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Mohamad Abbas : Téhéran va saisir l’occasion pour coopérer avec les  Etats-Unis

Maha Al-Cherbini, Mardi, 17 juin 2014

Mohamad Abbas, spécialiste de l'Iran au Centre des études politiques et stratégiques d'Al-Ahram, estime que la situation en Iraq peut avoir un impact positif sur les négociations sur le nucléaire. Il avance qu’un accord pourrait être conclu en 2015.

Iran
Malgré les sourires, un accord final ne serait pas possible avant l'année prochaine. (Photo : Reuters)

Al-Ahram-Hebdo : La situation en Iraq aura-t-elle un impact négatif sur les négociations nucléaires en cours ?

Mohamad Abbas : Bien sûr que non. Il est vrai que l’Iran chiite est préoccupé par la progression des insurgés sunnites en Iraq, mais l’Iran n’interviendra pas militairement. L’Iran est un pays qui préfère éviter la confrontation directe. Il peut menacer mais ne lancera pas son armée dans une aventure aux conséquences incalculables face à des milices qui mènent des guérillas en Iraq.

Dimanche dernier, le régime iranien a affirmé être prêt à apporter une aide militaire et financière à l’Iraq, mais a refusé d’intervenir dans les combats. En 1998, les talibans sunnites se sont emparés du consulat iranien de Mazär-i-Sharïf et ont exécuté son personnel diplomatique, 11 Iraniens. A la suite de cet incident, l’Iran prévoyait d’envahir le pays et a massé ses troupes aux frontières afghanes mais a rebroussé chemin pour ne pas entrer en confrontation directe avec les talibans. Telle est la nature du régime iranien.

Et les négociations sur le nucléaire ?

La situation en Iraq pourrait avoir des conséquences positives sur les relations irano-américaines : Téhéran va saisir l’occasion pour coopérer avec les Etats-Unis afin de lutter contre cette nouvelle menace dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. Le président iranien, Hassan Rohani, a déclaré qu’il n’écarte pas une coopération avec les Etats-Unis sur le dossier iraqien. Des pourparlers directs débuteront prochainement entre les deux pays pour envisager une coopération avec le régime iraqien en péril.

— Loin de la crise iraqienne, comment voyez-vous l’avenir des négociations entre Téhéran et les Six à l’approche du 20 juillet ?

— C’est chimérique de parvenir, en six mois, à la solution d’une crise aussi compliquée qui date depuis une décennie. La signature d’un accord avant le 20 juillet semble imaginaire. Déjà, les Iraniens ont fait allusion à un possible prolongement des négociations, pour six autres mois, afin de parvenir à un accord final : possiblement le 20 janvier 2015.

Et quels sont les principaux désaccords qui entravent la signature d’un accord ?

— D’abord, il y a l’enrichissement de l’uranium. Téhéran tient à son droit à enrichir l’uranium alors que l’Occident veut que l’Iran renonce complètement à ce droit. Les Six craignent que si Téhéran continue à enrichir son uranium, à tout moment, le régime des mollahs pourrait hausser le niveau d’enrichissement et fabriquer une bombe. Il y a une crise de confiance entre les deux parties.

Outre l’enrichissement, Téhéran tient à augmenter le nombre de ses centrifugeuses de 20 000 à 50 000, alors que l’Occident exige la destruction de la plupart de ces centrifugeuses. Mais bien plus, il y a le dossier des sanctions. Les Six insistent à lever les sanctions internationales graduellement, alors que Téhéran réclame leur levée totale et immédiate. Reste la pomme de discorde la plus cruciale : celle du réacteur à eau lourde d’Arak. Ce dernier inquiète les Six qui réclament sa destruction car il produit du plutonium qui pourrait remplacer l’uranium dans la fabrication d’une bombe. Mais, Téhéran insiste à geler ses activités sans le démanteler, de quoi inquiéter l’Occident.

Pourquoi l’Iran tient-il à garder Arak et à augmenter le nombre de ses centrifugeuses puisqu’il ne veut pas fabriquer d’arme nucléaire ?

— Il s’agit d’une carte de pression que les Iraniens tiennent à garder en main, si les Six ne tiennent pas leurs promesses. La présence d’Arak, l’augmentation du nombre de centrifugeuses et la maintenance de l’enrichissement de l’uranium permettent à Téhéran de dialoguer en position de force. Le régime iranien ne veut pas faire de vraies concessions sur le nucléaire et n’est pas prêt à perdre les fonds énormes qu’il a dépensés pour ses installations nucléaires. Le président Rohani a déjà affirmé qu’il ne cédera pas d’un iota sur les droits nucléaires de son pays. Et si jamais il pense à céder, nul ne va lui donner cette chance : il sera accusé de trahison par l’aile dure du régime.

— Les chances de parvenir à un accord entre les deux parties sont-elles minimes ?

— Non. Il y aura sans doute un accord mais pas avant l’année prochaine. L’Iran a intérêt à conclure cet accord pour en finir avec les sanctions qui alourdissent son économie et pour qu’il commence à jouer un rôle en tant que superpuissance régionale. Par ailleurs, le président américain Barack Obama tient aussi à en finir avec ce casse-tête iranien avant la fin de son mandat en 2016 et après son échec en Iraq et en Afghanistan.

Comment les deux parties peuvent-elles parvenir à un accord si elles campent sur des positions inconciliables ?

— L’espoir réside dans les réunions bilatérales qui se tiennent fréquemment ces derniers jours entre Téhéran et Washington. Ces réunions sont l’unique bouée de sauvetage car les deux parties parlent loin des médias, loin de la pression de l’aile dure dans les deux pays et, plus important, loin de l’influence d’Israël opposé à tout accord avec l’Iran. Ces réunions informelles ont précédé la conclusion de l’accord de Genève en novembre et ont abouti à sa signature. Les deux côtés misent sur ces rencontres pour parvenir à un accord final.

Et si jamais ces réunions bilatérales ne donnent rien ?

— Si un accord n’est pas conclu, ce sera la catastrophe. Ce sera la guerre. Jamais Washington ne permettra à Téhéran de posséder l’arme atomique.

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