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Syrie : A l’heure de la realpolitik

Abir Taleb , (avec Agences) , Mercredi, 18 décembre 2024

Les démarches se multiplient à l’international pour établir des contacts avec les nouveaux maîtres de Damas. Les nouvelles autorités s’emploient de leur côté à rassurer les capitales étrangères quant aux contours de la future Syrie.

Syrie
Photo : AFP

Une réunion virtuelle entre les chefs de la diplomatie des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie au sujet des derniers développements en Syrie. Le haut représentant de l’Union Européenne (UE) à Damas pour des entretiens. Une mission française à Damas. Une autre britannique. Un émissaire onusien aussi. Une réunion à haut niveau en Jordanie. Un « contact direct » établi, selon le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, par Washington avec le groupe Hayat Tahrir Al-Sham (HTS), à la tête de la coalition qui a pris le pouvoir en Syrie … Les acteurs internationaux n’ont pas attendu longtemps pour commencer à se concerter sur la Syrie et à prendre langue avec les nouvelles autorités. Donnant une fois de plus l’impression, après les interrogations sur le « deal » qui a conduit à la chute de Bachar Al- Assad, que l’avenir de la Syrie se joue aussi ailleurs.

Le premier haut responsable à s’être rendu en Syrie est l’émissaire de l’ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, qui a rencontré, dimanche 15 décembre, le leader de la nouvelle administration syrienne, Ahmed Al-Charaa, connu il y a quelques jours à peine encore sous son nom de guerre, Abou Mohammed Al-Joulani, et le chef du gouvernement des affaires courantes, Mohamed Al- Bachir. Pedersen et Al-Charaa ont discuté des « changements survenus sur la scène politique, qui rendent nécessaire une révision » de la résolution 2 254 du Conseil de sécurité de l’ONU, selon le communiqué publié sur Telegram. Cette résolution adoptée en 2015 établit une feuille de route pour un règlement politique en Syrie. Pedersen s’est également dit en faveur de la levée des sanctions contre le groupe Hayat Tahrir Al- Sham, à la tête de la coalition qui a renversé le régime. Ancienne branche syrienne d’Al-Qaëda, HTS est toujours considéré comme un groupe terroriste par de nombreux pays occidentaux. Avant de se rendre en Syrie, Geir Pedersen a également participé en Jordanie à des discussions réunissant des diplomates américains, arabes, européens et turcs, qui ont convenu que le processus de transition doit « être dirigé (…) par les Syriens eux-mêmes et aboutir à un gouvernement inclusif, non sectaire et représentatif », selon un communiqué conjoint.

Faire bonne figure

Bref, depuis la chute de Bachar Al-Assad, c’est le branle-bas général. Profitant de ses contacts avec les Occidentaux, Ahmed Al- Charaa a souligné « la nécessité de lever toutes les sanctions imposées à la Syrie afin de permettre le retour des réfugiés syriens dans leur pays ». En parallèle, les nouvelles autorités syriennes s’attèlent à faire bonne figure, à rassurer à l’intérieur de la Syrie, mais aussi à l’extérieur. HTS tient désormais un discours modéré et son gouvernement intérimaire a insisté à plusieurs reprises sur la protection des droits de tous les Syriens, y compris les minorités ethniques et religieuses. Les groupes combattants « seront dissous et leurs combattants préparés à rejoindre les rangs du ministère de la Défense, et tous seront sous le coup de la loi », a affirmé Ahmed Al-Charaa, dans des propos rapportés mardi matin par la chaîne Telegram de la coalition menée par HTS. « La Syrie doit rester unie, et il faut qu’il y ait un contrat social entre l’Etat et l’ensemble des confessions pour garantir une justice sociale », a-t-il assuré.

Mais unifier le pays morcelé par des années de guerre sanglante et où sont présentes de nombreuses factions aux allégeances divergentes et de nombreuses minorités religieuses et ethniques reste un défi pour HTS. La question est aussi de savoir si HTS a vraiment laissé derrière lui ses racines extrémistes.

En attendant d’avoir les réponses et face à une situation régionale inflammable, les pays occidentaux ne veulent pas passer à côté de l’opportunité de renouer les liens avec la Syrie, conscients du risque de fragmentation et de résurgence de Daech, qui n’a jamais été totalement éradiqué du pays.

Nouvelles configurations

En même temps, les Occidentaux oeuvrent à profiter de la situation actuelle pour limiter l’influence russe, mais aussi iranienne, dans la nouvelle Syrie. La cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, l’a clairement dit : la Russie et l’Iran ne doivent pas « avoir de place » dans la Syrie de demain, et l’Union Européenne (UE) soulèvera la question du devenir des bases militaires russes en Syrie avec le nouveau pouvoir. Il est à noter que la Russie dispose d’une base aérienne à Hmeimim et d’une autre, navale, à Tartous, ainsi que de 21 installations militaires et de 93 postes d’observation sur l’ensemble du territoire syrien. Moscou a annoncé avoir procédé à un important redéploiement de ses forces en Syrie et qu’elle n’a pas l’intention de se retirer de ses deux bases stratégiques. Lundi 16 décembre, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s’est contenté d’affirmer que la Russie était « toujours en pourparlers avec la partie syrienne sur le statut des bases militaires russes dans le pays », précisant qu’aucune décision finale n’avait été prise sur cette question jusqu’à présent.

La Turquie gagnante, les Kurdes perdants

Entre les puissances étrangères, c’est donc déjà la dispute autour du partage du gâteau. Et dans ces nouveaux équilibres, un pays a un rôle-clé : la Turquie. Depuis 2011, Ankara a toujours soutenu l’opposition syrienne. Par la suite, à mesure que la crise s’amplifiait en Syrie, la Turquie a établi une présence militaire permanente à Idlib. Aujourd’hui, la Turquie est vue comme le principal gagnant de la chute de Bachar Al-Assad. Nombreux sont d’ailleurs ceux qui pensent que la Turquie a joué un rôle important dans l’offensive du HTS qui a permis la chute du régime, même si elle a nié à plusieurs reprises toute implication dans l’offensive du HTS. Il n’en demeure pas moins qu’Ankara tentera sans aucun doute d’étendre sa sphère d’influence en Syrie. La Turquie soutient l’Armée Nationale Syrienne (ANS) et contrôle de grandes parties du nord de la Syrie. Son objectif officiel est d’empêcher la création d’une unité territoriale des forces kurdes. Les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), une coalition qui contrôle certaines parties du nord de la Syrie, sont considérées comme la branche syrienne du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, ennemi numéro un d’Ankara. La Turquie entend aussi éloigner les Unités de protection du peuple (YPG), qu’elle considère comme une émanation du PKK, donc comme terroriste. A l’heure actuelle, les forces soutenues par la Turquie prennent des mesures contre les milices kurdes et ont pris ces derniers jours le contrôle de zones dans le nord-est de la Syrie, y compris la ville de Manbij.

Mais en même temps, Ankara affirme vouloir travailler en étroite collaboration avec le futur gouvernement syrien. Les officiels turcs affichent une position commune : il faut donner une chance aux nouvelles autorités syriennes, qui ont émis des « messages constructifs », et les soutenir dans leurs efforts. La Turquie se dit même « prête » à fournir de l’aide militaire si le nouveau gouvernement à Damas lui en fait la demande, comme l’a annoncé, dimanche 15 décembre, le ministre turc de la Défense, Yasar Güler. Ankara veut une Syrie stable et unifiée pour permettre le retour des millions de réfugiés qu’elle accueille.

Israël pêche en eau trouble

Malgré ces déclarations de bonne volonté, le rôle de la Turquie inquiète. Le président américain élu, Donald Trump, a estimé, lundi 16 décembre, que la Turquie avait effectué « une prise de contrôle inamicale » de la Syrie. Le futur président des Etats-Unis et très proche allié d’Israël n’a cependant pas placé un mot sur ce qu’Israël fait depuis la chute de Bachar Al-Assad : des bombardements intensifs contre les installations militaires syriennes. Au point que les raids menés dans la nuit de dimanche à lundi dans la région de Tartous ont provoqué un séisme de 3 degrés sur l’échelle de Richter. Objectif : anéantir les forces armées syriennes. Qui plus est, après avoir pris le contrôle de la zone tampon surveillée par l’ONU, le gouvernement israélien a approuvé, dimanche 15 décembre, un projet visant à doubler la population dans la partie du Golan syrien annexée par Israël.

Des provocations israéliennes passées presque sous silence par la communauté internationale, en dehors de quelques timides condamnations. Dans les capitales occidentales, les priorités sont tout autres …

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