Au fin fond de ruelles relativement étroites, qui paraissent presque impraticables, se dressent des fromageries qui fabriquent du fromage blanc à partir de lait écrémé. Mariam et son mari travaillent ensemble dans leur fromagerie. L’époux collecte le lait après la traite du matin, tandis que sa femme est chargée de fabriquer le fromage et d’assurer l’hygiène et l’entretien de l’atelier fromager jusqu’à la fin du processus de production et l’expédition des commandes aux clients. « Je commence à travailler à 6h. Tout d’abord, je dois nettoyer tous les ustensiles nécessaires pour la transformation du lait en fromage. Une maintenance constante des contenants permet d’assurer une bonne qualité de production du fromage », déclare Mariam.
Un bon stockage garantit la durabilité du produit pour une durée d’une année. (Photo : Mohamad Abdou)
L’égouttoir, la cuve à lait, les morceaux de coton à fromage et les grands bacs en plastique permettant de laisser reposer le fromage dans le liquide qui reste, c’est-à-dire le lactosérum. Au préalable, Mariam verse tout le lait dans une cuve et le met à chauffer, puis attend quelques instants avant de mesurer sa température à l’aide d’un thermomètre.
Aucune substance chimique n’est ajoutée au fromage. (Photo : Mohamad Abdou)
Quand le lait atteint les 40 degrés, elle le déverse dans un grand bac de fermentation et ajoute la présure, un coagulant d’origine animale, extrait de la caillette (quatrième estomac) de jeunes ruminants après l’abattage. Elle couvre ensuite le contenant avec un couvercle et laisse reposer durant 3 ou 4 heures pour permettre au lait de cailler, avant de procéder à la séparation de la partie solide du lait caillé et la partie liquide qui n’est pas utilisée dans la fromagerie. Ensuite, le lait caillé est déposé dans plusieurs cotons à fromage qui servent de tamis d’égouttage. Deux longs bâtons en bois sont enfilés sur les deux côtés des carrés de tissu afin de les suspendre entre deux barres parallèles servant de support. De temps en temps, Mariam manie les bâtons en les remuant délicatement tout en les déplaçant d’un côté ou de l’autre pour obtenir des morceaux de fromage à forme cylindrique. Puis, elle saupoudre directement la surface du fromage avec du gros sel pour le solidifier. Le sel joue aussi le rôle d’exhausteur de goût, il est également un puissant agent de conservation.
Recette de grand-mère
« Cela m’a pris 4 ans pour atteindre le niveau que j’ai aujourd’hui. C’est ma belle-mère qui m’a appris la technique, les détails et les astuces pour éviter d’abîmer la production. Aujourd’hui, je suis fière de pouvoir fabriquer 65 kilogrammes par jour », raconte-t-elle. Malgré l’apparente simplicité de la fromagerie, les produits présentent toutes les caractéristiques d’un fromage frais, souple, écrémé avec une texture onctueuse. Une apparence qui met l’eau à la bouche, surtout quand le fromage est coupé à la main, en parts égales, comme si les morceaux sont mesurés avec une règle, car leur longueur est identique. Durant ce processus, al-mehla (le premier liquide obtenu après filtration) ne doit pas être conservé, il faut s’en débarrasser. Ce qui n’est pas le cas pour le lactosérum qui donne un indice que le fromage est prêt à être coupé et placé dans de larges récipients tout en le laissant reposer 48 heures avant de procéder à son emballage. « Vigilance et patience sont les mots-clés dans la fabrication de ce célèbre fromage largement vendu dans plusieurs gouvernorats, surtout à Assiout », précise Mariam.
(Photo : Mohamad Abdou)
En effet, la ville d’Assiout, qui est distante de 40 km d’Al-Barsha, est réputée pour la vente du fromage Mallawi, du nom de la capitale de Minya. « Assiout possède un grand marché qui est l’un des plus grands points de vente en Haute-Egypte. On y trouve tous les types de commerces dont la nature des produits vendus sont spécifiques aux habitants d’Assouan et aux personnes qui viennent du Soudan », décrit Moheb Samir, journaliste dans un site électronique qui vit à Al-Barsha.
Une fois le fromage prêt à la consommation, les fabricants doivent veiller à la technique de son stockage et son emballage. Les boîtes de conservation sont de diverses dimensions. Cela varie en fonction de la demande du client, allant d’un kilogramme à 10 kilogrammes. Tout d’abord, il est nécessaire de placer 2 grands sachets de conservation alimentaire au fond de la boîte avant de la remplir de fromage. Par la suite, on dépose délicatement les morceaux de fromage et on verse dessus du lactosérum, puis on noue les sachets, une fermeture saine qui empêche la propagation de l’humidité, avant de placer le couvercle et le fermer entièrement avec de l’étain.
