Les salafistes restent intransigeants sur la charia.
La querelle opposant islamistes et libéraux s’est soudainement envenimée après la décision le 23 octobre de la justice administrative de renvoyer devant la Haute Cour constitutionnelle l’affaire de la légitimité de l’assemblée constituante. La Haute Cour administrative, dont la décision avait déjà été ajournée à plusieurs reprises, s’est une nouvelle fois refusée à statuer sur la validité de cette assemblée et a transmis le dossier à la Haute Cour constitutionnelle.
La Cour devra juger de la constitutionnalité de l’article I de la loi 79/2012, relatif aux critères de choix des membres de l’assemblée, parce que ces derniers ont été choisis par un Parlement aujourd’hui dissous. Des dizaines de plaintes ont été déposées contre l’assemblée constituante depuis sa formation : elles mettent en cause sa constitutionnalité et le mécanisme utilisé pour le choix de ses 100 membres.
Ce report prolonge l’incertitude quant au sort de cet organe qui s’attelle depuis quatre mois à rédiger la Constitution de la « Nouvelle Egypte ». La constituante doit se réunir le 4 novembre pour étudier non seulement les changements proposés, mais aussi la possibilité de suspendre ses travaux, en attendant le verdict de la Cour constitutionnelle. Cette dernière demande a été formulée dans un communiqué par l’Assemblée nationale pour le changement, qui regroupe plusieurs formations d’opposition. Ce groupe a de même appelé le président Mohamad Morsi à honorer sa promesse électorale de former une assemblée constituante « plus équilibrée ».
Mais la constituante pourrait au contraire profiter de ce « délai judiciaire » — qui se situerait entre 45 jours et deux mois selon les experts — pour finir son travail et soumettre le texte final à un référendum. Quel qu’il soit, le verdict de la Cour suprême ne pourrait alors prétendre se substituer à la « volonté du peuple », soulignent les juristes.
Si les choses continuent selon leur cour normal, la nouvelle Constitution devra être finalisée vers la mi-novembre puis faire l’objet d’un référendum un mois plus tard, ainsi que le précise le président de l’assemblée constituante, le magistrat Hossam Al-Gheriani.
Suite à ce nouveau rebondissement, le débat entre les islamistes, et notamment les salafistes qui représentent 20 % de l’assemblée, et leurs opposants libéraux, laïques et de gauche, s’est brutalement durci. Un premier projet de texte présenté le 10 octobre par l’assemblée constituante a été attaqué par les libéraux notamment à cause de son « échec » à protéger les droits de la femme, la liberté d’expression et de culte et le caractère civil de l’Etat.
Menaces de démission
Un nombre croissant de membres de chacun des deux groupes menace de claquer la porte si leurs demandes ne sont pas prises en considération. Les salafistes montent au créneau pour obtenir la modification de l’article II de l’ancienne Constitution, pour faire des « jugements » de la charia — et non de ses « principes » — la principale source de la loi. Ces jugements, suivant qui les interprète, ne permettent pas, entre autres choses, une égalité de droits des hommes et des femmes, et autorisent par exemple le mariage des filles mineures.
Intransigeants, les salafistes affirment ne pas être prêts à trahir leur religion. « C’est une ligne rouge que nous ne sommes pas prêts à franchir pour plaire à une poignée d’occidentalisés », insiste Noureddine Ali du parti salafiste Al-Nour. De leur côté, les forces libérales considèrent que le premier projet de la Constitution institutionnalise une oppression taillée par les Frères musulmans et les salafistes : au niveau politique pour les premiers et aux niveaux sociétal et individuel pour les seconds.
Formations politiques et ONG ont lancé la semaine dernière une campagne baptisée « Une Constitution pour tous les Egyptiens » appelant à la dissolution de la constituante. Les auteurs de la campagne veulent la formation d’une nouvelle assemblée qui soit « représentative de la diversité sociopolitique de l’Egypte et de l’esprit de la révolution ». Les Frères musulmans, eux, jouent aux équilibristes, afin de sauver l’assemblée où ils sont majoritaires. Farid Ismaïl, cadre du parti Liberté et justice, essaie de minimiser l’importance des revendications de l’opposition et de la polémique entourant la légitimité de la constituante en déclarant que « les querelles entre les membres de la constituante sont une divergence de points de vue et non un conflit idéologique ».
Au contraire, Emad Gad, ex-député et membre du Parti égyptien social démocrate, déplore « l’absence de transparence de la part de l’assemblée qui n’a pas facilité le dialogue ». Il souligne avec regret que « sur les questions relatives à la charia, rien n’a filtré des débats. Tous ces débats se sont déroulés à huis clos, et les citoyens ont constamment été accusés de croire des rumeurs ».
Le citoyen ordinaire a, en effet, été systématiquement exclu des délibérations qui ont présidé à la rédaction de cette première version. Les divergences idéologiques de fond qui sont en réalité à la base de toutes les polémiques soulevées par la formation de l’assemblée constituante et ses méthodes de travail, ont systématiquement été minimisées ou niées par la formation majoritaire.
Pour Wahid Abdel-Méguid, porte-parole de l’assemblée, la précarité de celle-ci ne résulte pas uniquement de son statut juridique toujours en suspens mais « surtout du fossé qui s’élargit entre ses membres et qui pourrait entraîner son implosion » .
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