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Syriens d’Egypte : Entre craintes et espoir

Hanaa Al-Mekkawi , Racha Darwich , Mercredi, 11 décembre 2024

Après la chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, les Syriens d’Egypte sont dans l’expectative et l’incertitude. Pour beaucoup, il est encore trop tôt pour prendre la décision de rentrer au pays. Focus.

Syriens d’Egypte : Entre craintes et espoir

La communauté syrienne d’Egypte a suivi avec le monde entier les développements de ces derniers jours en Syrie. Les Syriens se sont réveillés le 8 décembre avec la nouvelle de la chute de la capitale Damas et la fuite de Bachar Al-Assad hors du pays.

Le retour au pays est la première chose à laquelle pensent bien évidemment les réfugiés syriens du monde entier après des années d’exil. Pour Omar, 37 ans, vendeur, le peuple syrien a beaucoup souffert ces dernières années. « Nous aimerions que ces souffrances se terminent enfin », affirme-t-il. Pourtant, lorsqu’on lui demande s’il a l’intention de retourner dans son pays une fois la situation stabilisée, il répond avec un sourire qu’il est « attaché à ses amis en Egypte » et qu’il n’est pas facile pour lui de « prendre une telle décision ».

La majorité des Syriens ont eu la même réaction : un mélange d’inquiétude et d’expectative. Malgré leur joie de voir partir Bachar Al-Assad, un scénario qu’ils n’avaient pas vu venir et qu’ils ne pensaient pas être possible sans une longue et douloureuse guerre civile, les Syriens ne manquent pas d’exprimer leurs craintes quant à l’avenir du pays après la poussée des rebelles radicaux de Hayat Tahrir al-Sham (HTC), qui se sont emparés des principales villes de Syrie et ont fait fuir le président Bachar Al-Assad.

Hésitation

Nombre d’entre eux rêvent de retourner à leur pays pour retrouver leurs familles qu’ils n’ont pas vues depuis des années, mais ils sont convaincus que ce ne sera pas pour demain alors que circule sur les réseaux sociaux le hashtag « Syrien, rentre chez toi » !

« Je n’ai pas vu ma famille depuis 13 ans. Maintenant, je peux enfin rentrer chez moi », raconte Mohamed Feras, vendeur dans un magasin. Ce trentenaire avait fui son pays à 19 ans, comme un grand nombre de jeunes, pour échapper au service militaire. « Ma famille me demande déjà ce que je veux manger pour mon premier repas à Damas », dit-il.

Pour d’autres Syriens d’Egypte, il faut attendre pour voir comment les choses évolueront au cours des prochains mois. La victoire de la résistance révolutionnaire sous la bannière du chef d’un groupe islamiste extrémiste donne à la révolution une dimension idéologique et suscite de nombreuses craintes au sein de la communauté syrienne, connue pour sa diversité ethnique et culturelle, comme l’explique Afaf, femme au foyer de 42 ans, qui vit en Egypte avec sa famille depuis 8 ans. « Je vis dans un état de crainte en raison de ce qui se passe dans mon pays, surtout le chaos qui règne dans la rue syrienne après le départ du régime et l’élimination de ses symboles », explique-t-elle.

Ahmad Bakr, qui réside en Egypte depuis 5 ans et travaille dans le domaine du prêt-à-porter, explique que bien qu’il soit heureux, il pense qu’il n’est pas impératif dans l’immédiat qu’il rentre chez lui. Car il est bien installé ici avec sa famille et en plus, il n’est pas sûr que la situation se stabilise rapidement en Syrie.

On retrouve la même réaction chez les Syriens qui ont fondé un business en Egypte et qui ont réussi. Ils ne veulent pas que leur vie soit perturbée, d’autant que l’avenir de leur pays n’est pas encore clair. D’après l’ancien président de l’Association de la communauté syrienne d’Egypte, Rassem Al-Atassi, seulement la moitié des Syriens vivant en Egypte seraient prêts à retourner en Syrie. En revanche, ceux qui ont fondé un business réussi préfèrent rester.

1,5 million de Syriens en Egypte

Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), plus de 1,5 million de Syriens sont installés en Egypte depuis 2011. 159 000 d’entre eux sont enregistrés comme réfugiés. Ils ont ouvert des commerces, des usines et des entreprises. Ils se sont surtout investis dans la gastronomie, ouvrant des restaurants, des pâtisseries et des confiseries qui ont réalisé un énorme succès auprès des Egyptiens devenus des fans des plats syriens. En effet, les liens entre les deux peuples égyptien et syrien remontent à de nombreuses années. Entre 1958 et 1961, l’union entre l’Egypte et la Syrie sous le nom de « République arabe unie » avait fait fusionner les deux peuples. Les réfugiés syriens ont un statut spécial en Egypte. Ils bénéficient des mêmes services que les Egyptiens en matière de santé, d’éducation et d’enseignement supérieur.

Au milieu de leurs inquiétudes, de leurs joies et de leurs festivités, les Syriens d’Egypte n’ont pas oublié de montrer leur reconnaissance envers leurs frères égyptiens. « Vous êtes le peuple le plus gentil et le plus généreux du monde. Quand nous retournerons en Syrie, si nous y retournerons un jour car nous nous sommes habitués à la vie ici, nous interdirons l’entrée à toutes les nationalités arabes, sauf aux Egyptiens. Ce que vous avez fait pour nous est immense et vous exprimez toujours votre amour au peuple syrien, à ceux qui sont soit en Egypte ou en Syrie. Vous êtes plus qu’une famille pour nous », dit un Syrien installé en Egypte depuis 13 ans et qui maîtrise d’ailleurs parfaitement le dialecte égyptien.

Aujourd’hui, on ne peut pas distinguer les Syriens en Egypte parce qu’ils sont partout et ont maîtrisé le dialecte égyptien et la façon de parler des Egyptiens. Même les blagues et les chansons égyptiennes sont courantes au sein de la communauté syrienne. Les Syriens ont acquis le respect et l’amour des Egyptiens en raison de leur grande politesse et leur maîtrise des activités qu’ils pratiquent. Les Egyptiens en sont venus à aimer la cuisine syrienne, en particulier le « chawerma », dont les magasins sont largement répartis dans presque toutes les rues. Cet amour mutuel est clairement exprimé dans des vidéos qui ont circulé ces dernières heures sur les réseaux sociaux et où l’on voit des Egyptiens félicitant les Syriens après le départ du régime de Bachar Al-Assad mais rejetant l’idée de leur retour en Syrie parce qu’ils les aiment. « Le jour où je reviendrai dans ma ville natale, je préparerai un repas de kochari et de falafel égyptiens avec du chawerma syrien », dit un Syrien vivant en Egypte pour exprimer son attachement à ce pays. Que ce soit en Egypte ou en Syrie, les Syriens ont avant tout envie de tourner la page d’un passé douloureux.

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