L’hiver, une saison propice
Selon Ibrahim Mounir, ancien professeur à l’école agricole à Al-Barsha, les habitants du village ont commencé la fabrication du fromage blanc écrémé traditionnel grâce aux commerçants qui ont ramené ce savoir-faire de la ville de Damiette, située à l’une des extrémités du Delta du Nil. « La fréquence d’achat de notre fromage s’explique par le fait que le produit est frais et qu’il est fabriqué sans produit chimique et sans conservateur », relate Ibrahim. La fabrication du fromage blanc écrémé résulte de plusieurs facteurs. Il se prépare dès la fin du mois de novembre jusqu’au mois de mars. Tous les fromages d’Al-Barsha sont fabriqués avec du lait de bufflonne. Chaque jour, le propriétaire accompagne ses animaux au pâturage où la luzerne couvre les prairies. « A mesure que la température diminue, la bufflonne apprécie davantage cette végétation. Son lait, qui est entièrement écrémé, regorge de nutriments et vitamines », affirme Om Chénouda, femme au foyer. C’est de là que vient le nom du fromage dani (agneau) réputé pour ses matières grasses qui laissent des traces légères sur les lèvres et un bon goût en bouche.
A tous les repas
Durant les mois d’hiver, avec 5 litres de lait, cette maman fabrique quotidiennement environ 2 kilogrammes de fromage. Et s’il reste un petit surplus, elle va le stocker pour les mois d’été, car les habitants d’Al-Barsha ne fabriquent pas de fromage durant la période de grande chaleur. En effet, le fromage est le plat principal au petit-déjeuner, auquel on ajoute des légumes et qu’on mange avec le battaw (un type de pain fin et sec). Ce fromage frais peut accompagner aussi d’autres plats au déjeuner et au dîner. « On ne consomme qu’une seule fois par semaine de la viande ou du poulet. Alors, le fromage blanc écrémé est notre source principale de protéines et de calcium », précise Ibrahim Mounir. Il ajoute que le lait de bufflonne est beaucoup plus gras que celui de la vache, et il est bénéfique pour la santé. Les graisses contenues dans le fromage n’augmentent pas le taux de cholestérol dans le sang.
Une renommée au niveau national
Ce fromage s’est bâti une grande réputation, y compris sur Facebook. Montagat Barshawiya (les produits de Barsha) est une page Facebook dont les fans sont estimés à environ 4 000 personnes. « 90 % de la demande sur la page sont destinés au fromage. Au début, je n’avais pas l’intention de vendre du fromage à toutes les villes de l’Egypte. J’avais commencé ce projet en énumérant les vertus de tous nos produits comme le fromage, le kechck, le pain, le beurre, le miel et l’huile d’olive. Ensuite, beaucoup de questions m’ont été posées sur le prix du fromage et le taux de sel, concernant les fromages salés et moins salés », raconte Nardine Boutros. Et d’ajouter : « Je suis déjà une pionnière rurale, ce qui me permet de visiter les maisons pour vérifier la propreté et le savoir-faire dans la fabrication du fromage, afin de procéder à mon activité sans danger ». Résultat : une dizaine de familles envoient leur production vers différents endroits en Egypte.
Al-Barsha occupe toujours la première place parmi les différents villages des gouvernorats qui produisent du fromage, car les habitants de ce petit village n’ont pas modifié la recette traditionnelle. Le fromage blanc écrémé est à 100 % fabriqué avec du lait de bufflonne. La présure est extraite de la caillette de jeunes veaux. Et cette présure est vendue dans les abattoirs. L’estomac du veau secrète un enzyme qui aide à la solidification du lait. Cette présure d’origine animale perd de son efficacité au bout de 3 mois. L’importance du fromage blanc chez les Egyptiens remonte à l’ancienne époque.
D’après le Conseil suprême des antiquités, le fromage blanc est une production typiquement égyptienne. Lors des fouilles à Saqqara, on a découvert que les Anciens Egyptiens avaient l’habitude de stocker du fromage dans leurs tombes. Il servait aussi d’offrandes.
Les habitants d’Al-Barsha espèrent que leur ville Minya reprendra sa place dans le commerce du fromage. Les activités économiques ont été bloquées durant les années 1990 en raison de la menace terroriste. « Notre objectif est d’avoir des fromageries climatisées et un centre de collecte de lait durant l’hiver, sous contrôle du ministère de la Santé pour garantir une production saine et régulière chaque mois », conclut Ibrahim Mounir.
Lien court: