Al-Ahram Hebdo : Comment se fait-il qu’une force fragile comme celle de Daech parvienne à l’emporter sur 30 000 hommes des forces armées iraqiennes hautement équipées à Mossoul ?
Salah Nasrawi : L’effectif sécuritaire comptait probablement plus du double de ce chiffre. Il ne s’agissait pas de forces de l’armée ou de la policeà proprement parler, mais de simples groupuscules dont d’anciennes milices ou de simples mercenaires qui avaient été enrôlés encontrepartie d’importantes sommes d’argent, et qui manquaient d’entraînement ainsi que d’équipements sophistiqués. Pire encore, ces forces ont prouvé qu’elles étaient non loyales. Et le premier ministre, Nouri Al-Malki, également commandant général des forces armées, assume cette responsabilité.
— Selon vous, l’Iraq est-il alors au bord de l’effondrement ?
— L’Iraq en tant qu’entité telle que nous la connaissons historiquement avec ses frontières, s’est totalement effondré. Il n’en reste que quelques cantons qui pourraient en l’occurrence se transformer en confédération dans le meilleur des cas ou en Etats indépendants. Mais ceci ne se fera qu’avec davantage d’effusion de sang.
— L’effondrement de l’armée iraqienne et les forces sécuritaires ressemble-t-il au scénario de la chute de Saddam ?
— Oui, à un certain égard. En 2003, les Américains avaient pris pour alliés un nombre de commandants de l’armée avant et durant l’invasion. Ils leur avaient garanti une place dans le nouveau régime qu’ils avaient fondé. A Mossoul, des opérations viles ont eu lieu et dont les détails seront dévoilés un jour ou l’autre pour révéler lesréalités du plan de la division de l’Iraq.
— Que pensez-vous des propos du chef de la diplomatie russe selon lesquels l’avancée de Daech et son emprise sur les grandes villes iraqiennes sont le résultat d’un échec de la politique américaine ?
— Faire endosser à l’occupation américaine la situation en Iraq n’apporte rien de nouveau. Mais il semble que la Russie s’apprête à utiliser la carte de l’Iraq, comme cela se passe actuellement en Syrie, dans son conflit avec l’Occident et notammenten Ukraine. Nous verrons cela clairement lorsque le dossier sera transféré aux Nations-Unies. Mais il y a un autre facteur dans l’équation: la crise iraqienne est partie des conflits régionaux et internationaux autour de l’énergie.
— Zibari a déclaré qu’il a été convenu avec les américains de mener des frappes aériennes contre Daech. Pensez-vous que ces frappes seront utiles ?
— Du point de vue militaire, l’Iraq aura besoin de frappes aériennes avec les drones mais leur coût politique sera extrêmement élevé, puisque les sunnites iraqiens et arabes s’y opposeront sauf si elles sont accompagnées d’une résolution politique à travers la formation d’un gouvernement de salut. Obama a affirmé qu’il n’enverrait pas d’effectif militaire en Iraq, mais des entraîneurs, experts. Pourtant, les réalités sur le terrain pourraient l’amener à changer d’avis. Ce qui est certain c’est que l’héritage de l’occupation de l’Iraq pourchassera la politique étrangère américaine pendant longtemps.
— Sur quels éléments se fondent les accusations selon lesquelles la coalition de Malki et la liste du président du Parlement, ont vendu Mossoul à Daech ?
— Il existe des accusations réciproques. Mais il est évident qu’il existe un complot dont les détails sont encore flous, etdont nous ignorons les acteurs. Comme cela est arrivé à plusieurs reprises dans l’Histoire, la chute de Mossoul a été le résultat de trahisons et de complots dont il est possible que nous ne connaissions jamais les détails. Malgré tout, nous savons parfaitement à qui profite cette situation.
— L’Iran restera-t-il les bras croisés après l’effroi qui s’est emparé de la plupartdes iraqiens chiites ?
— Les déclarations iraniennes sont claires au niveau de leur soutien aux chiites et le président iranien a déclaré que son paysdéfendrait les sanctuaires chiites. L’Iran est déjà présent en Iraq sous différentes formes, militaire, politique, économique et sociale. Ce sont les batailles sur le terrain qui détermineront le volume et la nature del’intervention iranienne. Je ne crois pas que l’Iran permette la défaite du régime chiite, parcequ’il sera visé plus tard.
— Daech s’est emparé de 480 millions de dollars dans les banques de Mossoul, outre des armes sophistiquées. Croyez-vousque Daech soit devenu incontournable?
— Outre ces fonds, le groupe reçoit des fonds destinésà la zakat. Daech impose également des taxes aux commerçants et hommes d’affaires depuis longtemps dans des villes syriennes et iraqiennes et a collaboré avec les trafiquants d’armes et de pièces archéologiques. Vous pouvez imaginer ce que peut faire un groupe terroriste avec autant de fonds. Si Daech n’est pas jugulé, il se ramifiera et s’implantera dans d’autres pays fragiles politiquement et socialement.
— Mohamed Al-Adnani, porte parole de Daech, a appelé ses partisans à avancer vers Bagdad. La chute de la capitale est-elle possible ?
— Bagdad accueille quelque 6 millions d’habitants, dont 4 millions de chiites, en majorité des pauvres déplacés des villes du centreet du sud, et ils forment la majorité des forces armées et des milices. L’entrée de Daech à Bagdad entraînera un bain de sang, mettra un terme à toute solution pacifique et perpétuera une guerre civile pendant des années.
— Les partisans de Saddam Hussein, notamment Ezzat Al-Douri et les cheikhs des tribus sunnites, sont-ilsderrière la chute de Mossoul et Tikrit ?
— Bien sûr, les cheikhs des tribus sunnites, les baassistes alliés de Saddam et surtout les anciens chefs de l’armée ont joué un rôle primordial que ce soit au niveau de la planification ou de l’exécution, et pas seulement à Mossoul, mais également dans lesvilles du triangle sunnite où les habitants sont victimes de marginalisation et d’exclusion. Mais la question est: jusqu’à quand les sunnites accepteront de voir le drapeau de Daech flotter sur leurs villes et jusqu’à quand les baassistes et les tribus seront soumis à la doctrine rigoriste d’Al-Qaëda ?
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