Al-Ahram Hebdo : Damas a longtemps eu une très forte influence sur la scène politique libanaise. Quelles seront les incidences de la chute de Bachar Al-Assad sur Beyrouth ?
Rabha Seif Allam : Il n’y a aucun doute que l’impact de la chute de Bachar Al-Assad sur le Liban est très grand. En effet, depuis la fin de la guerre civile libanaise, et même avant, le Liban était dirigé depuis Damas. Donc, les répercussions sur le Liban sont presque tout aussi directes et aussi importantes que sur la Syrie elle-même. Historiquement, il a toujours existé au Liban des forces politiques en faveur de la présence, sinon de l’influence syrienne au Liban. D’ailleurs, le différend entre l’Alliance du 8 mars (pro-Damas) et celle du 14 mars (anti-Damas) portait essentiellement sur le rôle syrien.
Après la chute d’Assad, on a commencé à revoir les alliances politiques au Liban. Plusieurs figures politiques ont ravivé certains souvenirs, notamment ceux de personnalités disparues et dont l’assassinat avait été imputé aux renseignements syriens. Il existe donc une certaine fébrilité actuellement au Liban, une satisfaction quant à la chute d’Assad. Cependant, ce n’est pas un mince défi. Le Liban sera pour la première fois à l’épreuve d’une gouvernance sans emprise syrienne.
— Quels sont les changements à prévoir dans les équilibres politiques au Liban ?
— Il existe certainement des répercussions directes, notamment le contrôle des frontières, le spectre d’un chaos plus général. Pour le Liban, ce sera la première fois que l’influence syrienne disparaîtra. Aujourd’hui, le Liban est dans l’expectative. Mais la situation ne s’est pas encore stabilisée pour que l’on puisse trancher. Cela dit, il ne fait aucun doute qu’au Liban, le Hezbollah est le premier perdant. Si le Hezbollah a concédé à accepter l’accord de cessez-le-feu, c’est parce qu’il était conscient qu’il devait préserver sa puissance militaire et politique tout en comptant sur sa base arrière syrienne. Or, maintenant, ce n’est plus le cas. Il n’existe désormais plus de pont terrestre reliant l’Iran au Hezbollah à travers la Syrie et l’Iraq. La voie d’approvisionnement en armes a été coupée. L’Iran et le Hezbollah vont désormais revoir leurs comptes. Mais je pense qu’à l’heure actuelle, le Hezbollah va oeuvrer à se reconstruire, regagner en popularité, préserver ses capacités militaires, redéployer ses forces et les cacher dans des endroits sûrs.
— Mais outre le Hezbollah, il existe au Liban d’autres forces proches de Damas …
— Oui, ce sont les partis qui prônent le nationalisme et le panarabisme. Ils ont une certaine idéologie qu’ils maintiendront. Mais je ne pense pas qu’ils aient un poids dans la période à venir vu qu’ils étaient essentiellement soutenus par les renseignements syriens tout au long des 30 dernières années.
— Juste après l’accord de cessez-le-feu, une date a été fixée pour l’élection d’un président après plus de deux ans de vacance. Ces nouveaux développements peuvent-ils aider à sortir du blocage politique à l’origine de cette vacance ?
— Effectivement, le Parlement libanais doit tenir une séance consacrée au vote d’un président le 9 janvier prochain. Quand la date a été avancée, la situation n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. Les récents développements devraient se répercuter de manière positive sur le choix d’une personnalité consensuelle qui reflète les nouveaux rapports de force. Le candidat du Hezbollah, Sleiman Frangié, était aussi un proche de Bachar Al-Assad. Ses chances se sont donc réduites. Aux antipodes, le nom de Samir Geagea, président des Forces Libanaises (FL), auparavant éloigné en raison de ses anciennes relations avec Israël, revient en force. Et entre ces deux extrêmes, d’autres noms sont cités. Mais la question reste de savoir si une seule séance parlementaire suffira pour trouver un consensus, malgré les nouvelles donnes.
— Et qu’en est-il des relations avec Israël d’autant plus que la chute d’Assad est intervenue quelques jours après l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah ?
— Actuellement, Israël est en train d’acter le retrait de ses forces en vertu de l’accord de cessez-le-feu. Certes, la trêve a été violée à plusieurs reprises, mais il a été convenu que ces violations ne feraient pas capoter l’accord. Il est prévu que ces violations se poursuivent mais qu’Israël retire ses troupes, même si cela prendra plus de temps que prévu et même si ce ne sera pas un retrait à 100 %. Certains points seront à discuter avec l’émissaire américain Amos Hochstein, notamment un tracé définitif des frontières. Avec les récents développements, je ne pense pas que la guerre reprenne. Le Hezbollah ne voudra pas de nouveaux affrontements après avoir perdu sa voie d’approvisionnement en armes.
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