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Les marques locales font la mode

Pissan Hussien , Jeudi, 16 janvier 2025

De jeunes entrepreneurs se lancent dans la création de marques locales de vêtements, d’accessoires de mode et de produits cosmétiques. Ce phénomène, stimulé par des changements socioéconomiques, tend à redéfinir l’identité commerciale de l’Egypte.

Les marques locales font la mode

« Pour moi, les marques locales égyptiennes représentent une excellente alternative à la fast fashion. En tant qu’étudiante, mes ressources financières proviennent d’Egypte, et le taux de change entre la livre égyptienne et l’euro est actuellement trop élevé. Acheter des articles de marques locales me coûte beaucoup moins cher que ceux vendus dans les grandes enseignes de fast fashion », déclare Habiba Metwally, étudiante en première année de master.

Habiba n’est pas la seule à penser ainsi. Ce phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur. En effet, la pandémie de Covid-19 a profondément bouleversé les habitudes et les modes de vie à travers le monde. Pour de nombreux jeunes Egyptiens, cette période a également été l’occasion d’exploiter leur temps libre pour se lancer dans des initiatives créatives. En 2020, alors que le confinement limitait les déplacements et les interactions humaines, de nombreux étudiants ont profité de cette période pour concrétiser leurs idées et lancer des entreprises innovantes.

C’est exactement ce qu’a fait Habiba Ashraf, fondatrice de la marque de vêtements « 8tch ». Concernant la raison derrière la création de sa marque, elle explique : « Je m’ennuyais à mourir durant la pandémie de Covid-19 et j’avais besoin de faire quelque chose ». Elle ajoute : « J’ai décidé alors d’exploiter mes talents en couture pour créer quelque chose que j’aimais. J’ai commencé par acheter une machine à coudre et du tissu pour fabriquer mes propres vêtements. En misant sur la qualité et une bonne finition, j’ai pensé qu’il valait mieux confectionner moi-même les pièces de manière professionnelle ».

Un élan entrepreneurial

Comme Habiba, de nombreux autres jeunes entrepreneurs ont saisi cette période d’incertitude pour transformer leurs passions en entreprises viables. Leurs initiatives couvrent un large éventail de secteurs, allant des produits cosmétiques naturels aux accessoires de mode, avec une attention particulière portée à l’utilisation de matériaux locaux et à la valorisation de l’artisanat égyptien.

Habiba, qui a créé sa marque durant sa dernière année de lycée, explique que cette expérience, loin de l’avoir freinée, l’a plutôt motivée. « J’éprouvais le désir de faire quelque chose qui pourrait m’encourager avant d’entamer mes études universitaires. Je ne voulais pas me sentir seule ni avoir trop de temps libre. Créer ma propre marque était une question d’identité », confie-t-elle.

D’un autre côté, la crise financière mondiale qui a suivi la pandémie a également renforcé cette tendance. Avec l’inflation et la hausse des prix des produits importés, les consommateurs égyptiens ont commencé à chercher des alternatives plus abordables. Cela a permis aux marques locales de se positionner avantageusement sur le marché. Elles offrent des produits adaptés aux réalités économiques du pays, tout en restant accessibles à un large éventail de consommateurs.

Habiba souligne que « l’inflation a permis aux marques locales de prospérer parce qu’elles offraient une bonne alternative avec des prix compétitifs et une grande variété de produits ». Et d’ajouter : « On peut maintenant trouver tout ce dont on a besoin auprès de marques locales, allant des parfums aux produits cosmétiques jusqu’aux vêtements du quotidien ».

Selon une économiste ayant requis l’anonymat, les perturbations des chaînes d’approvisionnement durant le confinement, combinées aux restrictions sur les importations et à leur augmentation de coût, ont permis aux marques locales de proposer des articles de substitution. Elle explique également que la baisse du pouvoir d’achat causée par la crise et l’inflation a poussé la majorité des consommateurs à privilégier des options plus économiques. « Ce confinement a provoqué un élan de créativité chez les jeunes entrepreneurs », conclut-elle.


 

Un sentiment nationaliste

Un autre facteur a contribué à l’essor des marques locales : le conflit israélo-palestinien. La guerre déclenchée contre Gaza après le 7 octobre 2023, ainsi que les atrocités commises par Israël contre les Palestiniens, ont exacerbé la colère des consommateurs égyptiens. Cela a renforcé l’ascension des marques locales et alimenté le boycott des grandes marques internationales. En solidarité avec la cause palestinienne, de nombreux consommateurs égyptiens ont choisi de délaisser certaines marques perçues comme complices d’Israël. Ce mouvement a mis en lumière les marques locales, considérées comme des alternatives éthiques et solidaires. Cet élan a offert une plateforme encore plus grande aux jeunes entreprises locales, qui ont bénéficié d’un soutien massif à un moment où la conscience sociale influençait fortement les choix de consommation.

Cette tendance a permis à de nombreuses marques égyptiennes de consolider leur place sur le marché tout en renforçant leur image auprès des consommateurs soucieux de faire des choix responsables. Zeina Labib, étudiante en licence d’économie et de mode à l’Université Eslsca en Egypte, explique : « Soutenir ces marques locales n’est donc pas seulement une question de budget. C’est aussi une manière d’encourager le savoir-faire égyptien tout en accédant à des vêtements et accessoires de qualité à des prix adaptés au budget d’une étudiante ».

Habiba, une autre entrepreneuse, souligne que « la campagne de boycott menée par les propalestiniens a beaucoup contribué à la popularité des articles et produits fabriqués à 100 % en Egypte ». Cette tendance a ainsi permis à de nombreuses marques locales de se positionner durablement sur le marché.

