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Quelle Syrie après Bachar Al-Assad ?

Dr Mona Soliman* , Mercredi, 11 décembre 2024

Transition réussie ? Anarchie ? Guerre civile ? Fragmentation ? Les scénarios de l’après-Assad ne sont toujours pas les meilleurs et peuvent donner des sueurs froides. Au risque de plonger le pays à nouveau dans le chaos. Explications.

Quelle Syrie après Bachar Al-Assad ?

Tournant décisif en Syrie. Le départ précipité de Bachar Al-Assad a mis une fin dramatique, rapide et imprévue à 5 décennies du régime de la famille Al-Assad. Et ce, après l’échec de l’armée syrienne à faire face aux factions syriennes armées qui ont réussi, en 11 jours, à faire tomber Damas. Bien que le peuple syrien ait accueilli avec joie la chute du régime, de nombreux défis se posent désormais pour la gestion de la période transitoire qui déterminera l’avenir de la Syrie.

Le 9 décembre 2024, le chef de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), Ahmed Al-Shara, premier ministre du gouvernement de salut à Idleb, a chargé l’ingénieur Mohammed Al-Bashir de former un nouveau gouvernement syrien pour gérer la phase de transition, dans le but d’éviter un vide politique et constitutionnel dans le pays et de confirmer qu’Al-Shara est l’actuel dirigeant de facto de la Syrie. Il est le chef de l’opération qui a permis de mettre fin au règne d’Al-Assad. Anciennement connu sous le nom de Abou Mohammad Al-Jolani, cet homme âgé de 42 ans, originaire de Damas, a interrompu ses études en médecine pour rejoindre l’organisation terroriste d’Al-Qaëda en Iraq en 2003. De retour en Syrie en 2011, il fonde le Front Al-Nosra, qui a prêté allégeance à Al-Qaëda. Il participe ensuite à la création du groupe HTS.

Bien que son identité et son discours politique aient changé pour adopter une nouvelle idéologie basée sur « une pensée civile et pacifique, reconnaissant le pluralisme syrien et s’engageant à protéger les minorités et les institutions de l’Etat », il est toujours classé « terroriste » aux Etats-Unis et dans certains pays arabes. Cette classification pose un dilemme juridique quant à sa légitimité de représenter le peuple syrien. Néanmoins, Al-Shara pourrait être amené à jouer un rôle politique axial dans la période de transition, voire à briguer la présidence de la Syrie, mais à condition de maintenir sa politique modérée.

18 mois, mais peut-être plus

Malgré la nomination du chef du gouvernement transitoire, il n’y a pas de cadre définissant les caractéristiques de la prochaine étape. C’est pourquoi le chef de la Coalition nationale syrienne, Hadi Al-Bahra, a appelé à une période de transition d’une durée de 18 mois, pendant laquelle un premier ministre technocratique gérerait les affaires de l’Etat, et où une nouvelle Constitution serait élaborée définissant l’identité et le système politique (parlementaire, présidentiel et mixte) et offrant un « environnement sûr, neutre et calme » pour organiser des élections parlementaires et présidentielle libres et directes auxquelles participeraient toutes les composantes de la société syrienne. Il a précisé qu’il travaille actuellement à la formation d’un organe de transition doté de pleins pouvoirs exécutifs, avec la participation de toutes les forces nationales sans exclusion.

Il a également appelé la Russie et l’envoyé de l’ONU en Syrie, Geir Pedersen, à gérer la phase de transition dans le pays en mettant en oeuvre la résolution 2 254 du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Cette résolution, qui date du 18 décembre 2015, stipule notamment le lancement d’un processus politique global sous la supervision de l’ONU qui mène à une transition politique démocratique dans le pays et la rédaction d’une nouvelle Constitution prévoyant l’établissement d’un Etat civil qui croit en la démocratie libérale et au pluralisme politique, économique et culturel.

