Samedi, 18 janvier 2025
Dossier > Mer Rouge >

Enjeu stratégique et répercussions économiques

Ghada Ismail , Mercredi, 08 janvier 2025

Les tensions accrues dans la mer Rouge ont révélé l’importance cruciale de cette voie maritime pour le commerce mondial. Les affrontements entre les Houthis et Israël aggravent les crises économiques mondiales et affectent particulièrement les pays de la région arabe. Focus.

Enjeu stratégique et répercussions économiques

Une artère vitale

Reliant l’océan Indien à la Méditerranée via le Canal de Suez, le littoral de la mer Rouge représente un couloir commercial d’une grande importance. Selon les estimations, 12 % du commerce mondial emprunte cette voie, de même que 30 % des conteneurs, 10 % du pétrole transporté par mer et 8 % du gaz naturel liquéfié. Selon les données de la Conférence des Nations-Unies sur le Commerce Et le Développement (CNUCED) en janvier 2024, le détroit de Bab Al-Mandeb est le troisième au monde en termes de volume d’échanges énergétiques, après le détroit d’Ormuz et de Malacca. La mer Rouge est un passage maritime crucial pour le transport des cargaisons de pétrole des pays du Golfe vers l’Europe et l’Amérique du Nord. En plus, le Canal de Suez et la stabilité de sa navigation constituent une source de revenus en devises étrangères fondamentale pour l’Egypte.

La plupart des exportations de pétrole brut et de gaz liquéfié du golfe passent par le Canal de Suez ou l’oléoduc Sumed vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Cette voie navigable présente un ensemble d’avantages compétitifs. Elle se distingue par la facilité de transport des biens et produits. La courte distance de transport entraîne une baisse des coûts de transport, réduisant ainsi le prix final du produit. Par exemple, la route de Ras Tanura jusqu’à New York dure 25 jours via le Canal de Suez, contre 35 jours par la route Ras Al-Raja Al-Saleh, ce qui porte le gain de temps à dix jours, soit 30 % de la durée du voyage par rapport à la route alternative.

La mer Rouge revêt une importance géopolitique considérable. Les pays d’Afrique de l’Est en dépendent pour leur commerce et la circulation de leurs marchandises : environ 34 % du commerce du Soudan, à peu près 31 % du commerce de Djibouti, 15 % du commerce du Kenya et 10 % du commerce de la Tanzanie, selon la CNUCED. Le détroit de Bab Al-Mandeb représente également un lien entre les centres commerciaux et les marchés d’Afrique centrale et orientale et l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient. Selon Vortexa, spécialiste des données et des analyses maritimes mondiales, environ 15 % des marchandises importées en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en 2023 ont été expédiées depuis l’Asie et la région du Golfe via la voie maritime de la mer Rouge. L’importance stratégique de cette voie se manifeste également par la concurrence internationale pour les ports. Il existe plus de huit ports maritimes dans la Corne de l’Afrique en Erythrée, à Djibouti, en Somalie, au Soudan et au Kenya. Son importance est d’autant plus grande qu’elle constitue un élément important de plusieurs initiatives internationales telles que celle chinoise « la Ceinture et la Route » et le corridor de développement Asie-Afrique, lancé par l’Inde et le Japon pour contrer l’influence de la Chine en mer Rouge.

 

 L’économie mondiale à l’épreuve

Depuis novembre 2023, les tensions en mer Rouge ont contribué à redonner de l’élan à la route du Cap de Bonne-Espérance. Selon les statistiques, le trafic maritime dans cette voie a augmenté de plus de 41 % en un an, alors que le nombre de navires passant par la mer Rouge a diminué d’environ 70 % depuis décembre 2023. Alors que les menaces dans la région persistent, la tendance à la baisse du commerce international se poursuit. Les attaques des Houthis ont entraîné, entre novembre et décembre 2023, une baisse de 1,3 % du commerce maritime mondial, soit le premier mois des attaques houthies. En décembre 2023, l’indice du commerce mondial a montré une baisse des exportations et des importations de l’Union européenne, respectivement de 2 et 3,1 %. Les Etats-Unis ont également enregistré une baisse de 1,5 % de ses exportations et 1 % d’importations. Tandis que le commerce chinois a augmenté de 1,3 % et les importations de 3,1 %.

Les revenus de l’Egypte provenant du Canal de Suez ont chuté de plus de 60 % en 2024 par rapport à 2023 en raison des conflits régionaux et des tensions en mer Rouge, entraînant une perte de près de 7 milliards de dollars, selon un communiqué présidentiel publié le 26 décembre, suite à une rencontre entre le président Abdel Fattah Al-Sissi et le président de l’Autorité du Canal de Suez, Ossama Rabie. En octobre, les recettes du Canal sont passées de 9,4 milliards de dollars au cours de l’exercice précédent à 7,2 milliards de dollars pour l’année en cours, selon l’Autorité du Canal.

En outre, les risques sécuritaires dans la mer Rouge ont eu des répercussions économiques sur les marchés mondiaux, en particulier sur les marchés de l’énergie et des produits alimentaires. Les tensions sécuritaires dans la région de la mer Rouge ont entraîné une légère hausse des prix de l’énergie, alimentant les craintes de voir les marchés dépasser les 90 dollars le baril. Cette situation a des répercussions importantes sur les économies fortement dépendantes des hydrocarbures. Les menaces qui pèsent sur la sécurité en mer Rouge n’affecteront pas seulement le secteur du pétrole et de l’énergie, mais aussi des éléments vitaux des chaînes d’approvisionnement mondiales. Tout obstacle à la circulation des conteneurs entraînera une perturbation partielle des chaînes d’approvisionnement mondiales, ce qui provoquera un ralentissement du commerce mondial et aura des répercussions négatives sur l’économie mondiale.

Selon la Réserve fédérale de New York, l’indice de pression sur la chaîne d’approvisionnement mondiale a augmenté à (-0,03) point en juin, par rapport à (-0,50) point en mai 2024. Par conséquent, les pays de la région du Moyen-Orient ont donc été fortement touchés par le déséquilibre des chaînes d’approvisionnement mondiales, qui s’est reflété dans l’offre de divers biens sur les marchés de ces pays.

Par ailleurs, selon la Commission économique et sociale de l’ONU pour l’Asie occidentale (ESCWA), la crise de la mer Rouge a durement affecté les pays qui dépendent fortement des importations maritimes pour leurs approvisionnements alimentaires et autres produits de base, comme Djibouti. En effet, ce pays importe près de 90 % de ses besoins alimentaires. Outre les impacts économiques directs, le rôle de Djibouti en tant que plaque tournante humanitaire pour l’Afrique de l’Est a été fortement mis à l’épreuve. Les ports de Djibouti constituent une porte d’entrée vitale pour les livraisons d’aide humanitaire destinées aux régions frappées par la sécheresse en Ethiopie et en Somalie. Le détournement des navires et la hausse des primes d’assurance maritime en mer Rouge retardent les livraisons de ces aides essentielles et augmentent les coûts opérationnels des organisations humanitaires. Ce qui menace d’aggraver la crise de l’insécurité alimentaire dans la région.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique