L’Egypte place la sécurité énergétique en tête des priorités de sa politique économique. Cependant, les fondements de cette sécurité sont de plus en plus remis en question, face à des enjeux multiples et des défis croissants sur les scènes mondiale et régionale. Depuis l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, en passant par les troubles géopolitiques régionaux et la course pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) d’ici 2030, le contexte évolue rapidement.
D’un point de vue politico-économique, les règles du jeu de la sécurité énergétique risquent de changer à moyen et court termes avec l’arrivée de Trump. Hafez Salmawy, professeur d’ingénierie énergétique à l’Université de Zagazig, explique que Trump, qui a des liens étroits avec des entreprises du secteur pétrolier et gazier, pourrait chercher à exercer un contrôle accru sur le marché mondial de l’énergie. Cela pourrait entraîner un désengagement de l’aide américaine au secteur énergétique égyptien, ralentissant ainsi les financements précédemment acheminés. « Notre relation avec l’Europe dans le domaine énergétique va également évoluer. L’Egypte, la Turquie et d’autres pays cherchent à devenir des hubs énergétiques régionaux. L’Egypte exporte du gaz vers l’Europe, qu’il soit de production locale ou importé. Cependant, les Etats-Unis, principaux exportateurs mondiaux de gaz, tentent de séduire l’Europe et de lui fournir directement leur gaz. Ils ne verront pas d’un bon oeil un rôle déterminant joué par des acteurs comme l’Egypte dans l’approvisionnement en gaz de l’Europe », commente Salmawy. Il ajoute que l’Europe dépend à 40-50 % de son gaz des Etats-Unis et que de nouvelles lignes de gazoducs, incluant potentiellement de l’hydrogène, sont prévues pour renforcer cette dépendance.
Salmawy souligne également qu’en raison du rôle limité de l’Egypte dans l’approvisionnement énergétique de l’Europe, un autre facteur pourrait bouleverser le paysage énergétique : le poids croissant d’Israël. « Les Etats-Unis cherchent à jouer un rôle central dans l’alliance énergétique en Méditerranée orientale, ce qui implique l’intégration d’Israël. Washington tentera de renforcer les partenariats avec les pays arabes », ajoute-t-il. Une telle dynamique pourrait menacer les ambitions de l’Egypte de devenir un hub énergétique régional, notamment avec la construction d’un gazoduc reliant Israël à l’Inde, passant par plusieurs pays arabes comme le Liban et l’Iraq.
L’ambition de hub gazier
Un des principaux obstacles à l’ambition de l’Egypte de devenir un hub énergétique mondial réside dans son évolution récente d’exportateur net de gaz naturel (2018-2022) à importateur. Après avoir atteint l’autosuffisance gazière durant cette période, la production a chuté en 2023 et 2024, principalement en raison du ralentissement de l’exploitation du champ gazier de Zohr. « La production gazière est problématique. Il est incertain que nous puissions retrouver l’autosuffisance avant une décennie. L’Egypte comble le déficit entre consommation et production par deux sources : d’abord, le gaz naturel importé d’Israël, qui confère à ce pays un avantage stratégique majeur, et ensuite, le gaz liquéfié, dont le coût est deux fois supérieur à celui du gaz naturel », précise Salmawy.
Pour atteindre l’objectif de faire de l’Egypte un hub énergétique régional, plusieurs alternatives sont envisagées. Salmawy mentionne notamment l’activation du gazoduc arabe reliant l’Egypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban, d’une longueur de 1 200 km. Une deuxième alternative réside dans la diversification des sources d’énergie pour atteindre un mix énergétique de 42 % d’énergies renouvelables d’ici 2030, un objectif qui progresse selon un calendrier précis. Le gouvernement intensifie ses efforts pour accroître la part des énergies renouvelables dans ce mix, en collaboration avec le secteur privé.
