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La Mer Rouge, un couloir stratégique aux enjeux multiples

Aliaa Al-Korachi , Mercredi, 08 janvier 2025

Au nord comme au sud, les tensions s’exacerbent en mer Rouge, dopées par la guerre israélienne contre Gaza et ses retombées régionales. Avec l’entrée en jeu d’acteurs non étatiques, l’intervention d’acteurs régionaux et internationaux, la zone se transforme en un terrain de concurrence. Un jeu à haut risque. Décryptage.

La Mer Rouge

Sous le feu des projecteurs et au rythme effréné des événements, la mer Rouge, ce couloir maritime stratégique, historiquement un pont entre les continents, est aujourd’hui au coeur de toutes les attentions. Les tensions ne cessent d’augmenter depuis plus d’un an, à la fois au nord avec l’agression israélienne dans la bande de Gaza et son extension sur plusieurs fronts, et au sud avec les frappes incessantes des Houthis contre les navires. Les troubles internes, notamment dans les pays de la Corne de l’Afrique, exacerbent davantage les menaces sécuritaires dans la région. Cette escalade a entraîné une militarisation accrue de la région, intensifiant ainsi la concurrence géopolitique entre les grandes puissances pour y étendre leur influence.

Selon beaucoup d’observateurs, les interactions qui ont lieu ces dernières années à l’intérieur de la mer Rouge et leur lien direct avec les régions voisines, comme la Corne de l’Afrique, le Golfe et l’océan Indien, ont révélé des impacts directs sur les intérêts égyptiens constants en mer Rouge. Ces menaces ont imposé à l’Egypte de prendre des démarches simultanées dans plusieurs directions pour protéger ses intérêts.

Rebattre les cartes

« La mer Rouge revêt une importance stratégique dans les enjeux sécuritaires et économiques aux niveaux international et régional. Elle constitue l’une des plus importantes voies navigables du monde, en raison de sa position géographique stratégique, offrant notamment un accès à la Méditerranée et aux océans », explique Safinaz Mohamed, spécialiste dans les affaires régionales au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Et d’ajouter : « La position stratégique de la région de la mer Rouge a contribué à la multiplication des projets régionaux et internationaux liés aux arrangements de sécurité dans la région d’une part, et à une concurrence féroce entre ces projets d’autre part. Ce conflit a même évolué, à un certain stade des interactions entre les Etats riverains et les puissances internationales non riveraines, vers une nouvelle phase caractérisée par l’émergence de ce que l’on pourrait appeler des conflits d’intérêt stratégiques ».

Selon la spécialiste, la dynamique politique, militaire, sécuritaire et économique qui caractérise la région de la mer Rouge au cours des trois dernières années nécessite une redéfinition : de la nature des alliances internationales et régionales dans la région ; de la carte de l’influence en son sein ; des priorités des intérêts des Etats riverains déterminées par leur conception de la sécurité nationale et de la nature de leurs interactions avec les puissances internationales extérieures à la région ; et enfin, de la carte des bases militaires qui constitue la principale manifestation des interactions des Etats riverains au cours des cinq dernières années.

Un foyer de tensions géopolitiques

La guerre israélienne contre la bande de Gaza a remis au premier plan la question de la sécurité de la mer Rouge menacée par l’émergence d’acteurs non étatiques, tels que les Houthis, combinée à la multiplication des interventions internationales et régionales, transformant la mer Rouge en un terrain de compétition. Quelle est donc la carte des menaces sécuritaires dans la région de la mer Rouge ? La menace constante des Houthis en mer Rouge est un véritable casse-tête. Les Houthis se sont impliqués dans la scène régionale après la guerre israélienne contre la bande de Gaza en octobre 2023, en lançant des missiles et des drones vers l’intérieur d’Israël le 19 octobre de la même année par solidarité avec le Hamas. Quelques semaines plus tard, en novembre 2023, l’escalade houthie a pris une tournure plus grave lorsque le groupe a commencé à cibler les navires commerciaux israéliens naviguant en mer Rouge, ainsi que ceux soutenant Israël. Les cibles des attaques des Houthis sont multiples et ne se limitent pas aux navires israéliens. Tous les navires soutenant Tel-Aviv, quelle que soit leur nationalité, sont visés. Les méthodes employées par les Houthis pour attaquer les navires ont évolué, utilisant une variété d’armements. Selon des rapports, certaines attaques ont été menées par des pirates et des commandos à bord de bateaux rapides, tandis que d’autres ont impliqué des missiles antinavires et des drones.

