Samedi, 18 janvier 2025
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Cinéma : Des réalisatrices qui s’affirment

May Sélim , Mercredi, 08 janvier 2025

Al Shanab, Al-Hawa Sultan, Al-Fostan Al-Abyad, Rafaat Eini Lel Sama et Min Yessadaq. Ces films, réalisés par des femmes, ont été projetés vers la fin de 2024. Certains sont encore dans les salles, témoignant d’un succès féminin sans précédent. S’agit-il d’une nouvelle tendance ?

Les critiques femmes au centre Al-Maraya, de gauche à droite : Nourhan Emad (modératrice),
Les critiques femmes au centre Al-Maraya, de gauche à droite : Nourhan Emad (modératrice), Fatema Rageh, Amal Magdy, Arwa Tag El-Deen et Aliaa Talaat.

En novembre dernier, les salles de cinéma en Egypte ont projeté en même temps cinq films réalisés par de jeunes cinéastes femmes : Al Shanab (la famille Shanab) d’Ayten Amin, Al-Hawa Sultan (l’amour est sultan) de Héba Yousri, Al-Fostan Al-Abyad (la robe blanche) de Gilane Auf, Min Yessadaq (qui peut croire ?) de Zeina Abdel-Baqi et Rafaat Eini Lel Sama (les filles du Nil) de Nada Riyadh et Ayman El Amir. Une nouvelle tendance ?

Au centre Al-Maraya pour la culture et les arts, la question a été posée par de jeunes femmes critiques : Fatema Rageh, Amal Magdy, Arwa Tag El-Deen et Aliaa Talaat. Et ce, lors d’un colloque public modéré par la speakerine et critique Nourhan Emad.


Al-Fostan Al-Abyad.

Les cinq films en question sont différents en ce qui a trait au genre et aux sujets traités. Al-Hawa Sultan est le premier long métrage de la réalisatrice Héba Yousri. Le film relate une histoire d’amour entre deux amis de longue date (Menna Chalabi dans le rôle de Sara et Ahmad Daoud dans le rôle de Ali) qui découvrent leurs sentiments petit à petit. Le film, écrit et réalisé par Yousri, a rapporté jusqu’à présent plus de 75 millions de L.E. de recettes et continue à être projeté dans les salles en 2025.

Min Yessadaq est également la première aventure cinématographique de la jeune réalisatrice Zeina Abdel-Baqi. Son film tourne autour d’une jeune fille d’une famille riche qui fuit la maison familiale et le contrôle de ses parents pour s’aventurer avec un jeune homme pauvre qui n’est qu’un escroc. Malgré un scénario faible, le film a attiré le jeune public et continue à être projeté dans les salles. Il a fait jusqu’à présent 3 millions de L.E. de recettes.

Al-Fostan Al-Abyad (la robe blanche) de Gilane Auf évoque l’histoire de Warda qui perd sa robe de mariée la veille de son mariage. Ce qui la pousse à se lancer dans un voyage dans les rues du Caire avec sa meilleure amie à la recherche d’une autre robe. Warda mène un voyage plus profond qui lui permet de se découvrir et de repenser à sa relation avec la ville où elle vit. Le film a fait 1,5 million de L.E. de recettes.


Min Yessadaq.

Al Shanab (la famille Shanab) d’Ayten Amin est plutôt un film comique qui relate l’histoire de cinq soeurs, leurs enfants et leurs petits-enfants. Les soeurs se sont réunies à l’occasion du deuil d’un proche de la famille et une série de quiproquos et de situations comiques dévoile leurs relations compliquées. Al Shanab a rapporté 3,5 millions de L.E.

Rafaat Eini Lel Sama de Nada Riyadh et Ayman El Amir est le seul documentaire à être projeté dans la salle Zawya cette saison. Le film, qui a remporté l’OEil d’or du meilleur film documentaire à la 77e édition du Festival de Cannes, se déroule dans un village isolé de la Haute-Egypte où un groupe de filles se rebelle en formant une troupe de théâtre de rue entièrement féminine, nommée Panorama El Barsha. Les membres de cette troupe rêvent de devenir actrices, danseuses et chanteuses. Elles défient leurs familles et les villageois avec leurs performances inattendues. Tourné sur quatre ans, le documentaire les suit de leur adolescence à leur vie de femme, à travers les choix les plus cruciaux de leur vie. Durant trois semaines de projection, le film a rapporté 108 000 L.E. de recettes.

