Les mécanismes du conflit, qui dure depuis plus de 13 ans, ont favorisé l’émergence d’une économie parallèle particulièrement active.
Les experts et les institutions internationales constatent une dégradation significative de tous les indicateurs économiques en Syrie au cours des dix dernières années. « Une décennie de conflit a dévasté l’économie syrienne, entraînant une chute de 54 % du Produit Intérieur Brut (PIB) entre 2010 et 2021. Ce recul considérable est principalement dû à l’effondrement de l’activité économique causé par le conflit », indique le rapport semestriel de la Banque Mondiale (BM) sur la Syrie, Syria Economic Monitor, Spring 2024. Ce document met en lumière la détérioration générale des indicateurs économiques : taux de croissance du PIB, échanges commerciaux, effondrement de la monnaie nationale face au dollar et flambée de l’inflation.
Selon ce rapport, la croissance du PIB s’élevait à 1,3 % en 2021, avant de devenir négative en 2022 et 2023, atteignant respectivement -0,1 % et -1,2 %. « Il est prévu que ce taux atteigne 1,5 % d’ici la fin de 2024 », précise le rapport. La BM souligne également que les perturbations liées au conflit ont provoqué un effondrement du commerce extérieur depuis 2011. « D’après la Banque Centrale de Syrie (CBS), les exportations de biens ont chuté de 8,8 milliards de dollars en 2010 à 1 milliard en 2023. De même, les importations sont passées de 17,5 milliards de dollars en 2010 à 3,2 milliards en 2022 », indique le rapport. Face à la dégradation de l’activité économique, les réserves de devises du pays ont considérablement diminué, entraînant une chute de la monnaie nationale face au dollar et une forte inflation (voir encadré).
Une économie parallèle florissante
Rabha Seif Allam, experte des affaires syriennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, explique que les mécanismes du conflit, qui dure depuis plus de 13 ans, ont favorisé l’émergence d’une économie parallèle particulièrement active. Cette économie repose notamment sur le contrôle des puits de pétrole, le trafic de carburants, d’armes et de drogues. « Une activité commerciale limitée subsiste également avec les pays frontaliers via des points de passage et l’importation de marchandises », ajoute-t-elle.
Le rapport de la BM souligne que la production de pétrole a chuté, passant de 383 000 barils par jour en 2010 à 90 000 barils par jour en 2023, selon les données de l’Energy Information Administration des Etats-Unis. Cette baisse était déjà amorcée avant le conflit, en raison du vieillissement des gisements pétroliers, mais la guerre a considérablement accéléré ce déclin.
« En février 2023, le séisme a endommagé la raffinerie de Banias, la plus grande du pays. Couplée à des coupures d’électricité et des perturbations des chaînes d’approvisionnement, cette situation a encore aggravé la baisse de la production pétrolière. Par ailleurs, les bombardements turcs lancés en octobre 2023 ont causé d’importants dégâts aux infrastructures, aux services et aux ressources critiques dans la région nord-est de la Syrie », précise le rapport.
Deux scénarios
Les analystes envisagent deux scénarios pour l’avenir de l’économie syrienne après la chute du régime de Bachar Al-Assad, soulignant l’importance cruciale de la reconstruction d’un pays ravagé par le conflit. Rabha Allam adopte une perspective optimiste, bien qu’elle reconnaisse les incertitudes. Selon elle, les circuits de l’économie parallèle pourraient acquérir une certaine légitimité, du moins temporairement, et continuer à fournir des services financés par des taxes douanières, des droits d’entrée supplémentaires et d’autres prélèvements. « Une partie de l’économie pourrait être soutenue par ces mécanismes », affirme-t-elle.
Elle ajoute : « Il y aura également un retour des déplacés syriens en provenance du Liban, de la Turquie, de l’Egypte et d’autres pays. Ces personnes reviendront avec des économies personnelles qu’elles investiront dans de petites activités économiques ». Elle considère comme un fait encourageant la perspective d’une mise en place rapide d’un gouvernement intérimaire et le rôle rassurant de la Banque Centrale de Syrie. « Dans son communiqué de presse, la Banque Centrale a déclaré que les épargnes étaient sécurisées et que les échanges financiers continuaient de manière régulière, ce qui suggère que les canaux officiels de transfert de fonds restent opérationnels », analyse-t-elle.
En revanche, Mohamed Shadi, analyste au Centre de la pensée et des études stratégiques, se montre beaucoup plus pessimiste. « Avant la chute de Bachar Al-Assad, la Chine s’était positionnée pour prendre en charge une grande partie des opérations de reconstruction en Syrie. Cependant, depuis dix mois, rien ne garantit que ce plan soit activé sous l’actuel gouvernement de transition », observe-t-il. Dans un tel contexte, les options s’avèrent complexes, nécessitant la mobilisation d’un consortium international pour financer la reconstruction. « Bien que la situation syrienne soit particulièrement difficile, le désir de réduire les flux de réfugiés pourrait constituer un fait incitatif pour les acteurs mondiaux », souligne Shadi.
Il ajoute que la production pétrolière syrienne reste insuffisante pour couvrir les besoins essentiels, encore moins pour financer les importations. En plus, il n’est pas certain que les pays arabes comblent le déficit laissé par le faible rendement pétrolier syrien. Toutefois, Shadi évoque une lueur d’espoir si la Turquie devait assumer un rôle de parrain mondial pour le financement de la reconstruction. « Tout dépendra de la reconnaissance internationale du gouvernement intérimaire et de sa capacité à maintenir le fonctionnement des institutions dans la durée », explique-t-il.
Rabha Allam, pour sa part, insiste sur le fait que les circuits de trafic créés aux différents stades du conflit, et alimentés par l’économie de guerre, ont servi à tous les acteurs, indépendamment de leurs idéologies. « C’est pourquoi la suppression de ces réseaux ne dépend pas uniquement d’accords politiques pour restaurer la paix, mais également de leur désintégration progressive, afin de permettre la mise en place de nouvelles institutions et de structures étatiques durables », conclut-elle.
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