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Ces petits businessmen de la génération Alpha

Dina Darwich , Vendredi, 24 janvier 2025

Trois ados viennent de créer une nouvelle ligne de mode qui répond aux goûts de leur tranche d’âge. Un projet prometteur qui montre l’engouement de cette génération à embrasser très tôt, peut-être trop tôt, le monde des affaires. Focus.

Ces petits businessmen de la génération Alpha

Ils sont des entrepreneurs en herbe. Par des gestes acrobatiques, le trio est apparu sur scène faisant tourner la tête d’une équipe formée d’un jury de cinq hommes d’affaires importants en Egypte. Abdullah, Yassin et Alexander, fondateurs du brand Hawi, ont enflammé la toile après leur apparition sur Shark Tank. A l’écran, ils ont volé la vedette avec leur présentation singulière où fusionnent innocence, ambition et mini-expertise. Et avec la diffusion de vidéos, le discours de ces petits a gagné le soutien du public et des investisseurs, malgré leur jeune âge. Le premier supporter a été l’homme d’affaires Ayman Abbas qui a porté au cours de l’émission l’un de leurs produits.

Mais qui sont ces ados ? Abdullah Owais, directeur exécutif de Hawi, a 12 ans, fréquente l’école internationale Oasis de Maadi et joue également au squash, tandis que son ami et camarade de classe Yassin Mohamed a le même âge et est le directeur financier de Hawi.


A l’émission Shark Tank, le trio a fait tourner les têtes des grands Sharks.

Le troisième membre de Hawi à avoir volé la vedette dans Shark Tank est Alexander Avakian, un passionné de football âgé également de 12 ans et responsable de marketing dans ce petit projet. « L’idée de créer notre marque est née à cause du manque de vêtements de qualité qui puissent satisfaire au goût de la génération Alpha », a affirmé Alex au cours de l’émission. « C’est pour cela qu’on a lancé notre ligne de mode avec des produits à 100 % égyptiens tout en respectant le côté écologique. Un moyen pour les ados d’affirmer leur croyance, même pour ce qui est de l’habillement », poursuit Abdullah. « On a deux points forts dans ce projet. Le premier est que nous ciblons un large public de 8 à 11 ans, de 12 à 19 ans et enfin, les adultes de plus de 21 ans. Le second point fort, c’est que nous donnons à nos pairs la chance de faire leur propre design et ce, afin de garder une touche de singularité à chaque pièce », explique le petit directeur de marketing sur un ton d’expert très sûr de lui-même.


Trois amis d’enfance ont lancé leur petit business ensemble.

Un business en bonne et due forme

Côté finance et marketing, c’est le responsable des finances qui prend la parole. « Au cours du premier mois, nous avons vendu plus de 40 pièces, nous avons réalisé des ventes qui ont franchi les trois zéros, soit 24 000 L.E. », reprend Yassin, le jeune directeur financier, en ajoutant qu’il aspire à réaliser des ventes au cours de l’année 2025 qui dépassent les 270 000 L.E. en vendant 400 pièces à travers leur page Instagram, les bazars et les autres événements auxquels ils participant.

 Le défi qui s’imposait face aux petits investisseurs était de trouver un capital afin de lancer leur start-up, terminer les procédures officielles pour créer leur marque, réserver un lieu pour stocker leur inventaire et enfin, lancer une campagne publicitaire. « Tout cela coûte », dit le jeune CEO, en assurant qu’il a lancé son projet avec ses deux meilleurs amis à l’école dont l’un est talentueux en design et l’autre en mathématiques. Le trio qui a présenté son projet devant les plus grands hommes d’affaires, qui lui ont octroyé la somme de 100 000 L.E. en contrepartie d’un partenariat à hauteur de 20 %.

Des rôles partagés et une préparation minutieuse

Un succès qui a ébloui, mais qui cache tant d’histoires, d’effort et d’humour. Le nom du brand Hawi, qui veut dire magicien, a été proposé par Alexander, car il estimait que leurs designs sont en effet une sorte de magie. Un nom qui a été approuvé par l’équipe de travail, comme l’estime Carine, la mère d’Alex. « Ce qui leur a aussi donné un élan, c’est que leur école organise une compétition d’entrepreneuriats à l’instar de Shark Tank. Celle-ci a donc couvé leur marque. Or, la répartition du boulot a eu lieu entre les trois et selon les talents de chacun ».

Les parents ont, à leur tour, soutenu les jeunes pour que le projet voie le jour, jusqu’à leur montée sur le podium de Shark Tank. Le soutien familial a donc été le facteur commun dans les trois foyers. « Lorsque Abdullah est venu nous informer qu’il voulait lancer sa marque locale avec ses amis, nous l’avons aidé dans les moindres détails, de la production à l’expédition en passant par l’impression et l’emballage », confie la mère de Abdullah, elle-même ingénieure. « Dès le début, Alex nous a toujours demandé l’avis et nos commentaires sur tout ce qu’il faisait. Qu’il s’agisse des dessins, du logo, de la séance photo, du prototype, du site qu’il a développé, de la page sur les réseaux sociaux, etc. Il avait un esprit ouvert et a prêté l’oreille à nos commentaires », poursuivent les parents d’Alex, le père propriétaire d’une entreprise et la mère, ex-professeure de maths. « Yassin nous a demandé de l’aider à trouver un bon matériel pour produire des hoodies de qualité, tout en étant rentables. Nous l’avons également aidé à calculer les dépenses liées au projet, ainsi que les revenus, afin qu’ils puissent contrôler les bénéfices », témoigne la famille de Yassin, dont la mère est banquière et le père est ingénieur et directeur d’une société immobilière.

Au début, les ventes se faisaient au sein des familles, des amis et des camarades de classe. Quand leur projet a commencé à grandir, c’est l’école qui a déposé leur candidature devant les grands hommes d’affaires à l’émission Shark Tank. Avant la présentation de leur projet, de grands défis se sont imposés à l’équipe, afin de pouvoir signer cet accord décisif à ses mini-entrepreneurs. « Les maisons des trois familles se sont transformées en ruches d’abeilles. Les enfants passaient parfois des nuits blanches pour perfectionner les détails, chacun selon sa spécialité », racontent les familles.

Un succès, mais …

Une expérience certainement prometteuse qui a notamment pu se faire grâce au parrainage de l’école et des parents. « De nombreuses familles sont confrontées avec leurs enfants de la génération Alpha à certains problèmes concernant l’éducation, comme le manque de responsabilité, la culture de la surconsommation, le matérialisme, etc. De telles initiatives peuvent régler ces problèmes », explique Nihal Lotfy, professeure de psychopédagogie à l’Université du Canal de Suez, ajoutant que les petites ou micro-entreprises lancées par des jeunes sont un phénomène positif qu’il faut encourager, car elles développent l’esprit d’innovation et la créativité, ainsi que la confiance en soi. « Cela permet à ces jeunes d’apprendre la gestion du temps, la gestion des ressources et des tâches, le contrôle de la qualité, le travail d’équipe, la tolérance à la frustration, aux chocs du marché, la tolérance à l’échec, la persévérance pour atteindre l’objectif, etc. Toutes ces compétences sont très importantes pour leur avenir professionnel », souligne-t-elle.

Et le revers de la médaille ? L’expérience est certes enrichissante, mais elle peut avoir ses effets indésirables. « L’entrée prématurée dans le monde des affaires peut exposer ces jeunes à un fort stress, surtout s’ils cherchent à tout prix le profit financier. Dans ce cas, un éventuel échec risque de provoquer un sentiment de frustration, des doutes quant à leurs capacités et la crainte d’essayer à nouveau », estime la spécialiste, en ajoutant que l’accent mis sur le projet et sa réussite peut également affecter les relations humaines de ces jeunes gens, que ce soit avec leurs familles ou avec leurs amis.

Les enfants le reconnaissent d’ailleurs. « Nous sommes toujours tiraillés entre l’école, la gestion de l’entreprise, le sport et les autres activités sociales », confie l’un des jeunes. Mais, pris par l’enthousiasme de la jeunesse, il tempère : « Ce défi va de pair avec la poursuite de notre projet. Il nous faut plus de motivation et d’effort pour pouvoir concilier toutes ces choses à la fois ».

Mais les parents ont-ils été prudents en laissant leurs enfants devenir des entrepreneurs ? « Nous n’avons jamais poussé nos enfants dans ce sens. Nous essayons juste de leur donner la meilleure éducation possible, de les aider à explorer leurs centres d’intérêt, de leur permettre d’être créatifs et de les encourager à faire preuve d’ouverture d’esprit », répondent les parents à l’unisson.

Tout est donc une question de trouver le bon équilibre pour récolter les avantages de tels projets tout en évitant leurs désagréments.

« La surveillance des parents est alors très importante afin de trouver cet équilibre. Avant de se lancer dans le monde du business, les familles doivent promouvoir auprès de leurs enfants des valeurs telles que la concurrence loyale, l’intégrité, la justice et l’honnêteté », estime la pédagogue. Et de conclure : « Pour se construire de manière saine et équilibrée, les enfants qui se lancent dans de tels projets doivent comprendre qu’il ne s’agit pas uniquement de chercher le profit financier ou d’être sous les feux des projecteurs. Et là, le rôle le plus grand incombe aux familles, mais aussi aux sponsors, qui doivent certes les soutenir et leur montrer l’impact positif de leur projet sur la société, mais aussi leur inculquer les règles du jeu, les principes et l’éthique ».

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