Pour les Palestiniens, l’accord accorde des semaines de répit après une campagne militaire dévastatrice qui a tué plus de 46 000 personnes dans la bande de Gaza. Pour les Israéliens, il permettrait la libération d’au moins un tiers des otages restants détenus par le Hamas.
Au cours des 16 premiers jours du cessez-le-feu, le Hamas devrait libérer 33 otages en échange de plus de 1 000 prisonniers palestiniens détenus par Israël. Celui-ci est censé retirer progressivement son armée vers l’est de la bande de Gaza — à l’exception d’une zone tampon autour du périmètre —, permettant ainsi à des centaines de milliers de Palestiniens déplacés de rentrer chez eux. L’accord prévoit également une augmentation de l’aide humanitaire, suivie d’un plan à long terme pour reconstruire l’enclave dévastée. Il stipule le retrait israélien des corridors de Netzarim — qui coupe la bande de Gaza en deux — et de Philadelphie — qui longe la frontière avec l’Egypte — d’ici la fin du processus, des demandes que le premier ministre, Netanyahu, avait précédemment rejetées. Pour que l’accord survive au-delà de sa période initiale — six semaines —, les deux parties doivent trouver des solutions à d’autres questions, notamment les conditions dans lesquelles le Hamas libérera les quelque 65 autres otages, dont certains seraient morts. Il s’agit de négocier les moyens de mettre un terme à la guerre et le retrait total des troupes israéliennes de Gaza, deux mesures auxquelles s’opposent des membres-clés de la coalition extrémiste au pouvoir en Israël.
L’accord n’est pas dénué d’incertitudes et de risques, car si les négociations échouent, la guerre pourrait reprendre. Cette précarité provient du fossé qui sépare les positions des deux belligérants que les médiateurs ont cherché à combler par une formulation vague de certaines dispositions de l’accord. Les éléments qui restent ainsi en suspens pourraient facilement faire effondrer l’accord et provoquer la reprise de la guerre. Dans ce cas, un Hamas gravement affaibli pourrait se voir réduire son emprise sur Gaza. Mais si l’accord tient, le groupe palestinien conservera le pouvoir dans l’enclave qu’il détient depuis juin 2007. En effet, 15 mois d’offensive israélienne féroce n’ont pu venir à bout du Hamas, qui est loin d’être vaincu et continue à contrôler la ville de Gaza, le centre et des parties du sud de l’enclave. Il exerce un contrôle total sur les civils et recrute activement parmi une population jeune.
Mais un résultat qui laisserait le Hamas au pouvoir pourrait s’avérer préjudiciable à Netanyahu, dont les partenaires d’extrême droite ont menacé de quitter sa coalition si le Hamas survivait, un départ qui provoquerait l’effondrement du gouvernement. Pendant des mois, Netanyahu a tout fait pour éviter un accord qui mettrait en péril son pouvoir. La formulation ambiguë de certaines dispositions de l’accord résulte en partie de son besoin de le présenter comme un compromis temporaire, réduisant par là même le risque de départ des éléments les plus extrémistes de sa coalition et de chute du gouvernement. Par ailleurs, la fin de la guerre entraînera probablement une enquête sur les manquements sécuritaires d’Israël lors de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, ce qui pourrait nuire à Netanyahu, ainsi qu’à ses chefs de sécurité.
Malgré ces incertitudes, des facteurs plaident pour la survie du cessez-le-feu. Ironiquement, le langage vague de l’accord permettrait le maintien du calme sur le terrain tant que les deux parties poursuivaient les négociations, même si celles-ci prennent plus que le temps prévu — six semaines — pour parvenir à un nouvel accord. Et les deux parties ont des raisons de prolonger les négociations, aussi infructueuses soient-elles. Le Hamas, isolé et affaibli, veut rester dominant à Gaza et a besoin du temps pour récupérer.
De même, un vaste mouvement de protestation en Israël pousse Netanyahu à prolonger l’accord afin de libérer tous les otages ; une telle pression publique pourrait finalement étouffer toute réaction négative de l’extrême droite religieuse à laquelle il est confronté pour avoir mis fin à la guerre. L’euphorie qui devrait accompagner chaque accord de libération des otages pourrait accélérer la dynamique de soutien public en Israël pour un accord permanent. Netanyahu a peut-être calculé que 15 mois de bombardements intensifs contre le Hamas n’ont pas permis la « victoire totale » qu’il avait promise, car si ses principaux dirigeants militaires ont été éliminés, le groupe palestinien a fait preuve de résilience et recrute des milliers de nouveaux membres. En l’absence de victoire militaire qui correspond à la destruction du Hamas, Netanyahu aurait estimé que ramener les otages vivants chez eux — même au prix d’affronter l’extrême droite religieuse de sa coalition — constituait une « victoire politique » dont il avait grand besoin.
Le rôle de l’Administration de Donald Trump sera également crucial à cet égard. Il est établi que l’envoyé de Trump au Moyen-Orient, Steve Witkoff, a joué un rôle-clé pour pousser Netanyahu vers un accord. L’intérêt et la pression continue de la nouvelle administration pour une fin de la guerre pourraient pérenniser l’accord et prévenir un regain des hostilités.
Mais un règlement définitif du conflit, qui préviendra la reprise ultérieure de la guerre, doit attirer l’attention des parties prenantes. Aussi meurtrie et endommagée qu’elle soit, la formule de deux Etats reste la seule solution viable pour éviter de nouvelles violences dans les années à venir. Pourtant, le gouvernement israélien actuel est implacablement opposé à un Etat palestinien et Netanyahu a clairement montré, tout au long de sa carrière, sa détermination à ce que les Palestiniens n’aient jamais leur propre Etat. C’est ignorer la principale leçon de la guerre de Gaza, qui est celle de toutes les guerres de libération : la détermination des faibles à résister est plus décisive que la puissance de feu des forts. A Gaza, c’est la détermination du peuple palestinien à rester sur sa terre — même si elle a été réduite en ruines — qui s’est avérée être le facteur décisif dans cette guerre. Ni les tueries, ni la famine, la maladie et les brutalités n’ont pu briser la volonté des Palestiniens de s’accrocher à leur terre. Israël a supposé qu’en détruisant Gaza et en éliminant un nombre spécifique de combattants, il éradiquerait la résistance. Ce calcul était profondément erroné, car la résistance à Gaza est viscéralement liée au peuple palestinien.
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