Ces derniers mois, elle ne cesse d’accumuler les prix. D’un festival de théâtre à un autre, d’un pays à un autre et d’une expérience en tant que comédienne à une autre en tant que danseuse ou même chanteuse. Parce que la Syrienne Hala Omran a une addiction aux planches, toutes les planches. En Egypte, en Tunisie ou même en France où elle réside depuis une vingtaine d’années, elle n’arrête pas d’aiguiser ses talents et de se lancer dans de nouvelles aventures.
C’est une comédienne qui ne se limite pas à un style et qui nous surprend avec ses différents rôles. A la 25e édition du festival « Les Journées théâtrales de Carthage » (23-30 novembre), elle était membre de jury. « Les Journées théâtrales de Carthage m’ont beaucoup donné. Ce festival m’a accordé son prix deux fois et m’a donné un grand public et un grand amour. Cette fois-ci, il m’a chargée d’un autre type de responsabilité. En tant qu’artiste, je sais combien il est difficile d’accepter quelqu’un qui nous évalue. Je ne sais pas à quel point l’idée d’évaluation est correcte dans son intégralité. Je ne me permets pas d’évaluer un artiste, mais je peux donner un point de vue, un point de vue objectif d’un oeil aimant », souligne Hala Omran sur les réseaux sociaux.
Tout au long du mois de novembre également, elle a participé à différentes festivités théâtrales en Egypte. « Je fuis toujours la monotonie. Je ne peux pas rester dans un seul endroit plus d’une semaine. Je vis dans l’avion », dit-elle en souriant. Omran a été honorée pour l’ensemble de son oeuvre au Festival du théâtre des jeunes de Charm Al-Cheikh (15-20 novembre), a donné sa récente création Dressing Room au Caire à la 12e édition du Festival D-CAF et à Alexandrie au Festival Theatre is a Must. Et ce, après avoir remporté en septembre dernier le prix de la meilleure interprétation féminine pour son rôle dans Mute du Koweïtien Suleyman Al-Bassam. Un prix qu’elle a déjà remporté en 2022 par son rôle dans I medea monté par le même metteur en scène. « Les prix me donnent de la joie. Etre honorée au Festival de Charm Al-Cheikh était une surprise pour moi », lance-t-elle.
Son récent spectacle est une création conjointe avec la plasticienne et scénographe palestinienne Bissane Al-Chérif, dont la première a été donnée au Caire au Festival D-CAF début novembre. « Le spectacle évoque les histoires des femmes de plus de 50 ans qui subissent des transformations corporelles dans un contexte politique généralement critique. L’idée du projet a débuté il y a trois ans. C’est un travail de recherche continue qui donne naissance à deux projets : la pièce de théâtre et un atelier qu’Al-Chérif, accompagnée par le dramaturge Wael Ali, anime avec les femmes âgées. Le travail a donné naissance à trois résidences : à Lyon, à Marseille et récemment au Caire ». Pour cette actrice, il s’agit d’une nouvelle aventure. Sur les planches, c’est un dialogue avec des femmes des pays arabes qui ont vécu des deux côtés de la Méditerranée sur les questions du temps, du vieillissement et de la mémoire. « Voyez-vous, le théâtre m’a tout donné dans la vie. Je lui dois beaucoup. Ce qui me fait peur, c’est de croire que j’ai tout fait. Je me méfie de penser avoir atteint tout ce que j’ai voulu. Je suis toujours en quête de nouveauté », explique Hala Omran sincèrement. Et pour cela, elle ne cesse d’apprendre, de se lancer dans divers ateliers de formation et de se présenter chaque fois au public différemment.
Elle est chanteuse avec la troupe Team Dragon des musiciens libanais Ali Hout et Abdel-Ridha Kobeissi, danseuse dans les spectacles du chorégraphe libanais Ali Chahrour et comédienne qui fait manifester tout son potentiel et ses différents talents en brisant les formes classiques de l’interprétation avec Sulayman Al-Bassam. « Moi et Al-Bassam, nous sommes de vrais partenaires professionnels depuis notre travail ensemble dans Fi Maqam Al-Ghalayane. Al-Bassam est à l’origine un dramaturge. Je me trouve dans ses textes. Je sens qu’il écrit pour moi. Dès qu’il finit son texte, il me l’envoie directement. Tout le temps, nous cherchons, tous les deux, à briser les règles du jeu et les formes traditionnelles du théâtre et à faire quelque chose de nouveau ».
