Pendant plus d’une décennie, l’Egypte a maintenu une position prudente vis-à-vis de la Syrie, cherchant à concilier ses propres intérêts avec le rôle d’Assad en tant que rempart contre l’extrémisme et garant de la stabilité institutionnelle du pays.
Cependant, l’avènement de HTS a bouleversé cet équilibre délicat. Le Caire se trouve désormais confronté à une situation complexe, devant naviguer entre la nécessité de préserver sa sécurité nationale et la prise en compte des nouvelles réalités géopolitiques qui se dessinent en Syrie, un pays avec lequel l’Egypte a partagé un lien profond, et le même nom de la République arabe unie sous Nasser dans les années 1950.
Le spectre d’une résurgence des Frères musulmans, le risque de débordements terroristes et la montée inquiétante d’une idéologie extrémiste à ses portes constituent autant de menaces qui hantent les décideurs égyptiens.
La prudence a ainsi guidé la réaction initiale du Caire face à ce nouveau régime. Il a fallu 20 jours pour engager officiellement une communication avec les nouveaux dirigeants syriens. Un premier contact a été établi sous forme d’un appel téléphonique entre le ministre des Affaires étrangères, Badr Abdelatty, et son homologue syrien, Asaad Al-Shibani, accompagné d’un geste d’aide humanitaire, suite à un post sur X par le tout nouveau ministre syrien, qui a déclaré que Damas souhaitait établir des « relations stratégiques avec l’Egypte, respectant la souveraineté des deux pays et sans ingérence dans leurs affaires ».
Cette démarche visait à évaluer la situation sans pour autant s’engager pleinement. « Nous ne nous précipitons pas », a déclaré une source informée.
L’ambassade d’Egypte à Damas n’a, en effet, été jamais fermée, bien que l’ambassadeur ait été rappelé en 2011. Un chargé d’affaires est resté en poste, assurant la continuité de la représentation diplomatique, même sous le nouveau régime. Il a participé aux réunions organisées par le ministère syrien des Affaires étrangères, au même titre que les autres missions diplomatiques. « En pratique, les liens n’ont jamais été totalement rompus », souligne une source informée parlant sous couvert de l’anonymat.
Malgré les tentatives de HTS de se présenter comme une autorité politique légitime, l’Egypte demeure sceptique vu l’idéologie et l’histoire du groupe fondamentalement incompatibles avec sa propre stabilité.
Le « Wait and See » du Caire
Des rapports indiquent déjà que certains « terroristes » se sont vu accorder la citoyenneté syrienne, ce qui a accru les inquiétudes égyptiennes.
C’est l’une des raisons qui ont poussé l’Egypte à durcir les conditions d’entrée pour les ressortissants syriens, à l’exception de ceux détenant des permis de séjour temporaires non destinés au tourisme. « Nous devons nous assurer que les procédures d’émission de permis, de passeports et d’autres documents officiels sont rigoureusement contrôlées, afin d’empêcher l’entrée d’individus suspects sur le territoire égyptien », a déclaré une source informée. « Nous avons aussi constaté des interactions entre HTS et des individus classés ici comme membres d’organisations terroristes ».
Vu d’Egypte, le modèle de gouvernance de HTS pourrait encourager des groupes similaires ou au moins raviver les activités des Frères musulmans. « Après la chute du régime, l’Egypte s’est inquiétée de la possibilité que la Syrie devienne un terrain fertile pour des groupes terroristes qui pourraient relancer leurs activités sur le sol égyptien », observe Ahmed Megahed Al-Zayaat, expert en sécurité régionale. Zayaat estime que la présence d’un nombre significatif de Non-Syriens au sein de l’administration actuelle suscite également des inquiétudes. « La question se pose de savoir si ces factions resteront en Syrie ou chercheront à exporter leur modèle dans d’autres pays », souligne-t-il.
« L’Egypte s’inquiète de la possibilité de la réinstallation de groupes terroristes dans d’autres régions, telles que la Libye ou le Soudan, le long de ses frontières. En outre, il y a une appréhension concernant la possibilité de soutenir les Frères musulmans en Egypte ou de réorganiser le groupe en Syrie ou dans les pays voisins, en particulier avec les rapports de terroristes se voyant accorder la citoyenneté syrienne », explique une autre source.
La position du Caire consiste à observer avec prudence la nouvelle administration, en attendant de voir si le régime change son idéologie sous la pression internationale ou tente d’améliorer son image pour obtenir le soutien international. « Plus nous attendons, nous aurons une meilleure compréhension de leurs plans, de leurs idées et de leurs actions », a ajouté l’une des sources.
« Nous devons attendre de voir le vrai visage de l’administration syrienne dans les mois à venir. Va-t-elle changer ses politiques pour coexister, puisque Ahmed Al-Chareh est passé du statut de terroriste à un homme d’Etat, ou va-t-elle continuer à parrainer des organisations terroristes ? », a ajouté Zayaat.
Néanmoins, un canal officiel a été ouvert à haut niveau à la suite de l’appel téléphonique entre les deux ministres des Affaires étrangères. « Le début d’une communication renouvelée », déclare une source, soulignant la déclaration du ministère égyptien qui comprenait « une confirmation de la poursuite des consultations dans la phase à venir ».
« Cela ne signifie pas cependant que nous nous précipitons ou que nous nous dirigeons hâtivement vers une ouverture complète. Nous suivons toujours de près certaines questions qui suscitent des inquiétudes ». Pour l’instant, aucune visite de responsables égyptiens n’est encore prevue.
Lien court: