Dans le nouveau film égyptien Al-Dachach (le briseur), le comédien Mohamad Saad fait un retour attendu au cinéma après une longue absence de six ans. Ce film marque son retour dans le rôle d’un personnage complexe, celui du vilain costaud, un archétype du héros populaire qui, tout en incarnant les préoccupations sociales et les luttes internes de la classe populaire égyptienne, devient le centre de la réflexion sur la société contemporaine. Le personnage du vilain, interprété par Saad, se distingue par ses contradictions, sa vulnérabilité et ses aspirations, et constitue l’un des aspects les plus fascinants et révélateurs du film.
Partant d’un script usité et d’un châssis dramatique de déjà-vu, le scénariste Joseph Fawzi évite tant que possible de tomber dans l’histoire-cliché, en se focalisant sur les personnages. Une dominance de l’humain parfaitement mise en valeur par un discours de qualité et des scènes bien surabondées.
L’un des aspects les plus fascinants du film est la transformation d’Al-Dachach au fil de son parcours. Tout au début du film, le personnage Al-Dachach (le briseur ou celui qui brise les vitres des voitures pour les voler) est une figure violente et cruelle, prise dans l’environnement hostile qui l’a façonnée. Il incarne l’image d’un homme dur et cynique, pour qui la survie passe par l’exploitation de la faiblesse des autres. Il se montre prêt à tout pour maintenir son pouvoir, en se servant de la violence comme outil de domination. Ce portrait d’Al-Dachach est d’abord celui d’un homme rompu par un environnement cruel et une société qui l’a teinté d’un certain nombre de vices.
Le tournant du film survient lorsqu’il traverse une crise personnelle qui remet en question son mode de vie et sa vision du monde. Confronté à une trahison qui chambarde son équilibre, il semble se tourner vers une quête de rachat, cherchant à échapper à la grossièreté qui a toujours été la sienne. Cette transformation marque un moment de fragilité et d’humanité chez le personnage.
Cependant, il ne tarde pas à être atteint par la réalité et par l’infidélité qu’il subit. Cette trahison rafraîchit sa volonté de revanche. Ce retour à la violence n’est pas gratuit ; il est encouragé par un désir profond de justice personnelle, mais aussi par une prise de conscience amère : il n’arrive pas à fuir son passé. Cette chute dans la vengeance témoigne de la difficulté de sortir d’un cercle de violence et de trahison et rappelle que le passé, aussi regrettable soit-il, finit souvent par rattraper ses victimes.
On apprécie la simplicité dramatique du scénario. L’auteur est réputé pour ses écritures comiques telles que Théatro Misr (théâtre d’Egypte) et Al-Ragol Al-Akhtar (l’homme le plus dangereux). Le scénariste opte cette fois-ci pour un thriller, signant la meilleure oeuvre de sa courte bibliographie.
Une grande évolution
Mohamad Saad, qui avait auparavant joué des rôles comiques, s’éloigne de ses personnages caricaturaux habituels pour incarner cette figure dure et impitoyable. La force du film réside en grande partie dans la prestation de Saad, qui parvient à rendre Al-Dachach non seulement une figure violente, mais aussi un homme complexe et contradictoire. Sa performance offre au personnage une présence ferme à l’écran. Il joue Al-Dachach en montrant son accablement profond et son manque d’espoir. Saad n’hésite pas à explorer les aspects les plus sombres de son personnage, qui semble destiné à vivre dans la violence sans dégagement. Ce qui rend sa performance particulièrement marquante dans ce film, c’est sa capacité à renouveler son image. Après des années passées à jouer les bouffons souvent basés sur des caricatures et des personnages excessivement dramatiques, Saad prend le pari aventureux de jouer un rôle plus réaliste, plus humain et plus complexe. Sa capacité à incarner les différentes facettes de ce personnage — de la brutalité à la fragilité, de l’illusion de rédemption à la chute dans la vengeance — témoigne de la profondeur de son jeu.
En sortant des sentiers battus des personnages comiques ou grotesques, Mohamad Saad montre qu’il est capable de donner vie à des rôles plus intenses et plus adultes. Sa performance dans Al-Dachach a été largement saluée, tant par le public que par les critiques, qui reconnaissent la maturité et la force de son jeu. Il se libère ainsi de l’image de l’acteur comique qui l’a longtemps accompagné, en proposant un personnage qui va bien au-delà de l’image que le public avait de lui.
Une beauté visuelle prenante
Côté artistique, le réalisateur Sameh Abdel-Aziz fait preuve d’une maîtrise claire dans la gestion des aspects visuels du film. La direction artistique est tout simplement exceptionnelle : chaque élément visuel — des décors aux costumes — est choisi avec soin pour renforcer l’atmosphère du film. L’éclairage est l’un des points forts, avec une utilisation subtile des contrastes pour créer des ambiances tantôt dramatiques, tantôt légères. Les décors sont bien choisis et réalisés avec une attention particulière aux détails.
Sameh Abdel-Aziz montre une grande habileté dans la gestion des différents éléments visuels, sonores et narratifs du film. Grâce à un montage précis, une direction artistique soignée, les performances d’acteurs remarquables, une bande-son parfaitement intégrée et une attention particulière aux costumes et décors, le film parvient à offrir une expérience cinématographique riche et immersive.
Zeina joue un rôle qui allie légèreté et profondeur, incarnant une jeune fille simple, tiraillée entre des émotions contradictoires. Nesrine Tafech possède une présence indéniable à l’écran et son interprétation reflète une grande aisance dans les scènes de dialogue, notamment lorsqu’elle est en dialogue avec le personnage d’Al-Dachach ou en interaction avec les autres personnages principaux.
Nesrine Amin incarne un personnage aux multiples facettes, à la fois vulnérable et déterminé. Sa prestation est marquée par une grande amabilité et une capacité à transmettre des émotions conflictuelles sans tomber dans la caricature.
Bassem Samra apporte une certaine dimension au film avec un personnage — comme d’habitude — complexe et profondément humain, celui de l’ami devenu rival du héros.
Khaled Al-Sawi, dans le rôle du médecin complice qui contribue à la trahison et la tricherie collective dont Al-Dachach était victime, reste un maître dans l’art de jouer des personnages profonds et nuancés, tout en apportant une richesse sûre à son rôle, alliant ironie et sérieux avec finesse.
Le jeune acteur Ahmed Al-Raféï, lui, incarne un personnage assez plaisant. Son jeu est subtil et efficace, offrant un sourire mérité et une certaine fraîcheur distrayante.
Pour conclure, Al-Dachach est un film riche en émotions et en réflexions, qui nous offre un portrait de l’homme pris dans ses contradictions, cherchant à se réconcilier avec son passé tout en étant rattrapé par celui-ci. Le film marque donc un retour en force pour Saad, tant sur le plan critique qu’au niveau du public, et positionne Al-Dachach comme un point tournant dans sa carrière.
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