Cependant, ce point de vue n’est pas partagé par tous, à l’exemple de Malak Mansour, étudiante en licence de communication et de marketing à l’école internationale de mode et luxe (EIDM) à Paris. « Il y a des marques locales avec des prix qui ne sont pas du tout abordables ! Il reste encore beaucoup de travail à faire pour gagner la confiance des consommateurs et concurrencer les marques de fast fashion, qui existent depuis longtemps. C’est là le véritable défi », lance-t-elle.

En effet, bien que l’essor des marques locales soit prometteur, le chemin vers le succès n’a pas été sans obstacles. Habiba reste néanmoins optimiste. « Le principal défi était de trouver une usine et d’équilibrer la qualité avec les prix. Mais honnêtement, la conjoncture économique ne m’a pas vraiment affectée au début, puisque la situation était encore stable », confie-t-elle.

Pour de nombreux autres jeunes créateurs, les principaux défis résident dans l’équilibre entre qualité et prix, ainsi que dans la gestion d’une entreprise tout en poursuivant leurs études. Habiba explique qu’« au début, ce n’était pas une activité chronophage par rapport à aujourd’hui, mais à mesure que la marque grandissait, mon attention s’est de plus en plus portée sur l’entreprise ».


Habiba Achraf, fondatrice de la marque de vêtements « 8tch », a lancé son projet avant de rejoindre l’université.

Echoppe sur la toile

Le développement des plateformes numériques et des réseaux sociaux a été un facteur décisif dans l’ascension des marques locales. Des plateformes comme Instagram et Facebook ont permis à ces jeunes entreprises d’atteindre un public bien plus large, à la fois localement et à l’international. En quelques clics, des produits égyptiens peuvent désormais être commandés depuis l’autre bout du monde, renforçant ainsi la position des jeunes entrepreneurs sur la scène internationale.

Rania Ismail partage son expérience concernant l’achat de marques locales en ligne : « Ces marques conviennent à tout le monde ! J’en achète moi-même, et c’est mille fois plus facile avec les réseaux sociaux. Soit j’envoie un message direct sur leur compte Facebook ou Instagram, et la commande est expédiée directement à mon domicile avec paiement à la réception, soit je commande sur leur site Internet et je paie en ligne. La commande est alors livrée chez moi. C’est plus accessible et très simple maintenant ! ».

Cet accès direct au marché a permis à des marques locales comme Okhtein (deux soeurs) de collaborer avec des créateurs internationaux et de participer à des événements de mode de renommée mondiale. Par exemple, leur collaboration avec Balmain durant la semaine de la mode à Paris a marqué les esprits. L’expérience des deux soeurs fondatrices d’Okhtein dans la fabrication de sacs reste une source d’inspiration pour de nombreux jeunes entrepreneurs. Cette ouverture vers l’international confère une nouvelle dimension à l’entrepreneuriat égyptien, lui permettant de rivaliser avec des standards mondiaux tout en restant fidèle à ses valeurs locales.

Une nouvelle génération

L’essor des marques locales est également porté par une nouvelle génération de femmes entrepreneuses. Ces dernières apportent une vision novatrice et inclusive, tout en mettant en avant l’artisanat égyptien. Leur succès inspire de nombreuses autres femmes à suivre leur exemple, faisant de l’entrepreneuriat féminin un pilier essentiel de la croissance économique du pays.

Le succès de l’événement Shababco (votre jeunesse), qui rassemble des jeunes créateurs et entrepreneurs égyptiens, illustre bien cette montée en puissance de l’entrepreneuriat créatif. Lors de son édition 2024, tenue sur la Côte-Nord, Shababco a réuni plus de 50 marques locales et de nombreux artistes. Ce festival offre aux jeunes femmes entrepreneuses une plateforme pour exposer leurs créations et se faire connaître non seulement en Egypte, mais également à l’international.


Un sneak-peak de Shababco depuis leur compte sur les réseaux sociaux.

En plus des performances artistiques, l’événement met en avant un large éventail de marques locales, reflétant la diversité des talents créatifs égyptiens. Il constitue une opportunité unique de réseautage et de visibilité. Par ailleurs, des boutiques comme Locally rassemblent aujourd’hui presque toutes les marques locales, les rendant plus accessibles aux consommateurs. Karam Hussein, un collégien de 13 ans, estime que la boutique Locally a beaucoup apporté. « Pour moi, c’est plus facile maintenant d’aller acheter des marques locales. Avant, je devais attendre chaque événement de Shababco ou les commander en ligne via les réseaux sociaux. Aujourd’hui, avec la présence de Locally à Arkan Mall, on peut trouver les marques locales aussi facilement que Zara ou Bershka », dit-il.

Les marques locales ne se contentent plus d’être des alternatives aux produits internationaux. Elles sont devenues des symboles de renouveau et d’optimisme pour l’économie du pays. Soutenues par un fort esprit entrepreneurial, une utilisation stratégique des outils numériques et un intérêt croissant pour les produits locaux, elles s’apprêtent à conquérir de nouveaux marchés.

Les jeunes créateurs égyptiens, forts d’un savoir-faire unique et d’une créativité débordante, ouvrent la voie vers un avenir où les marques locales joueront un rôle central dans l’économie du pays. Ces initiatives offrent une occasion de découvrir ce que la jeunesse créative a de meilleur à offrir. Au final, c’est cet optimisme qui porte la promesse d’un avenir meilleur pour une population où la jeunesse constitue la majorité.

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