Plusieurs scénarios

L’incertitude règne quant à l’avenir de l’Etat syrien à la lumière des multiples défis actuels qui menacent son unité et sa sécurité, notamment la présence militaire étrangère et la propagation des factions armées. Il existe donc plusieurs scénarios. Le premier est celui de gérer avec succès l’étape de transition. Ce scénario peut durer jusqu’à un an et demi, période au cours de laquelle la Syrie serait dirigée par un gouvernement intérimaire, avec en tête Al-Shara ou toute autre personnalité de l’opposition. La mise en oeuvre de ce scénario dépend de la création d’un consensus entre les forces de l’opposition syrienne, les forces de l’ordre et les factions armées soumises à Al-Shara, du rejet de la violence ou de tout acte de vengeance et de l’élaboration d’une Constitution civile. Cependant, ce scénario se heurte à un certain nombre de défis, notamment les positions des puissances régionales et internationales impliquées dans la question syrienne (Turquie, Iran, Russie, France, Etats-Unis), car chacune d’elles s’efforcera de maintenir son armée et son influence politique en Syrie dans la prochaine étape. Si les intérêts de l’un d’entre eux sont lésés, ils pourraient s’efforcer d’entraver la phase de transition, comme dans le cas de la Libye depuis 2019, où les forces internes n’ont réussi ni à unifier les institutions ni à organiser une élection présidentielle en raison des ingérences extérieures.

Un autre scénario est celui de la propagation du chaos sécuritaire et politique malgré la désignation d’un gouvernement intérimaire. En effet, il existe plus de 20 factions armées qui participent à l’opération « Dissuasion de l’agression », composée de quelque 60 000 éléments armés appartenant à diverses autorités islamiques fondamentalistes. Outre la présence de groupes armés dans le sud de la Syrie, dans le gouvernorat de Deraa, ainsi que dans le nord-ouest du pays, où les forces kurdes (FDS) contrôlent 20 % du territoire syrien. Comment persuader toutes ces forces armées de se désarmer, de s’intégrer dans la vie politique et d’établir un Etat civil pluraliste ? En plus des divergences politiques entre les forces de l’opposition syrienne dans le pays et à l’étranger à Moscou, à Riyad, au Caire et à Genève. Comment unifier tous ces courants politiques et créer un front uni qui exprime la société syrienne avec toutes ses composantes (sunnites, alaouites, chiites, kurdes, arabes, druzes) ?

Ces incertitudes peuvent donner lieu à une longue et complexe période de transition avant de réussir à intégrer toutes ces forces politiques et sécuritaires pour façonner un nouveau système de gouvernance dans le pays.

Si le chaos politique et sécuritaire en Syrie persiste, le pays pourrait sombrer dans des combats internes entre diverses factions armées et connaître des affrontements entre les factions islamiques les unes contre les autres ou entre elles et les forces kurdes, comme cela s’est produit dans la ville kurde de Manbij. Cela conduira à une guerre civile entre les différentes composantes, surtout si les factions islamiques imposent à la société syrienne des lois fondamentalistes qui ne respectent pas son pluralisme religieux et culturel.

Ce scénario pourrait se concrétiser par l’adoption d’un système fédéral pour gouverner la Syrie, avec un gouvernement central à Damas, mais en déclarant une région de « Kurdistan syrien » pour les Kurdes au nord-ouest du pays, une région de Druzes au sud dans le gouvernorat de Suwayda et une région pour les Alaouites sur la côte syrienne. Ce scénario garantira les droits des minorités à la lumière de la diversité ethnique, nationale et sectaire du pays. La division pourrait être obtenue en établissant une occupation extérieure de certaines parties de la Syrie. D’ailleurs, Israël a annoncé l’annulation de l’accord de 1974 de désengagement unilatéral avec la Syrie, a occupé la région syrienne de « Jabal Al-Sheikh » et a établi une zone tampon d’environ 235 km de profondeur à l’intérieur de la Syrie. Ou bien, il pourrait continuer à s’étendre et à occuper l’ensemble du plateau du Golan ou les gouvernorats du sud de la Syrie.

La Turquie a également mis en garde contre tout mouvement kurde à la lumière du vide politique et sécuritaire actuel dans le pays et a laissé entendre qu’elle pourrait intervenir militairement à l’intérieur de la Syrie pour empêcher l’établissement d’un Etat kurde indépendant. Ceci ouvre la voie au danger de diviser la Syrie par l’occupation étrangère.

Ainsi, si le renversement du régime de l’ex-président syrien Bachar Al-Assad a nécessité environ 13 ans de révolution syrienne et de sacrifices, l’établissement d’un Etat syrien civil, pluraliste et libéral se heurtera à de nombreux défis et nécessitera des efforts arabes et régionaux, ainsi qu’un soutien international aux Syriens afin que l’Etat ne sombre pas dans le chaos.

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