Fille d’un grand poète syrien et issue d’une famille hantée par la culture et les arts, Hala Omran s’est familiarisée avec le monde des intellectuels et des artistes dès son tendre âge. « A la maison, on accueillait des artistes et les hommes de lettres. Mes parents m’emmenaient souvent au théâtre, pas forcément pour les spectacles pour enfants. La petite fille introvertie que j’étais voyait les stars comme Mona Wassef et d’autres sur scène très grandes. Et je rêvais d’être avec elles », raconte-t-elle. Mais ce rêve et désir enfantin s’est effrité au fil des années.
Après avoir eu son bac, Hala voulait faire de la danse et partir à l’étranger. « J’ai alors obtenu une bourse pour étudier la danse en Tchécoslovaquie. A l’époque, je devais attendre un an et demi avant de voyager. En attendant, je me suis inscrite à la faculté de pharmacologie. J’avais aussi une passion pour les sciences ». Mais un mois avant le voyage, Hala laisse tomber le projet et rejoint l’Institut supérieur des arts dramatiques. Le désir longtemps caché s’est révélé. « Dès que j’ai franchi le seuil de l’institut, j’ai su que j’avais trouvé ma place. Mes parents me pensaient perdue et ne comprenaient pas ce qui se passait. Mon père voyait dans la pharmacologie une carrière stable et rentable. Il se méfiait du monde dur du théâtre et me pensait trop sensible. J’ai fini par suivre les deux cursus à la fois ».
Encore étudiante, Omran a eu la chance de participer au spectacle Al-Nawres, monté par une professeure russe à l’institut. Et à d’autres projets artistiques de sa promotion, supervisée par le comédien syrien et professeur Gamal Soliman.
« A un certain moment, il fallait trancher. C’était bizarre. J’avais participé à un simple spectacle pour enfants en Tunisie. Ce n’était pas un grand spectacle, mais j’ai dû respecter mon engagement au projet à tel point que j’ai quitté les examens de fin d’études de pharmacologie ». C’était une manière de s’affirmer comme comédienne. Avant même d’être diplômée, Hala a participé à des feuilletons télévisés. Mais son grand défi cinématographique était de participer au film de Ossama Mohamed Sandouq Al-Donia et à Bab Al-Chams de Yousri Nasrallah. « J’aime mon expérience cinématographique. Les films où j’ai joué exigent de longues recherches et appartiennent au cinéma d’auteur », souligne la comédienne qui, malgré ses succès remarquables à la télé et au cinéma, a été éprise par le théâtre. « Je suis comédienne. Le théâtre est l’espace où je sens que je suis libre d’expérimenter, de détruire et de faire ce que je veux. Je suis libre de toute censure personnelle, interne ou externe », estime-t-elle.
Elle débutait alors son aventure avec le théâtre du Français Pascal Rambert en jouant dans Gilgamesh. « Après un atelier de travail en Syrie, on a passé un autre en France. Et en 2000, le spectacle a vu le jour au Festival de théâtre d’Avignon et a tourné pendant un an en Europe. En même temps, j’ai eu une nouvelle proposition de jouer dans un autre en Italie. Petit à petit, mon travail était centré en Europe. Je faisais des allers-retours entre la Syrie et les pays européens jusqu’à 2007 où j’ai décidé de m’installer en France. Mais aussi j’ai gardé ma maison à Damas. Depuis 2011, malheureusement, je ne suis pas retournée en Syrie », déplore-t-elle.
« Je n’aime pas être classée en tant que Syrienne ou Arabe. Tout artiste ne peut pas s’isoler du contexte politique où il vit. C’est évident. Mais quand je joue, je ne représente que moi-même. L’artiste ne changera pas le monde, mais il est influencé par ce qui se passe autour de lui et il présente son point de vue. Il ne peut jamais être objectif », conclut la comédienne dont les positions politiques sont clairement reflétées dans son jeu.
Lien court: