Un désordre qui obéit à des règles précises.
Comme toute société organisée, la plage est un lien de codes, de rites, de transgression ou d’intégration. Sur un ton humoristique et tendre, le photographe égyptien Roger Anis décrypte les comportements des vacanciers sur la plage. Il effectue le même travail que les sociologues qui se sont emparés, depuis les années 1950, de ce théâtre de sable face à la mer et dos à la ville.
Ses photos en couleurs, exposées actuellement à l’Institut français d’Alexandrie, observent et analysent les comportements des citadins déshabillés, leurs stratégies d’occupation de l’espace, tout ce qui porte un sens social, l’installation des familles, le respect des limites ou son envahissement, les rites du partage de l’espace, le rôle du parasol et du château de sable et, enfin, la gestion des conflits occasionnés par le partage de l’espace.
La mer, seul refuge d’Amina.
Il fait ainsi le tour des us et coutumes balnéaires, grâce à des photos captées sur plusieurs plages publiques égyptiennes, à Gamassa, Ras Al-Bar, Alexandrie et Baltim, mais aussi sur quelques plages de Marseille. Il a pu y séjourner en 2021 et a réussi à filmer aux Catalans et sur la plage de Malmousque. L’oeil sensible du photographe a été attiré par l’originalité des baigneurs non aguerris de celles-ci, proches du vieux port de Marseille.
A chacun sa place
L’accessibilité de ces plages exige de venir tôt pour pouvoir espérer poser sa serviette. Vus de loin, les citadins déshabillés ou couverts semblent installés en désordre, mais en réalité la plage tout comme la ville est un jeu de hiérarchie fait de regards, de mouvement et d’immobilité. On a tous envie d’être présents sur ce grand théâtre saisonnier, face à la mer, où les gens se donnent en spectacle, et chacun occupe une place précise.
Les Frères Tarzan à Marseille.
Un monsieur trône sur la plage comme un maréchal, avec ses jumelles. L’homme ou le père de famille se comporte en conquérant, même si parfois ce sont les femmes qui décident. On voit aussi défiler les vendeurs d’amuse-gueules, les accessoires de plage ... On a l’impression d’entendre jusqu’aux bruits des enfants et des adolescents, tellement les photos sont vivantes.
Les rapports sociaux s’y rejouent et l’actualité y résonne. A Marseille, à titre d’exemple, les migrants ou ceux qui ont des origines différentes se distinguent de par leurs tenues vestimentaires, par les normes imposées aux hommes et aux femmes. Amina est prise de dos, sur la plage de la Pointe rouge. Elle raconte son histoire, à travers le texte qui accompagne la photo, bien cachée derrière son voile et son chapeau : « Je vis ici seule avec ma famille depuis 23 ans. La mer est l’endroit où je vais chaque fois que je me sens triste ou que j’ai des problèmes. C’est mon ami, mieux que 100 thérapeutes ».
Rituels de plages égyptiennes
Le maréchal, avec ses jumelles.
Par hasard, le photographe croise les Frères Tarzan (Tarzan et Arab Nasser, deux cinéastes palestiniens installés en France). Leur photo est vraiment marquante. Pourquoi la mer ? « C’est l’endroit le plus proche de Gaza pour nous. De l’autre côté, on peut presque la voir (...). Ils m’ont parlé de leurs six ans passés à Paris, sombres et oppressants », raconte le texte, affiché à côté de la photo.
Apparemment, on ne se jette pas tous dans l’eau de la même manière, les flots emportent aussi tant de liens sociopolitiques et instaurent parfois des barrières économiques.
Entre deux rives, jusqu’au 30 janvier 2025, à l’IFE d’Alexandrie, rue Al-Nabi Daniel.
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