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Mohamed Hegazi : A Gaza et au Liban, l’objectif était d’écarter l’Iran, et cet objectif s’est intensifié en Syrie

Samar Al-Gamal , Mercredi, 11 décembre 2024

Mohamed Hegazi, ancien ministre adjoint des Affaires étrangères, estime que derrière la chute rapide du régime syrien se cache une entente acceptée par Al-Assad.

Mohamed Hegazi

Al-Ahram Hebdo : Comment interprétez-vous la chute fulgurante du régime syrien en quelques jours à peine ?

Mohamed Hegazi : Nous sommes face à une situation extrêmement complexe, marquée par des enjeux internationaux liés aux relations russo-américaines, ainsi que par des enjeux régionaux liés à la persistance de l’influence iranienne en Syrie, à l’influence turque et bien sûr à l’intérêt des pays du Golfe. En parallèle, au niveau local, la complexité a été exacerbée par l’arrogance du régime et son refus d’ouvrir tout horizon de dialogue avec les factions de l’opposition.

Cette intransigeance avait fait échouer toutes les tentatives de dialogue, depuis les premières discussions syro-syriennes au Caire jusqu’au refus d’Al-Assad de se conformer à la résolution 2 254 du Conseil de sécurité, adoptée en 2015. Cette résolution offrait au régime une possibilité de participer à un processus politique visant à établir une autorité de transition chargée de gérer les affaires du pays jusqu’à l’organisation d’élections démocratiques sous l’égide des Nations-Unies et à la mise en place d’un parlement chargé d’élire un président.

Par ailleurs, l’influence iranienne, qui était auparavant un soutien crucial pour le régime syrien, a commencé à décliner. Les sanctions internationales, les tensions régionales et les difficultés économiques internes de l’Iran ont limité sa capacité à soutenir le régime syrien.

L’autre aspect est purement régional. L’influence iranienne était une source d’inquiétude pour de nombreux acteurs et il y avait donc une volonté d’écarter cette influence, et cela s’est manifesté dans la guerre contre Gaza, après le 7 octobre, concernant le Hamas et la rupture de ses liens ou même son élimination, comme Israël a tenté de le faire, ainsi qu’au Liban, avec le désir de revenir à la résolution 1 701. Dans les deux conflits, à Gaza et au Liban, l’objectif était d’écarter l’Iran, et cet objectif s’est intensifié en Syrie. En effet, le Hezbollah a été affaibli au Liban et n’a plus été en mesure d’aider Damas, après avoir retiré ses forces vers le sud du Liban pour faire face à l’agression israélienne. En parallèle, l’Iran, après avoir vu son influence décliner au Liban, a dû faire face à une situation désastreuse en Syrie, qu’il n’était pas en mesure d’aider.

La Russie, quant à elle, était entièrement occupée par la guerre en Ukraine et a clairement annoncé qu’elle ne pourrait pas mener une guerre pour protéger un régime en déclin. Par conséquent, on est arrivé à la situation actuelle, que certains estiment qu’elle sert la Turquie, les Etats-Unis et Israël.

— Mais quel est le facteur décisif qui a entraîné cette chute ? Est-ce uniquement l’affaiblissement de l’influence iranienne ?

— Je pense qu’il y a eu une préparation en amont, avec des tentatives turques, égyptiennes et d’autres encore, pour engager un dialogue entre le régime syrien et l’opposition. Or, ce dernier s’y est obstinément refusé. Ce mélange d’orgueil de la force et de négligence des enjeux géopolitiques, alors que la région connaissait des mutations profondes remettant en cause l’hégémonie iranienne, a fait basculer la situation.

Face à ce contexte avec les préoccupations de la Russie en Ukraine et celles de l’Iran liées au Hezbollah, et la formation d’un nouveau gouvernement iranien plus modéré, il est clair que des accords ont été trouvés.

Ces ententes expliquent la rapidité de la chute du régime, car des rencontres ont eu lieu entre divers acteurs régionaux, y compris le format d’Astana. Téhéran et Moscou ont simplement fait valoir leurs intérêts.

— De quels types d’accords s’agit-il ?

— Je pense que le cadre général de cette entente implique notamment la Russie, la Turquie et l’Iran. Lors de leurs rencontres à Doha, il me semble qu’un accord a été trouvé pour le retrait de l’Iran de la scène syrienne et l’expansion de l’influence de l’opposition syrienne afin de renverser le régime.

Les accords conclus avec ledit groupe d’Astana, auquel se sont joints des pays arabes comme l’Egypte, l’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats arabes unis, pour former un groupe de sept pays, ont probablement permis de convenir d’une transition pacifique du pouvoir.

La Russie était principalement soucieuse de préserver ses intérêts, notamment sa base aérienne à Hmeimim au sud de Lattaquié et sa base navale au port de Tartous.

