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Mohamad Hosny Aboul-Ezz : A vos ordres, chef !

Traduction de Michel Galloux, Mercredi, 07 mai 2014

Mohamad Hosny Aboul-Ezz est un jeune policier qui décide de quitter le ministère de l’Intérieur 10 mois après le déclenchement de la révolution du 25 janvier 2011, pour rejoindre le monde des écrivains. Nous publions un extrait de son récit autocritique, Taalimat Seyadtak, sur les défaillances d’un système basé sur l’obéissance aveugle aux ordres.

Litterature
Mohamad Hosny Aboul-Ezz

« Je jure par Dieu Tout-Puissant … de protéger le régime républicain … de respec­ter la Constitution et la loi … de veiller à la sécurité de la patrie … et d’accom­plir mon devoir avec conscience et loyauté ».

C’est le texte du serment prêté par l’officier de police lors de la cérémonie de remise des diplômes. Il jure, comme on le voit, de réaliser quatre choses : premièrement, de protéger le régime républicain. Or, personne ne sait exacte­ment en quoi consiste ce régime républi­cain qui est le premier terme de son serment. Est-ce une alternative au régime monarchique ? Est-ce ce qui garantit le bien de la patrie et sa sécuri­té ? Car l’Egypte a un régime républi­cain, comme l’Allemagne, et pourtant, il ne peut s’agir de la même chose, sinon le résultat serait le même. Par ailleurs, il y a des pays qui ont un régime monar­chique, mais quelle différence entre eux et nous ! Par conséquent, la république n’est pas l’enjeu véritable pour que tous s’engagent à protéger son prétendu régime. Et pourquoi donc le serment commence-t-il par la protection du régime ? Quel est donc ce régime ?!

Le nouveau diplômé jure également de réaliser deux choses : de veiller à la sécurité de la patrie et d’accomplir son devoir avec conscience et loyauté … Et il ne sait pas, naturellement, qu’il trahira son serment, qu’il le veuille ou non, parfois malgré lui, parfois volontaire­ment, et parfois sans en être conscient, mais il le trahira à coup sûr. Pourtant, le point essentiel dans ce serment, c’est incontestablement le respect de la Constitution et de la loi.

Or, le diplômé de la faculté de police (comme la majorité des diplômés en Egypte) quitte sa faculté en ayant oublié tout ce qu’il y a appris, ou plus exactement, tout ce qu’il y a mémorisé, et il obtient son diplôme en général sans rien savoir de la loi, et encore moins de la Constitution. Et il ne trouve personne alors pour se soucier de sa formation, car leur préoccupation n’est pas d’ordinaire la loi, mais les instructions don­nées.

L’officier compétent n’est donc ni celui qui a une vaste connaissance de la loi ni celui capable de l’appliquer avec professionna­lisme et dévouement, mais c’est l’officier qui obéit consciencieusement aux ordres ! C’est comme cela qu’il faut comprendre ce que certains appellent la « militarisation de la police », et cette militarisation de la police, c’est la racine du mal et la raison profonde de la corruption.

Car il y a une différence fondamentale entre le militaire et le policier. La mission du premier, en effet, est de faire la guerre. Cette guerre, il peut être amené à y participer dès l’obtention de son diplôme, comme il peut rester toute sa vie sans y participer, mais dans tous les cas, cela reste sa mission fondamen­tale, à laquelle il est formé, entraîné et pré­paré. Et dans la guerre, la loi, c’est le plan militaire élaboré par les hauts gradés, et le rôle que l’officier doit jouer dans ce plan lui parvient sous forme d’instructions, et s’il hésite à les appliquer ou envisage seulement d’y réfléchir, cela peut faire échouer tout le plan. Et il en est de même s’il prend des ini­tiatives personnelles sans avoir reçu des ins­tructions pour cela. C’est pourquoi un offi­cier de l’armée est formé dès le début à se plier aux instructions et à les suivre à la lettre.

Le policier, par contre, est avant tout un homme qui applique la loi, son chef est la loi, et il reçoit ses instructions d’elle. Quant à ses chefs de terrain, ils se contentent de distri­buer les rôles et de s’assurer que chacun fait son travail comme il faut.

Or, cette différence entre les deux semble être complètement inexistante chez nous, l’officier de police se comportant exactement comme un militaire.

En effet, lorsque, au cours du travail (et en particulier dans les renseignements), vous affrontez une situation qui comporte une infraction à la loi, on n’exige pas de vous de prendre les mesures légales qui s’imposent ! Non … Car vous devez avant tout contacter votre chef par téléphone pour savoir quoi faire et comment vous comporter, et ce coup de télé­phone peut être suivi (en fonction de la situa­tion et de l’accusé) par une série d’autres appels remontant parfois jusqu’au ministre en personne. Et les instructions données sont tou­jours les mêmes : « Arrête-le » ou « Laisse-le partir » ! Quant à la loi, elle n’intervient en rien dans l’affaire.

Par ailleurs, il ne vous viendrait même pas à l’esprit d’objecter les instructions car, comme je vous l’ai dit, vous êtes un militaire qui exé­cute les ordres, et il y a peu de chance que votre chef fasse preuve d’indulgence en vous per­mettant de donner votre avis (si toutefois vous en avez un). Cela est exprimé par la phrase qu’ils vous rabâchent à longueur de journée :

« Le plus important dans notre métier, c’est la rapidité de notification ! ».

Car ce qui compte, ce n’est pas d’agir vite ou bien, mais d’avertir rapidement le chef. Et ils justifient cela par le fait que les officiers ne savent pas en général le comportement correct à adopter, ce qui est dû essentiellement à leur ignorance de la loi.

Ainsi, par exemple, aussi incroyable que cela puisse vous paraître, je ne connaissais rien de la loi d’urgence avant l’affaire « Khaled Saïd » et, de même, jusqu’à la révolution, la plupart des officiers de police ne savaient rien de l’exis­tence de cette loi, jusqu’à ce qu’ils entendent avec surprise les médias les attaquer en les accusant avec véhémence de faire un mauvais usage de la loi d’urgence … Alors qu’ils ne savaient même pas de quoi il s’agissait ! Et cela n’est qu’un exemple parmi d’autres.

C’est pourquoi lorsque des ordres violant la loi sont donnés à un officier de police, il ne s’en soucie pas, et il ne s’en rend même pas compte, d’ailleurs.

Tout ce qui précède reflète un fait plus grave encore, à savoir que la police a continué pen­dant des décennies (et peut-être des siècles) à être un outil au service du dirigeant et non pas de la loi. Et de même que vous n’agissez que selon les instructions de votre chef, lui-même n’agit que sur ordre de son supérieur hiérar­chique et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’affaire soit soumise au ministre, qui reçoit, quant à lui, les directives du président de la République. C’est pourquoi j’ai toujours été surpris de voir certains attaquer le ministre de l’Intérieur tout en défendant en même temps le régime ! Car l’Intérieur n’est rien d’autre que le bras du régime, et un bras ne se meut que par la volon­té de son maître. Quant à l’idée que la police agirait en toutes circonstances de façon indé­pendante ou qu’elle appliquerait une politique qui lui est propre, il s’agit d’une pure légende.

Nous voyons donc que la loi dans nos pays n’est qu’un simple outil entre les mains du dirigeant, qu’il utilise ou s’abstient d’utiliser quand il veut et avec qui il veut … Comme s’il était un dieu ! Et même Dieu Lui-même ne Se donne pas ce droit … Car l’univers fonctionne selon des lois précises, et Dieu ne permet pas au soleil de briller pour les croyants tout en en privant les incroyants … Et pourtant, les diri­geants de nos pays sont devenus orgueilleux et se sont octroyé ce droit avec une insolence et une arrogance extrêmes.

Après avoir démissionné et au cours de ma recherche d’un nouvel emploi, un ami qui désirait m’aider me demanda :

— Bien, dis-moi, qu’est-ce que tu sais faire ?

Et après un court instant de réflexion, je lui répondis :

— Avertir mon chef rapidement !!

Mohamad Hosny Aboul-Ezz

Il est né en 1976. Malgré son penchant pour la littérature, il obtient son diplôme de l’Académie de police. Avec une attitude critique quant au système d’enseignement de l’Académie et à sa corruption, il démissionne après de longs conflits et à la suite de violences commises contre les révolutionnaires lors des révoltes de la rue Mohamad Mahmoud en novembre 2011. Une fois « libéré », il revient à son rêve d’écrire et décide de commencer par un besoin urgent de raconter son expérience à la police « afin d’éclairer ceux qui ne la connaissent pas » et mettre sur table la vérité pour qui veut réhabiliter le système. Il en ressort un récit entre la confession autobiographique et l’essai, intitulé Taalimat Seyadtak (à vos ordres, chef !), aux éditions Merit 2014.

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