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Veto au retour des « felouls »

May Al-Maghrabi, Lundi, 12 mai 2014

La justice a interdit aux caciques du régime déchu de Moubarak de disputer les élections législatives. Une décision qui relance un débat sur le principe de l'isolement politique.

Felouls
(Photo : Cherif Mahmoud)

Les anciens cadres du Parti National Démocrate (PND de Moubarak) dis­sout sont interdits de se présenter aux prochaines élections législatives prévues avant la fin de l’année. C’est la déci­sion du tribunal des référés du Caire. La déci­sion concerne les anciens secrétaires et membres des secrétariats du PND, les membres des comités politiques du parti et ses représentants aux conseils municipaux.

Une avocate avait intenté un procès contre le président de la République réclamant que les cadres du PND soient interdits de disputer les législatives. Dans ses attendus de juge­ment, la Cour a cité que depuis sa création en 1978, le PND a joué un rôle négatif en nom­mant des gouvernements corrompus, en pro­mulguant des lois anticonstitutionnelles et en n’appliquant pas les verdicts de justice. « Avec la dissolution du PND en avril 2011, le parti, comme le régime qu’il représentait, ont été évincés de la vie politique. Et en cette phase qui vise à instaurer un nouveau régime démocratique loin de tout despotisme ou cor­ruption, il va de soi qu’il faut interdire aux responsables du PND de se présenter aux élections législatives et municipales, pour protéger les acquis des deux révolutions menées par le peuple égyptien », a ajouté le tribunal. Cette interdiction peut faire l’objet d’un appel en justice.

Les avis divergent sur l’interdiction faite aux cadres du PND dissout de briguer les élections législatives. Si certains se félicitent d’une mesure importante qui barre la route aux tentatives des représentants de régime déchu de reconquérir la scène politique. D’autres remettent en question la légitimité de l’isolement politique. Ahmad Bahaa Chaabane, président du Parti Socialiste égyp­tien, qualifie le verdict d’important, pour empêcher les felouls de Moubarak d’entraver la transition démocratique. « L’élimination des partisans de Moubarak ainsi que des Frères musulmans permettra d’élire un Parlement représentatif de la révolution, apte à lutter contre la corruption et légiférer en faveur des libertés et de la justice sociale. Il ne s’agit pas d’isolement politique, mais de protection de la révolution », pense Chaabane. Selon lui, dans tous les pays du monde, les anciens partis politiques ont été supprimés après les révolutions. « Mais en Egypte, les membres du PND dissout commencent à sor­tir de leur terrier et à parler avec audace de leurs droits politiques. Ne se sont-ils pas demandés où étaient ces droits lorsqu’ils s’appropriaient illégalement les terrains de l’Etat et lorsqu’ils vendaient le secteur public ? Les membres du PND, qui ont gâché la vie politique au cours des décennies, ne peuvent plus redevenir une partie de l’équa­tion politique », pense Chaabane. Plusieurs membres de l’ex-PND avaient, au cours des derniers mois, formé une coalition pour dis­puter les prochaines législatives. En fait, depuis la révolution du 30 juin, certaines figures de prou du régime de Moubarak ont resurgi sur la scène médiatique et politique. Certains d’entre eux sont d’ailleurs accusés de défigurer la révolution du janvier 2011 au profit de celle du 30 juin.

C’est pourquoi George Ishaq, membre du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), bien qu’il se dise contre le principe de l’isolement politique, appuie la décision du tribunal. « Le PND endosse la responsabilité de décennies de corruption, de despotisme et de monopole du pouvoir. C’est à cause de ses politiques erronées que les Egyptiens souf­frent jusqu’à présent de pauvreté, d’analpha­bétisme et de maladies. L’Egypte a besoin aujourd’hui de se débarrasser de ces mau­vaises expériences et de trouver de nouvelles idées et figures représentatives de la révolu­tion. La donne politique actuelle ne favorise pas la réconciliation avec deux régimes cou­pables à l’égard du peuple, celui de Moubarak et celui des Frères musulmans », estime Ishaq.

Un point de vue arbitraire, selon Réfaat Rached, ex-cadre du PND, qui trouve injuste de mettre dans un seul panier tous les anciens membres du parti. « Le PND comptait des millions de membres. Faut-il exclure tous ceux qui y étaient associés ? Ou seulement ceux qui ont commis des crimes ? Aucune charge ne pèse contre moi, je suis un citoyen égyptien qui jouit de tous ses droits politiques, comme le stipule la loi et la Constitution, et je défen­drai ces droits », martèle Rached. Selon lui, l’ancien régime doit en partie côtoyer le nou­veau, pour que l’Etat puisse fonctionner.

Les divergences politiques, voire les rivali­tés avec le PND, n’empêchent pas Ahmad Fawzi, secrétaire général du parti Al-Masri Al-Dimoqrati (l’Egyptien démocrate), de s’opposer catégoriquement au principe de l’isolement politique. « Le processus démo­cratique nécessite une concurrence honnête entre tous les courants. D’autant plus que la Constitution garantit à toute personne ses droits politiques tant qu’il n’existe aucune charge qui pèse sur elle. En excluant tous les opposants du régime de la vie politique, on finira par reproduire le régime de Moubarak », s’explique Fawzi.

Constitutionnalité de cette décision

Sur un autre volet, des juristes remettent en question la constitutionnalité de cette déci­sion et la possibilité de sa mise en vigueur. En avril 2011, la Haute Cour administrative avait ordonné la dissolution du PND et la saisie de tous ses avoirs. Un an plus tard, le Parlement, dominé par les islamistes, avait adopté une loi d’« isolement politique », ratifiée ensuite par le Conseil militaire, qui rendait inéligibles pendant dix ans les plus hauts responsables du régime déchu et du PND, mais la Haute Cour constitutionnelle avait finalement invalidé cette loi à quelques jours du second tour de la présidentielle.

Répondant à un recours présenté par des ex-députés du PND, la Haute Cour adminis­trative avait aussi autorisé en septembre 2012, aux anciens hauts cadres du PND, à se porter candidats aux élections législatives. La Cour avait estimé alors que tout citoyen égyptien remplissant les critères de candidature pour une élection donnée devait être en mesure de bénéficier de l’intégralité de ces droits civiques, y compris le droit de se présenter pour des institutions législatives. Selon Réfaat Fouda, professeur de droit constitutionnel, « c’est un verdict émis par une instance non compétente contre une entité qui n’existe plus. Comment entend-on interdire la candi­dature des membres d’un parti politique qui a été dissout et dont les membres sont devenus des citoyens non affiliés politiquement ou qui ont rejoins d’autres partis politiques », se demande Fouda. D’autant plus que la Constitution traite à pied d’égalité tous les citoyens et interdit toute discrimination basée sur l’affiliation politique ou religieuse. « Par conséquent, l’interdiction faite aux membres du PND dissout ou aux Frères musulmans d’exercer leur droit politique est anticonstitu­tionnelle », réaffirme-t-il.

Evincer les pro-Moubarak de l’échiquier politique rassure ceux qui redoutent un retour de l’ancien régime. Reste à savoir si certaines forces d’opposition de l’époque de Moubarak, n’ont pas conclu de transactions politiques avec le PND. Et aujourd’hui, les nouvelles formations politiques sont-elles aptes à com­bler le vide politique qu’a entraîné la dispari­tion du PND, le parti le plus fort pendant 30 ans et des Frères musulmans, la force la plus organisée ? Des questions auxquelles la com­position du futur Parlement donnera des réponses.

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