, avocat à l’institut Nazra pour les recherches. Il explique que la loi renferme des lacunes. « La loi ne mentionne pas qu’une fille peut perdre sa virginité avec les doigts et avec les armes blanches. Dans ce cas, il est impossible de prouverle viol», explique-t-il.
Pourtant, certains considèrent que des lois plus sévères ne mettront pas fin au phénomène.
« Prenons l’exemple de l’Est de l’Asie où le harcèlement est puni par la peine de mort. Cela n’a pas empêché les gens de commettre ce délit », souligne Mounira Sabry, féministe.
Changer les mentalités
Tout est basé sur la culture. « Il faut mettre fin à la passivité des gens qui sont les témoins d’un harcèlement. Leur rôle est décisif pour que la victime puisse obtenir ses droits. Des bénévoles travaillent sur le terrain. Ils expliquent aux gens qu’il faut soutenir la victime, lui porter assistance, l’accompagner au commissariat pour témoigner si cet acte blâmable est commis devant leurs yeux. On ne doit pas s’amuser à humilier les femmes avec des gestes mesquins ou des paroles offensantes qui portent atteinte à leur pudeur », explique Alaa Saad, responsable de communication dans l’initiative de la Carte du harcèlement.
Israa, 25 ans, fonctionnaire, a passé 3 mois dans une clinique de psychiatrie car ses parents l’ont obligée à retirer sa plainte. « Les parents du harceleur sont tombés gravement malades et sa femme a demandé le divorce. J’ai senti que j’avais détruit toute une famille, c’est pour cette raison que j’ai retiré ma plainte », dit-elle d’une voix secouée.
Mech sakta, mech metannécha, mech khayfa, mech ghaltana, mech maksoufa (je ne vais pas me taire, je n’ai pas oublié, je n’ai pas peur, je ne suis pas fautive et je n’ai pas honte) tels sont les slogans adoptés par la campagne de la Carte du harcèlement. Cette carte expose sur le site web et la page Facebook ces slogans pour encourager la femme à obtenir son droit et ne pas culpabiliser. « Si la femme a droit à l’enseignement, au travail, on doit lui garantir aussi la sécurité dans la rue. Je revendique ce droit et je suis déterminée à aller jusqu’au bout de mon procès », précise Imane
Tota Beshoy réagit sur la page de la campagne de Mech sakta en disant : « Je ne suis pas sûre que la loi va me donner raison. Si je suis victime d’un harcèlement, je me défendrai de toutes mes forces, je ne lâcherai pas ce criminel et je le traînerai jusqu’au poste de police ».
Une détermination qui ne pourra pas suffire, à elle seule, pour que cette fille puisse obtenir son droit. Il faut que tout son entourage la soutienne et qu’elle ait la patience d’aller jusqu’au bout.
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