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Les épisodes du drame syrien

Mercredi, 11 décembre 2024

Avec la chute de Damas commence un nouvel épisode du drame syrien.

L’histoire de la Syrie pendant les huit dernières décennies se divise en trois épisodes. Au cours du premier épisode, la Syrie était percée et convoitée par ses voisins en étant le théâtre de conflits entre eux. Au cours du deuxième épisode, la Syrie s’est débarrassée de l’ingérence étrangère, a protégé son indépendance pour devenir un acteur régional majeur. Et durant le troisième épisode, la phase actuelle, la Syrie se retrouve face à l’inconnu après la chute de Bachar Al-Assad.
En 1964, l’écrivain britannique Patrick Seale a publié un livre intitulé The Struggle for Syria (le conflit pour la Syrie), dans lequel il affirme que la lutte pour la domination de la Syrie est le point le plus important dans la politique arabe de l’après-Seconde Guerre mondiale. Les Etats arabes venaient d’obtenir leur indépendance pour la première fois après la fin de l’ère ottomane. Il y avait l’Iraq et la Jordanie, tandis que la Syrie était encore sous l’autorité directe de la France.


Les Hachémites régnaient sur l’Iraq et la Jordanie et se disputaient la Syrie, une fois au nom de l’unité syrienne, une autre fois au nom de l’unité du Croissant fertile, qui étaient des étapes préliminaires à une unité arabe. Il y a avait également l’Egypte et l’Arabie saoudite qui résistaient à ces projets, craignant l’émergence d’un Etat qui aurait l’hégémonie sur la région.
Les slogans étaient impressionnants mais cachaient en réalité les luttes d’hégémonie et d’influence entre les Etats émergents dans la région. Les Syriens étaient divisés entre unitaires et indépendantistes, entre partisans de la branche hachémite en Iraq, partisans de la branche hachémite en Jordanie et alliés de l’Arabie saoudite et de l’Egypte, partisans de l’indépendance. Les complots étaient nombreux, l’argent versé était généreux et la Syrie était en proie à une instabilité détestable. Les coups d’Etat militaires se succédaient en Syrie, chacun bénéficiant d’un généreux parrain de l’autre côté des frontières, au point qu’une anecdote disait que « celui qui se réveillait plus tôt que les autres prenait le pouvoir à Damas ».
Le jeu s’est de plus en plus compliqué dans les années 1950, avec l’émergence de l’Egypte nassérienne, brandissant les slogans d’une nouvelle forme d’unité arabe anticoloniale et différente de l’unité arabe hachémite, alliée des Britanniques.
A l’intérieur de la Syrie apparaît alors une nouvelle génération d’officiers et de politiciens enthousiastes, se répartissant entre les partisans de l’unité arabe de type baasiste ou nassérien, les anticolonialistes et les communistes inspirés par la propagande de l’Etat soviétique, victorieux du nazisme lors de la Seconde Guerre mondiale. Les Soviétiques sont entrés en scène et les Américains et leurs alliés turcs aussi de sorte que le jeu d’amateurs s’affrontant dans la région s’est transformé en un grand jeu de maîtres jouant pour la domination du monde.
Les divisions entre les Syriens se sont approfondies et multipliées, l’instabilité s’est répandue et gouverner la Syrie est devenu une tâche impossible. Des rumeurs de coup d’Etat par des communistes pro-Moscou ont circulé, en concurrence avec une invasion par la Turquie, alliée de Washington. Les baasistes et les nassériens se sont protégés du communisme et de l’impérialisme en prônant l’unité égypto-syrienne, la première et la dernière unité arabe de l’histoire moderne. Une union très courte de trois années après laquelle les Syriens ont décidé de se séparer de Nasser qui a sécurisé la Syrie et lui a fait traverser sans encombre la double tempête du communisme et de l’impérialisme.
Un deuxième épisode a commencé par l’acquisition d’une certaine stabilité et l’émergence d’un pouvoir puissant, qui a atteint son apogée sous la direction du président Hafez Al-Assad. La Syrie s’est stabilisée, a unifié son front interne et a pu résister aux ingérences et aux complots. Hafez Al-Assad a transformé la Syrie en une arène de conflits et de complots en joueur indépendant, collectionnant les cartes de pression et étendant l’influence de son pays au voisinage. Il a réussi à mettre la main de la Syrie sur d’importantes cartes palestiniennes, tentant sa chance avec la Jordanie et imposant une hégémonie totale sur le Liban. A partir de là, personne ne pouvait entrer dans le Levant arabe sans passer par la porte de Damas.
Hafez Al-Assad est mort en 2000, laissant derrière lui une importante fortune politique qui, si elle avait été bien exploitée et si les bons vents avaient soufflé au lieu des mauvais, aurait permis à ses successeurs de faire des investissements politiques qui auraient maintenu leur pays parmi les acteurs majeurs de la région. Mais l’assassinat du premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005 a contraint la Syrie à sortir du Liban, alors que les Américains occupaient l’Iraq voisin il y avait déjà deux ans.
Le troisième épisode du drame syrien a commencé avec les manifestations sanglantes du Printemps arabe qui ont explosé en 2011 et la Syrie est entrée dans une guerre civile où Turcs, Russes, Iraniens et Américains ont compté sur des milices armées de djihadistes, terroristes, Kurdes, Turkmènes et chiites qui se sont partagés la géographie syrienne, avec une nette suprématie du camp mené par l’Iran et le Hezbollah. Jusqu’aux récents développements. L’affaiblissement du Hezbollah et de l’Iran et la préoccupation de la Russie en Ukraine ont provoqué un déséquilibre. Sans ses principaux soutiens, le régime est tombé.
La roue de l’Histoire continue de tourner en Syrie. Et le conflit autour de la Syrie se poursuit encore, avec des forces du mal qui poursuivront leur jeu. Voilà ce qu’il faut retenir du drame syrien .

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