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Une reconstruction hautement problématique

Ola Hamdi , Mercredi, 22 janvier 2025

Le processus de reconstruction de la bande de Gaza pourrait nécessiter 15 ans d’efforts et coûter plus de 80 milliards de dollars. Explications.

Une reconstruction hautement problématique
L’évacuation de 42 millions de tonnes des décombres à Gaza constitue un défi majeur pour les efforts de reconstruction.

« Gaza … une destruction sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale », c’est ainsi que les rapports de l’ONU décrivent la situation à Gaza, après les ravages provoqués par les bombardements israéliens intenses des 15 derniers mois. Les frappes israéliennes ont détruit les bâtiments et les infrastructures et fait des dizaines de milliers de morts, de blessés et de disparus. Les Gazaouis se retrouvent aujourd’hui au coeur d’une véritable tragédie, confrontés à une destruction totale qui rend les nécessités de la vie presque inexistantes dans la bande de Gaza.

Selon l’ONU, la reconstruction pourrait coûter entre 40 et 80 milliards de dollars et il faudra 15 ans pour achever cette reconstruction. Les données des Nations-Unies confirment en effet que l’ampleur des destructions nécessite des efforts à long terme. La société américaine RAND Corporation avait estimé, dans une précédente étude, que le coût pourrait atteindre 80 milliards de dollars, dont 700 millions pour seulement enlever les décombres. Certains économistes estiment que le coût pourrait atteindre 100 milliards de dollars, comme l’a déclaré Dr Ali Al-Idrissi, professeur d’économie et membre de l’Association égyptienne d’économie et de législation. Il évoque notamment la destruction généralisée des infrastructures, des logements, des établissements de santé et des écoles, ce qui nécessitera d’énormes efforts et une longue période de temps. « Evaluer avec exactitude le coût de la reconstruction est extrêmement difficile. Les chiffres avancés par les Nations-Unies et les organismes indépendants sont très disparates », dit Al-Idrissi.

Destruction totale

Les images et analyses satellite de l’ONU révèlent des destructions massives : environ 90 % des habitations à Gaza ont été endommagées ou détruites, entraînant le déplacement de plus de 1,8 million de personnes qui sont désormais sans abri. Un rapport conjoint des Nations-Unies et de la Banque mondiale indique que les dommages aux infrastructures sont estimés à 18,5 milliards de dollars jusqu’à fin janvier 2024, y compris les bâtiments résidentiels et commerciaux, en plus des écoles, des hôpitaux et des centrales électriques. Le rapport montre également que les réserves d’eau disponibles dans l’enclave palestinienne ne dépassent pas un quart des quantités disponibles avant la guerre. Le réseau routier a été endommagé à 68 %, compliquant la circulation de la population et l’acheminement de l’aide humanitaire.

Les données montrent en outre que les vergers et les champs de légumes ont été largement détruits après 15 mois de bombardements israéliens, aggravant la crise alimentaire dans la région. Selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), plus de 15 000 têtes de bétail (95 %) ont été abattues ou tuées et la moitié des moutons sont morts, ce qui affecte une source majeure de nourriture.

En outre, les données palestiniennes indiquent que 200 établissements de santé ont été endommagés ou détruits. Selon les données du ministère de la Santé de Gaza et du Centre satellitaire des Nations-Unies, 16 hôpitaux ont été mis hors service et nécessitent une réhabilitation, tandis que 28 % des hôpitaux de la bande de Gaza fonctionnent partiellement.

Les défis de la reconstruction

L’évacuation de 42 millions de tonnes de décombres à Gaza constitue un défi majeur pour la reconstruction de l’enclave palestinienne. Selon les Nations-Unies, ce processus pourrait prendre de nombreuses années et coûter jusqu’à 1,2 milliard de dollars. Selon le ministère de la Santé à Gaza, environ 10 000 corps seraient encore ensevelis sous les décombres. Un rapport du ministère des Travaux publics et du Logement dans la bande de Gaza révèle qu’il est difficile d’utiliser des équipements locaux, dont la plupart ont été endommagés ou détruits, ce qui nécessite l’introduction de dizaines de machines lourdes adaptées à la taille des travaux.

Al-Idrissi estime que les pays du Golfe, l’Union européenne et les Etats-Unis contribueront au financement de la reconstruction. Il souligne le rôle important que pourraient jouer les entreprises privées internationales et locales pour alléger le fardeau qui pèse sur les gouvernements. Idrissi souligne également le rôle-clé de l’Egypte dans le soutien technique et logistique, ainsi que dans la coordination des efforts de reconstruction. En effet, l’Egypte a annoncé être prête à accueillir une conférence internationale pour la reconstruction de la bande de Gaza. Selon de nombreux analystes, les enjeux dépassent largement le coût de la reconstruction des infrastructures détruites. En effet, la crise humanitaire à Gaza était déjà profonde avant le conflit, avec près de 40 % de la population dépendant de l’aide de l’UNRWA, notamment en ce qui a trait à l’emploi. La guerre a provoqué un effondrement sans précédent de l’économie de Gaza. Selon un rapport du Bureau central palestinien des statistiques, le PIB a chuté de 81 % au dernier trimestre de 2023, entraînant une récession de 22 % pour l’ensemble de l’année. A la mi-2024, l’activité économique était réduite à moins d’un sixième de son niveau d’avant le conflit. Le secteur privé, principal moteur de l’économie de Gaza, a été durement touché, puisque 82 % des entreprises ont été endommagées ou détruites, entraînant la perte des deux tiers des emplois qui étaient disponibles avant la guerre.

« Le taux de chômage a atteint plus de 80 % et les habitants de Gaza vivent à présent en dessous du seuil de pauvreté. Il faudra attendre 2092 pour que l’économie palestinienne revienne à ses niveaux de 2022 », déclare Rami Al-Ezza, expert au sein de l’unité d’aide à la Palestine de la CNUCED. Il rappelle que la population de Gaza était déjà confrontée à des taux de pauvreté élevés avant la guerre. Cependant, la situation actuelle a exacerbé cette problématique, touchant désormais presque l’ensemble de la population. Le manque d’emplois et l’insécurité alimentaire croissante ont considérablement aggravé les conditions de vie.

L’autre défi réside dans la question de la gouvernance de Gaza. Comme le souligne Al-Idrissi, cela dépendra de la durabilité du cessez-le-feu et de la résolution de certaines questions complexes telles que l’évacuation des décombres, la distribution de l’aide et les modalités de la reconstruction. On peut s’attendre à ce qu’Israël cherche à influencer le processus. Par ailleurs, les tensions internes entre les factions palestiniennes risquent de compromettre la coordination des efforts. En plus, le non-respect, par certains pays, de leurs engagements pourrait constituer un obstacle supplémentaire. Rami Al-Ezza insiste, pour sa part, sur l’urgence d’apporter une réponse humanitaire immédiate à Gaza et de trouver des solutions durables pour répondre aux besoins de la population, et ce, jusqu’à ce que les infrastructures soient entièrement reconstruites. Et de conclure : « La reconstruction de Gaza n’est pas seulement un défi matériel, mais un processus global qui nécessite une volonté politique et une coordination internationale pour assurer le développement et la stabilité de l’enclave palestinienne à long terme ».

  • 18,5 milliards de dollars : coût de la reconstruction des infrastructures.
  • 68 % des routes ont été détruites.
  • 200 établissements de santé ont été endommagés
  • 42 millions de m3 de décombres doivent être évacués.
  • 2 millions de déplacés à Gaza.
  • La guerre a fait 47 000 victimes.
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