A plus long terme, la troisième alternative, plus durable, récemment annoncée par le ministre du Pétrole et des Ressource minérales, Karim Badawi, consiste à attirer de nouveaux investissements et à accroître la production pétrolière et gazière. Le ministre a déclaré que 15 nouveaux accords sont en préparation, représentant un investissement de 748,5 millions de dollars pour le forage de 46 puits.
Les opportunités d’extraction sont nombreuses, selon un rapport publié par Egypt Oil and Gas Group, un organisme reconnu pour ses recherches dans le secteur énergétique en Egypte et la fiabilité de ses données. « Plusieurs projets sont en cours de développement, notamment la découverte du puits de Nargis par Chevron en 2023, dans l’est du Delta du Nil, considéré comme le plus important. En outre, la réactivation du gisement de Zohr est en cours. D’autres découvertes sont également très attendues, telles que celles du bloc 6 d’Eni et du bassin d’Hérodote », indique le rapport.
Les premiers résultats annoncés par le ministre du Pétrole concernant l’extraction et le forage, de janvier à octobre, sont prometteurs : 77 puits ont été forés, dont 54 sont opérationnels. Par ailleurs, 40 découvertes de pétrole sont en cours d’exploitation, tandis que 14 concernent le gaz. Les réserves recensées s’élèvent à 71 millions de barils de pétrole et 680 milliards de pieds cubes de gaz. Selon Badawi, de nouvelles régions seront explorées, notamment huit puits dans la région du golfe de Suez et du désert oriental, ainsi que quatre dans le désert occidental.
Incitations aux investisseurs
Dans le cadre de ces investissements, le ministre a évoqué des incitations destinées à attirer les investisseurs sur le marché énergétique égyptien. Ces incitations incluent de nouveaux mécanismes dont la mise en oeuvre est liée à l’augmentation de la production et des activités de forage exploratoire et de développement. Une partie des recettes sera allouée au remboursement des dettes gouvernementales envers les entreprises étrangères. Par ailleurs, ces dernières pourront bénéficier d’une part supplémentaire du gaz naturel ou du pétrole brut produit sur leurs concessions, sous condition d’une augmentation de leur production. Cette part supplémentaire sera partagée avec le gouvernement égyptien selon des proportions qui seront convenues ultérieurement. Les partenaires étrangers, tout comme le gouvernement, auront le droit de commercialiser et d’exporter cette part, obtenant ainsi des revenus en devises étrangères.
Ahmed Abdallah, analyste en investissement au sein d’une multinationale énergétique, conclut que les investisseurs ont avant tout besoin de politiques publiques permettant de limiter la volatilité du taux de change. « Pour se protéger, les investisseurs souhaitent que leurs contrats soient libellés en dollars ou en euros. Cela n’est pourtant pas indispensable. L’OPEP travaille avec un panier de devises, et nous pourrions adopter une approche similaire pour réduire l’impact sur la livre égyptienne. Il n’est pas nécessaire de tout tarifer en dollars ! », ajoute-t-il.
Le marché pétrolier et gazier en Egypte
La production égyptienne de gaz a atteint 4,6 milliards de pieds cubes par jour en 2024, tandis que le pays importe 1 milliard de pieds cubes d’Israël. La consommation domestique oscille entre 6,7 et 6,8 milliards de pieds cubes par jour, laissant un déficit de 800 millions de pieds cubes.
L’Egypte avait atteint l’autosuffisance entre 2018 et 2022, avec un pic de production de 7,2 milliards de pieds cubes par jour en 2020. Cependant, la production du champ gazier de Zohr, qui culminait à 3,2 milliards de pieds cubes par jour en 2018, a chuté à seulement 1,9 milliard en 2024.
« Le pétrole et ses dérivés ne posent pas les mêmes problèmes que le gaz. La situation est relativement stable », explique Hafez Salmawy. Il ajoute que l’Egypte produit 32 millions de tonnes de pétrole brut et de dérivés par an, soit environ 600 000 barils par jour, ce qui couvre 70 % des besoins nationaux.
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