L’Iran, sentant le vide du pouvoir qu’il ne pouvait plus défendre et voyant son influence se réduire en Syrie, au Liban et dans la bande de Gaza, a dû se résoudre à retirer ses forces, perdant ainsi tout levier d’influence et optant pour conserver aussi ses intérêts internes, son programme nucléaire et son système de gouvernance, évitant ainsi une confrontation directe avec la nouvelle Administration américaine et Israël. Je pense que Téhéran n’avait ni les moyens, ni la volonté de continuer. Si l’Iran avait soutenu le régime syrien, cela aurait conduit à une escalade des hostilités sur le front iranien. L’alternative aurait été la poursuite des affrontements sur le front iranien, révélant ainsi sa vulnérabilité. Il était même facile de prévoir la possibilité de mettre la pression sur l’économie iranienne, voire de porter atteinte à son programme nucléaire, d’isoler le régime et de le renverser de l’intérieur.

— Cela signifie-t-il que l’Iran a sacrifié Al-Assad ou que ces accords ont été conclus avec l’accord du régime syrien ?

— Nous savons tous que la bataille de Damas aurait été la plus difficile, avec des pertes considérables dans une ville densément peuplée et d’une importance historique. Je pense qu’un retrait sans affrontement direct était dans l’intérêt de toutes les parties. Les accords conclus ont probablement conduit à cette situation et ont été acceptés par le régime syrien.

— Vous dites que la Turquie est l’un des grands gagnants, mais son influence n’est pas nouvelle. Elle soutient des factions armées depuis une décennie …

— En réalité, la Turquie a effectivement dirigé la scène militaire et soutenu les forces d’opposition d’une manière ou d’une autre, mais par le passé, ses intérêts entraient en conflit avec ceux des Etats-Unis qui soutenaient les Forces démocratiques syriennes dominées par les Kurdes, une menace majeure pour la Turquie.

La Turquie est sans aucun doute l’un des gagnants de cette situation jusqu’à présent, car la plupart des forces qui sont entrées en jeu font partie de sa sphère d’influence, même si elles incluent des factions extrémistes, à l’idéologie radicale, qualifiées de terroristes.

Ankara cherchait principalement à sécuriser ses frontières, empêcher toute ingérence des Kurdes et du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu’elle considère comme terroriste, et s’assurer que les régions kurdes ou les zones d’opération des Forces démocratiques ne constituent pas une menace pour son territoire.

— Quels sont les gains des autres acteurs ?

— Les Russes, qui ont probablement obtenu des garanties quant à leur présence en Syrie, au même titre que les Etats-Unis, sortent également gagnants. Ils disposent eux aussi de bases à l’est de l’Euphrate. Ainsi, les deux puissances les plus importantes semblent avoir convenu de maintenir leurs zones d’influence respectives en Syrie.

Cette situation est également favorable aux pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, et peut-être aussi à l’Egypte, car l’influence iranienne était une source d’inquiétude majeure. Il suffit de mentionner la menace qui a pesé sur la navigation dans le Canal de Suez à cause des Houthis et les attaques subies par les navires.

— Quelle sera la suite des événements, alors que les groupes extrémistes prennent le dessus ?

— La prochaine étape pourrait être marquée par des compromis avec ces forces afin de leur permettre d’intégrer le système de gouvernance, comme cela a été le cas en Iraq. Je pense qu’il faut parvenir à un consensus entre toutes les factions en évitant tout schéma de vengeance, d’autant plus que le régime semble avoir capitulé dans une phase où il aurait pu encore livrer bataille et a adopté une approche moins violente vers la fin. Les déclarations du représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Syrie sur l’importance d’une transition pacifique, conformément à la résolution 2 254, constituent un point de départ logique pour aborder cette transition.

Il convient de prendre en compte les divisions ethniques et religieuses, car depuis l’époque coloniale, comme en Iraq où les Britanniques ont soutenu Saddam Hussein, une minorité sunnite contre une majorité chiite, la Syrie a connu une situation similaire avec une minorité alaouite au pouvoir contre une majorité sunnite. Il est donc essentiel d’éviter une nouvelle fragmentation de la Syrie selon des lignes confessionnelles.

— Cependant, la scène est dominée par des groupes extrémistes liés à Al-Qaëda et à l’idéologie de Daech. Cette situation n’inquiète-t-elle pas tant la population syrienne que les pays arabes ?

— Je pense que l’influence de ces groupes s’amenuisera si les institutions étatiques syriennes sont préservées et si les puissances régionales cessent d’instrumentaliser ces milices à des fins politiques. Il est crucial de s’appuyer sur la résolution 2 254 pour entamer une transition politique, organiser des élections démocratiques et dissoudre les milices armées et que l’armée syrienne soit restructurée pour remplir ses missions.

Il ne faut pas aussi généraliser ! Toute l’opposition syrienne n’est pas extrémiste et avec l’aide de la communauté internationale, il est possible de contenir les groupes extrémistes et les intégrer dans une armée nationale. Certes, dans le contexte d’un conflit, tous les moyens sont bons. Ces milices ont été utilisées et le seront peut-être encore dans notre région. Mais lors de la reconstruction, ces groupes radicaux doivent disparaître. Il incombe désormais aux forces nationales syriennes et à la communauté internationale de les neutraliser et de permettre aux forces nationales d’être les moteurs de l’avenir de la Syrie.

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