« La voyance, personne n’y croit, mais tout le monde y va ! », lance Hicham Radwan, un expert en astrologie et interprétation des rêves. SMS surtaxés, Audiotel, Internet, presse, télévision … la voyance, les horoscopes et les arts divinatoires sont partout et ne cessent de provoquer la curiosité, surtout en cette période de début d’année où les prévisions sortent de toutes parts. « Je dis des choses, parfois je ne sais pas d’où ça vient. Je transmets un message, tout simplement », dit Hicham, qui affirme que ses révélations sont un don et qu’il possède tout simplement un sixième sens. Une bénédiction, dit-il.
Comme chaque début d’année, plusieurs voyants, devins et astrologues se sont prêtés au jeu des prédictions dans les médias. Ces hommes ou ces femmes qui répondent au « besoin de savoir » des gens et qui disent avoir la faculté de voir ce que l’on ne voit pas, de deviner ce qui arrivera ou de parler à ceux qui ne sont plus là, jouissent d’une visibilité et d’une popularité jamais vues auparavant, au point de devenir des stars. Et, avec l’essor des réseaux sociaux, les pages consacrées à l’astrologie et aux prédictions sont devenues parmi les plus populaires, attirant des milliers d’interactions.
Cheikh Mohamed Idriss, Ezzat Ibrahim, Bassant Youssef, Safiya Abdallah, Abir Fouad ou encore Leila Abdel-Latif surnommée « diseuse de bonne aventure pour célébrités » qui a fidélisé des téléspectateurs en prédisant l’avenir des politiciens et d’autres personnalités publiques aux niveaux national, local et international. La liste est longue. Aujourd’hui, nombreux sont les profils qui se lancent dans le business de la voyance, réussissant à cumuler des dizaines des milliers de personnes. Une tendance très fréquente sur YouTube, Instagram et TikTok, qui a le vent en poupe. Certains y croient, s’y accrochent, comme si leur vie en dépendait, cherchent des réponses et des promesses de bonheur. D’autres n’y voient que supercherie. Autrement dit, se faire lire l’avenir dans une tasse de café, une boule de cristal, les tarots ou les lignes de la main a autant de fans que de sceptiques.
En quête de réconfort
Doaa Ramzi, 28 ans, a commencé à s’intéresser au tarot il y a quatre ans, lorsqu’une collègue de travail lui a proposé une lecture prédictive qui s’est réalisée deux ans plus tard. Depuis, elle suit assidûment des chaînes de tarot sur YouTube et a dépensé des sommes considérables pour des consultations privées. Elle estime qu’elle en a retiré des informations pertinentes, bien que certaines lectures ne correspondent pas à sa réalité. Doaa est devenue cliente fidèle d’un lecteur de tarot dont les interprétations décrivent, avec une précision allant jusqu’à 90 %, son état émotionnel et des événements qui se sont réalisés. Elle justifie cela en affirmant que son énergie s’accorde avec celle du lecteur de tarot, qui lui fournit régulièrement des conseils et des avertissements. Les tarifs des lectures privées varient selon les chaînes YouTube. « Je paie environ 50 dollars pour une lecture que je sollicite tous les deux mois, lorsque mon énergie change. Ces prédictions m’aident à me préparer aux défis à venir, à éviter certaines situations et surtout à trouver un réconfort psychologique, ainsi qu’à me débarrasser de l’anxiété et de la confusion ».
Idem pour Salma Ossama, 35 ans, qui aime lire quotidiennement les pages d’horoscope des journaux et des magazines. Obsédée aussi par la lecture de la tasse, elle a eu recours à une application récemment apparue sur les téléphones pour lire la tasse en la photographiant après avoir bu son café. « Il suffit de prendre 3 photos sous différents angles et de les envoyer à l’application pour trouver le résultat de la lecture après quelques minutes », témoigne-t-elle, tout en ajoutant que parfois, certains résultats peuvent être généraux, mais cela n’empêche pas de les prendre et les appliquer à sa vie et les croire.
45 % des Egyptiens y croient
Doaa et Salma ne sont pas des cas isolés. Des présidents, des rois, des politiciens, des athlètes, des artistes et d’autres célébrités ont eu recours à la voyance et ont tenté de révéler l’avenir. Mais l’engouement a de quoi inquiéter : environ 45 % des Egyptiens croient aux pouvoirs des voyants, selon une enquête effectuée par le Centre national des recherches sociales et criminelles. En effet, à la fin de chaque année, le phénomène de la lecture de l’avenir, des prédictions et des horoscopes s’intensifie, suscitant une grande curiosité pour savoir ce que la nouvelle année réserve. Cela reflète davantage un désir de réaliser des aspirations personnelles qu’une acceptation complète de ce que l’avenir pourrait apporter. Ce phénomène, bien que renouvelé et modernisé avec le temps, remonte aux anciennes civilisations, comme les Sumériens, les Egyptiens, les Chinois et les Indiens.
Cependant, de nombreux spécialistes et amateurs se sont distingués dans ce domaine grâce à leur maîtrise de l’astrologie et de disciplines similaires. Or, ce domaine n’est pas limité à ces experts. Il attire également des charlatans, des sorciers et des imposteurs qui mélangent un peu de science avec beaucoup de superstitions dans un but lucratif, connaissant un essor fulgurant grâce à Internet et aux réseaux sociaux.
Raison pour laquelle l’Autorité nationale des médias vient de décider d’interdire l’apparition des voyants et astrologues sur les écrans égyptiens, afin de lutter contre la diffusion de croyances superstitieuses. « Il faut combattre les superstitions et promouvoir la rationalité », argumente Ahmed Al-Moslimani, président de l’Autorité nationale des médias, tout en insistant sur le rôle essentiel des médias dans la lutte contre l’ignorance, déclarant qu’il est de leur devoir de s’opposer aux phénomènes visant à humilier l’esprit et ridiculiser la connaissance. Une décision qui a suscité des réactions variées, entre ceux qui la saluent, critiquant même son arrivée tardive, et ceux qui refusent d’interdire ce type de divertissement.
Jouer au psy
Wafaa Ragab, experte en énergie et astrologie, apprécie cette décision interdisant l’apparition des voyants qui se basent sur des prévisions aléatoires et des prophéties dénuées de fondements scientifiques. Elle pense qu’aujourd’hui, ce n’est plus le même métier, et qu’autrefois, la voyante était comme une thérapeute ou une psychologue. Mais avec Internet, tout a changé.
Un avis partagé par Riham (pseudonyme), experte en cafédomancie, numérologie et interprétation des rêves, qui a refusé de révéler son identité en raison de la nature de son travail qui compte des milliers d’adeptes dans un groupe Facebook fermé et public. « Lire le marc du café, c’est comme être un psychologue : les deux analysent l’état mental de la personne en face et l’aident à trouver un réconfort psychologique et à se débarrasser de l’anxiété et de la confusion, tout en clarifiant sa vision pour certaines questions personnelles auxquelles il peut ne pas trouver de solutions. Que ce soit en raison de l’abondance des préoccupations ou de l’élan et de la complexité de la vie », affirme-t-elle, tout en ajoutant que ce qu’elle fait n’a rien à voir avec la magie et la sorcellerie, mais est basé sur l’expérience et que les lectures qu’elle donne aux gens peuvent ne pas être inévitables et définitives, mais seulement une tentative d’inventorier les faits du passé, de comprendre le présent et, ensuite, de prédire l’avenir qui est le plus proche de se produire. Elle poursuit que ces dernières années, le mouvement s’est accéléré et les demandes ont évolué. Avant, on la consultait soit pour des questions de coeur, soit pour des questions de boulot. Ces derniers temps, le domaine du travail a clairement pris le dessus. Dopé par les inquiétudes du lendemain en ces temps de crise, le marché de l’occulte est florissant.
Un contexte favorable
Chose qui ne surprend pas la sociologue Samia Saleh. « Plusieurs facteurs mènent à cette quête. Le manque de spiritualité, par exemple, peut donner lieu à une foule d’incertitudes anxiogènes. Tous les modèles traditionnels sécurisants ont volé en éclat, notamment la cellule familiale et le monde du travail », explique-t-elle, tout en ajoutant que la voyance a également augmenté en raison du contexte d’insécurité lié aux multiples crises. Ce contexte profite aux astrologues et aux voyants, car, en prétendant dévoiler le futur, ils produisent justement un discours de certitude. Une certitude qui rassure. Saleh avertit contre la digitalisation de ces arts divinatoires. Car cette présence en ligne permet de démocratiser l’accès à la voyance et d’attirer une clientèle plus jeune, souvent plus réceptive aux communications digitales. Les live Instagram ou les vidéos TikTok sont devenus des moyens dynamiques de démontrer leur savoir-faire et leur authenticité. « La facilité d’accès aux pratiques divinatoires, rendues accessibles en un clic, risque de transformer leur usage en obsession et en addiction, avec des conséquences négatives sur la vie quotidienne des individus », conclut-elle.
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