2024, une année cinématographique exceptionnelle

« Certes, la présence de ces films réalisés par des femmes constitue un phénomène propre à l’année 2024. Mais en observant l’histoire du cinéma en Egypte et les réalisatrices, on constate qu’il y a toujours eu un rapport compliqué entre les deux. Si on devait mentionner les noms des réalisatrices du bon vieux temps, on ne peut pas oublier Aziza Amir (1901-1952) », explique Aliaa Talaat. Et d’ajouter : « A l’époque, le cinéma était un champ d’expérimentation pour de vrais amateurs. Dès que le cinéma s’est transformé en une industrie contrôlée par les capitaux manipulés par les hommes, les femmes se sont limitées aux rôles d’actrices. Certaines se sont intéressées à la production ».

En effet, 2024 est une année cinématographique féminine par excellence. On y compte 11 films signés par des femmes. Aux cinq films mentionnés plus haut on peut ajouter Rassaëel Al-Cheikh Draz de Magui Morgan, Charq 12 de Hala Al-Koussy, Maqsoum de Kawssar Younès, Snow White de Taghrid Abou Al-Hassan, Wein Serna de la Tunisienne résidant en Egypte Dorra et Dakhal Al-Rabie Yédhak de Noha Adel.

« La présence des réalisatrices s’explique aussi par le développement des ateliers d’écriture et de scénario qui ont formé pas mal de cinéastes femmes. On note par exemple l’atelier Sard (narration) de Mariam Naoum. Donc l’écriture cinématographique ne peut être séparée de l’industrie cinématographique », annonce Fatema Rageh.

« On remarque qu’au début du deuxième millénaire, on a vu émerger un mouvement de réalisatrices : Hala Khalil, Sandra Nachaat, Kamla Abou-Zikri et autres. Certaines réalisatrices ont réussi à avoir un large public et d’autres se sont arrêtées. Dix ans après, on a vu apparaître des noms comme Magui Morgan, Ayten Amin et Mariam Abou-Auf. Ce sont là des expériences individuelles qui ont réussi à s’imposer », souligne Amal Magdy.

« Les cinq films qui ont été simultanément en salle n’ont pas présenté de sujets nouveaux. Pourtant, les réalisatrices y ont présenté un point de vue féminin clair », explique-t-elle. Les films donnent la parole aux femmes à travers les rôles principaux.

Arwa Tag El-Deen a souligné l’impact de ces films sur le cinéma : « Le succès d’Al-Hawa Sultan a donné plus de crédibilité au genre romantique. Le public veut bien voir une histoire d’amour à condition qu’elle ne soit pas stéréotypée et où l’homme et la femme sont confrontés à tant d’obstacles pour être ensemble. L’histoire d’Al-Hawa Sultan est inspirée de la vie quotidienne, celle des gens ordinaires. Ce qui touche un large public. Après son succès au box-office, les producteurs seront plus ouverts aux histoires d’amour ». On s’attend donc à un changement.

 « Quant au film La famille Shanab, qui mise sur la comédie, il n’a pas réussi à réunir un grand public en raison d’un faible scénario. Min Yessadaq souffre aussi d’un faible scénario et d’une série d’événements sans aucun lien dramatique », affirme Amal Magdy.


Al-Hawa Sultan.

Une dimension féministe ?

« Pour qu’un film ait une vision féministe, il doit être engagé dans une cause réelle. La plupart des films présentés ne le sont pas, à part le documentaire Rafaat Eini Lel Sama. On y voit l’exemple de jeunes femmes de la Haute-Egypte qui tentent de briser les tabous. Les personnages masculins du film ne sont pas négatifs ou répressifs, comme celui du père d’une fille membre de la troupe », estime Aliaa Talaat.

En effet, le film Rafaat Eini Lel Sama est l’unique production indépendante dans cette panoplie de films. Ce film documentaire a été primé à Cannes et à d’autres festivals de par le monde. « Nada Riyadh et Ayman El Amir se sont éloignés des documentaires abordant les problèmes de la société. Ils ont mis l’accent sur la réussite des jeunes filles à briser les tabous et sur leur désir de s’exprimer librement à haute voix. Le débat autour du film, toujours en salle, tourne autour de ses protagonistes : présentent-elles leurs propres histoires ou bien sont-elles guidées par les réalisateurs ? Quoi qu’il en soit, le film a réalisé une grande réussite », précise Amal Magdy.


Al Shanab.

Les autres films en question sont produits par des sociétés de production égyptiennes qui ont soutenu les réalisatrices après leur succès dans la réalisation de courts métrages et de feuilletons télévisés. Min Yessadaq a été produit par la star Achraf Abdel-Baqi, père de la jeune réalisatrice Zeina. « Tous ces films de fiction tâchent de répondre, en quelque sorte, aux critères du marché de la production », déclare Magdy.

En gros, le film qui réussit s’imposera et son équipe attirera plus les producteurs. L’image non traditionnelle de la femme présentée par ces réalisatrices a été acceptée par le public. En attendant Dakhal Al-Rabie Yédhak, primé et acclamé lors de la 45e édition du Festival du film du Caire, et qui sera projeté cette année, le cinéma féminin s’impose aussi en 2025. Mais, pour parler d’une vague féminine, il faut attendre et voir si ce phénomène persistera encore quelques années.


Rafaat Eini Lel Sama.

 Les réalisatrices égyptiennes au fil des années

Aziza Amir était une femme pionnière qui a joué un rôle important dans le développement du cinéma égyptien. Elle était actrice, productrice et réalisatrice qui a codirigé avec le réalisateur Ahmad Galal Bent Al-Nil (la fille du Nil) en 1929 et a réalisé Rachète-toi de tes péchés en 1933. De la même génération, Bahiga Hafez a signé Victimes. Dans les années 1930, Amina Mohamad a expérimenté la production, l’écriture et la réalisation, surtout dans Titawong. D’autres femmes se sont intéressées au cinéma et à son industrie en tant que productrices comme Assia Dagher et Marie Queeny. Dans les années 1960, la star et productrice Magda s’est aventurée dans la réalisation en signant Man Oheb (qui j’aime). Mais c’était son unique expérience.

Les années 1970 étaient la période la plus mauvaise dans l’histoire des réalisatrices en Egypte. Les femmes travaillant dans le cinéma se sont contentées de jouer et de produire ou de faire le montage (Rachida Abdel-Salam et Nadia Choukri) jusqu’à l’apparition de la réalisatrice Nadia Hamza dans les années 1980. Elle était l’une des rares à avoir défendu avec force les femmes, présentant une approche mélodramatique dans ses films comme Al-Nissä (1985), Nissä Khalf Al-Qodban (1986) et autres.

Vers la fin des années 1980, d’autres réalisatrices sont apparues comme Nadia Salem, qui a signé Bawwab Al-Omara, et Asmaa Al-Bakry, qui a abordé dans ses films les femmes victimes de l’oppression masculine et de la cruauté de la société conservatrice.

Inas Al-Dégheidi était aussi une réalisatrice qui a marqué le cinéma égyptien par ses films comme Afwan Ayoha Al-Qanoun (1985) et Lahm Rakhis (1995). Mais plus tard, elle a opté pour le cinéma commercial en traitant superficiellement des questions importantes dans ses films Dantella, Kalam Al-Leil, Mozakerrate Morahéqa et Al-Bahessat An Al-Horriya. Al-Dégheidi réalisait et produisait à la fois ses films. Mais petit à petit, elle s’est retirée de la scène.

Vers la deuxième moitié des années 1990, on a vu l’apparition de Sandra Nachaat, Kamla Abou-Zikri et Hala Khalil. En 1998, Nachaat a réalisé son premier long métrage, Mabrouk et Bolbol. Sa principale préoccupation était de signer de différents genres cinématographiques, romance, comédie et action : Haramiya Fi KG 2, Leih Khalletni Ahébak, Mallaky Eskéndiriya et Al-Maslaha.

Hala Khalil a tenu à présenter une oeuvre cinématographique différente de celle du marché de cinéma. En 2003, elle signe Ahla Al-Awqat qui a remporté un grand succès et a été primé dans de divers festivals. Khalil se concentre dans ses films sur les profonds sentiments des femmes. Ses deuxième et troisième films Couper et Coller et Nawwara en témoignent.

Kamla Abou-Zikri a gravé son nom au cinéma avec son premier film Sana Oula Nasb. Puis, elle a réalisé son film le plus cohérent, Malek Wala Kétaba, qui a remporté certains prix dans les festivals internationaux. Ses films les plus marquants sont Al-Echq wal Hawa, Wahed Sefr et Youm Lil Settat. Loin du cinéma, Zikri signe aussi des séries télévisées réussies.

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