Par la suite, les attaques des Houthis contre les navires ont dépassé les limites du détroit de Bab El-Mandeb pour s’étendre aux navires du golfe d’Aden. En mars 2024, ils ont annoncé leur intention d’élargir leur zone d’opération pour inclure les navires se dirigeant vers Israël, dans l’océan Indien, en direction du Cap de Bonne-Espérance jusqu’à ce que l’agression israélienne s’arrête. En intensifiant leurs attaques, les Houthis cherchent à exercer une pression sur la communauté internationale en mettant l’accent sur le coût économique des opérations dans la mer Rouge. En parallèle, cette escalade offre aux Etats-Unis et aux puissances européennes une présence militaire et sécuritaire accrue, motivée par la protection de la navigation internationale dans la région.

En effet, les menaces sécuritaires dans le détroit de Bab El-Mandeb ont incité les puissances internationales et régionales à renforcer leur présence militaire dans la région de la mer Rouge sous diverses formes. Cela va des bases militaires étrangères existantes dans le détroit de Bab El-Mandeb depuis plusieurs années aux différentes formes d’alliances sécuritaires et militaires, notamment celle du « Gardien de la prospérité » lancée en novembre 2023 par Washington, avec la participation de pays occidentaux pour contrer les attaques des Houthis contre les navires soutenant Israël en mer Rouge.

L’environnement sécuritaire dans la région sud de la mer Rouge est également menacé par la montée des activités terroristes. Des rapports ont montré une convergence d’intérêts et d’objectifs entre les Houthis et les organisations terroristes de la région, telles que les Shebab somaliens et Al-Qaëda au Yémen. « Malgré leur hostilité apparente, une coopération basée sur le bénéfice mutuel semble se développer entre les deux parties. D’une part, les Houthis pourraient bénéficier des ressources financières fournies par les Shebab pour soutenir leurs opérations militaires, d’autre part, les Shebab pourraient obtenir des Houthis des armes sophistiquées, renforçant ainsi leurs capacités en Somalie. Cette coopération s’étend également à l’échange d’expériences et au bénéfice des réseaux de contrebande et de financement de chaque partie », explique Dr Hamdi Abdel-Rahman Hassan, professeur de sciences politiques aux Universités du Caire et de Zayed (voir entretien page 7). Les attaques des Houthis constituent également une menace directe sur l’écosystème marin sensible de la mer Rouge.

Quels scénarios ?

Dans ce contexte, l’Egypte a été fortement touchée par les répercussions de ces évolutions, en raison du ralentissement du trafic maritime mondial dans le Canal de Suez, entraînant par conséquent une baisse des revenus. Par conséquent, selon Safinaz Mohamed, l’Egypte se retrouve face à un dilemme « menaces-réponses » qui l’oblige à une « réponse impérative » concernant la « gestion de multiples options » dans un environnement hautement compétitif de la mer Rouge, du détroit de Bab El-Mandeb et du golfe d’Aden, afin de limiter les « menaces » résultant des répercussions de la situation sécuritaire régionale en évolution et, d’autre part, de limiter les graves répercussions économiques auxquelles elle est confrontée.

En bref, les troubles sécuritaires dans la région de la mer Rouge ouvrent une multitude de scénarios possibles dépendant de nombreux facteurs, tels que l’escalade potentielle des conflits, la durée des tensions au Moyen-Orient et les perspectives de parvenir à un cessez-le-feu.

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