Cela fait bien longtemps que nous avons un faible déclaré et justifié pour Basma Al-Husseiny, depuis qu’elle a mis en scène, en 1987, sa deuxième pièce de théâtre, présentée sur la terrasse d’un immeuble modeste de Bab Al-Chaariya, l’un des quartiers les plus populaires du Caire.
A partir de ce moment, en passant par la direction artistique du British Council, la présidence de la fondation Ford, jusqu’à la création d’Al-Mawred Al-Saqafi (ressource culturelle — organisation sans but lucratif) —, elle ne cesse d’inventer des projets, d’organiser des événements, de créer des réseaux, de fonder des organisations (comme le Fonds arabe pour la culture et les arts), de multiplier les stages, à travers lesquels elle fait connaître, pour la première fois en Egypte, l’existence et l’importance de la gestion culturelle.
Basma Al-Husseiny propose des actions régionales, aide à la mobilité des artistes, ouvre des espaces culturels, élargit des plateformes artistiques, établit des concours littéraires, offre des bourses à la production, introduit de nouveaux domaines jusque-là jamais abordés, tel le cirque ...
A la suite de la révolution de janvier 2011, Al-Mawred Al-Saqafi prend l’initiative d’occuper les espaces publics pour que le « peuple » chante, danse et s’amuse. Ainsi, sur la place Abdine, tous les premiers samedis du mois sont consacrés à la réception de troupes et de compagnies indépendantes. Bref, un éventail de travail à plusieurs facettes, où se déploient différents horizons et divers arcs-en-ciel. On lui doit également Remix, qui consiste à enregistrer et à produire des CD pour de jeunes compositeurs ainsi que la publication d’un livre qui traite des politiques culturelles dans huit pays arabes.
Depuis 1985, nous la suivons dans son parcours sans faille, où elle se distingue par un dynamisme qui ne connaît pas de limites et où elle évolue selon un seul et unique principe : se mettre au service des autres et encourager la libre expression des jeunes artistes. A partir de cet engagement, elle crée en 2011 l’école du cirque d’Al-Darb Al-Ahmar (autre quartier populaire) où sont reçus des jeunes défavorisés, pour ne pas dire opprimés, qui ont dû quitter l’école pour travailler et subvenir aux besoins de leurs familles. Cette école, qui dispense l’apprentissage des arts du cirque et de la musique, offre également un enseignement parascolaire.
Perdue et retrouvée est l’intitulé de leur dernier spectacle, en tournée dans les villes de province pour le moment. Ecrit par Basma et son amie libanaise, amie de longue date, Hanane Elhaj Ali, qui en est aussi la metteuse en scène, le texte a été rédigé d’après les récits et les improvisations des élèves. Témoignages d’un vécu fait de rires et de pleurs.
Au quotidien, ces élèves rencontrent toutes sortes de situations dont les obstacles qu’elles engendrent serviront de tremplin. La petite, qui ne porte pas de nom dans le spectacle, fait une bêtise. Sa mère, adoptant un concept d’éducation courant, lui coupe les cheveux, comme punition. La petite s’échappe de la maison. Elle se perd dans les rues du Caire. Ce n’est pas de perdition qu’il s’agit, mais d’une perte choisie, réfléchie. Une perte joyeuse qui lui donnera l’occasion de découvrir des mondes, des gens, des gentils et des méchants. Disons plus simplement, de découvrir la vie. Entre-temps, ses amis du quartier partent à sa recherche. Eux aussi, en parallèle et collectivement, se forment le caractère, se forgent une personnalité. Et Elhaj Ali de trouver dans cette tornade époustouflante le rythme approprié : elle passe de decrescendo à crescendo avec une surprenante facilité, car elle sait quand arrêter le mouvement et quand introduire un nouvel effet. Elle a su brillamment mettre en valeur le potentiel de ces comédiens, percussionnistes, trompettistes, chanteurs, conteurs et acrobates, sans jamais leur donner l’occasion de faire de la représentation, de jouer les vedettes.
L’alternance des scènes dramatiques, des scènes chantées ou bien encore celles du théâtre d’ombres ou encore des performances acrobatiques aurait pu, à plusieurs reprises, la situation aidant, tomber dans le mélodrame, mais la prouesse de la metteuse en scène pour éviter emphase et pathétique, tient à son choix de la démystification et de la dérision. La petite fille perdue et ses copains finissent par se retrouver sur la place Tahrir en pleine révolution. Et c’est là aussi qu’ils retrouvent tous la liberté. On aimerait, tout bêtement, donner à la petite fille le prénom Liberté.
Cette troupe exceptionnelle mérite l’attention, l’appui et le soutien financier des hommes d’affaires égyptiens qui n’ont pas encore pris l’habitude d’honorer de leurs biens des organisations culturelles ou artistiques indépendantes (ou le secteur culturel tout court).
Cette semaine, Al-Mawred Al-Saqafy a fêté ses 10 ans. On a fêté également le départ de Basma Al-Husseiny et l’arrivée de la nouvelle directrice syrienne, RanaYazji, qui, pas plus que sa prédécesseur, ne manque d’enthousiasme et d’efficacité. Pour célébrer tous ces événements, Al-Mawred Al-Saqafi et Shams (association coopérative libanaise pour le théâtre et le cinéma) ont invité le festival norvégien Redzone à l’inauguration de la 6e édition du Festival du printemps, consacré cette année aux musiques africaines.
Le départ de Basma n’est que le point avec lequel commencera une nouvelle phase, une nouvelle phrase. Basma a déjà entamé un nouveau projet : Agir avec espoir. Il s’agit d’une action de solidarité avec les créateurs arabes qui exercent leur métier sous l’occupation ou en étant sujets à des agressions militaires. Notre admiration n’est-elle pas méritée ?
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