Le régime syrien s'est effondré en un clin d’œil après l’offensive fulgurante des factions armées syriennes. C’est la première fois que l’équilibre militaire en Syrie change depuis 2016, lorsque les forces gouvernementales, soutenues par la Russie et l’Iran, ont vaincu les factions armées qui contrôlent les zones orientales d’Alep. Cette fois, les factions reprennent les armes après une période de relative accalmie et dans un contexte régional en mutation. « En l’espace d’une semaine seulement, les différentes factions syriennes ont réussi à prendre le contrôle d'Alep et de Hama dans le nord du pays, ainsi que Deraa dans le sud. Elles ont achevé samedi leur avancée en conquérant l'enclave stratégique de Homs, qui relie Damas au nord et la côte méditerranéenne », explique Safinaz Mohamed, experte au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram, avant d’ajouter : « La chute rapide des forces du régime syrien reflète en contrepartie une stratégie militaire préparée avec une grande précision par les factions armées au cours de l'année écoulée, afin d’opérer un changement réel sur le terrain et dans la carte d’influence ».
Les causes du déclin de l’armée syrienne
Selon Mohamed Fawzi, expert au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques, les factions ont trouvé peu de résistance face à l'armée syrienne qui a souffert de crises structurelles, parmi lesquelles le déclin de l'armée syrienne en raison des crises économiques et des sanctions imposées à la Syrie. « Autre raison de la déroute de l'armée nationale syrienne : une défaillance de ses soutiens historiques, notamment de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah qui affrontent tous des difficultés. Il convient de noter aussi que les factions armées possèdent une variété d'armes, qui ont été observées dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, telles que des fusils d'assaut, notamment AK-47 et M16, en plus de mitrailleuses rapides telles que Mitrailleuse Pika et les drones de Shaheen. Cela peut nous expliquer que les factions jouissent d'un soutien extérieur et qu’elles se sont bien préparées pour la bataille il y a longtemps ».
Depuis le cessez-le-feu de 2020, les lignes de front étaient gelées. Les forces gouvernementales contrôlent environ 80 % de la Syrie, tandis que des groupes armés détenaient les régions autour d’Idleb. Il s'agit d'un territoire de quelque 6 000 km2 où cohabitent environ 3 millions de personnes. Maintenant, la situation est devenue totalement différente.
Les principales factions
La colonne vertébrale de l'insurrection actuelle, sur le plan militaire, est le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), précédemment lié à Jabhat Al-Nosra, la branche d'Al-Qaëda en 2011. HTS, allié à des factions dont certaines sont soutenues par la Turquie, a adopté son nouveau nom en janvier 2017. En rupture avec la franchise djihadiste Al-Qaëda, il est essentiellement composé de combattants syriens et dirigé par Abou Mohammad Al-Jolani et se revendique aujourd’hui comme une alternative politique locale. Début 2019, HTS a pris le contrôle de la majorité de la province d’Idleb (nord-ouest) au détriment des autres factions. Et il a créé un gouvernement de salut syrien, qui contrôle l’économie d’Idleb.
La deuxième principale faction est les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) soutenues par les Etats-Unis, incluant quelques tribus arabes, mais principalement contrôlées par le Parti de l’union démocratique (PYD), branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), et principale cible de la Turquie dans le conflit syrien.
« Depuis le début de la crise syrienne en 2011, l'ampleur et la complexité du dossier syrien sont devenues évidentes. Ce qui s'est reflété sur la nature des fractions armées dans un contexte syrien aussi complexe et mouvant. Ces groupes, tout en étant influencés par l'idéologie djihadiste, se différencient ainsi d'Al-Qaëda sur le plan idéologique », explique l’écrivain et analyste syrien Amjad Ismail Agha. Et d’ajouter : « Entre ces groupes, de nombreuses factions ont émergé sous des noms multiples, qui reçoivent du soutien et des renseignements provenant de Turquie, des Etats-Unis comme HTS, les FDS et autres ». L’analyste met en garde contre la menace que représentent ces factions pour la stabilité de la région, l’avenir de l'Etat syrien, ainsi que ses pays voisins comme l’Iraq, la Jordanie et le Liban.
Ce n'est pas tout. Les derniers événements ont montré que Daech n'avait pas encore perdu sa capacité à organiser des attaques presque sanglantes en Syrie. « Les membres de Daech ont mené des attaques contre des centres militaires syriens, voire des bombardements contre des bus transportant des soldats syriens. Ce groupe constitue donc toujours une menace, d’autant plus qu’il fonctionne comme un système de loup solitaire, c’est-à-dire se rapprocher rapidement, mener l’attaque, puis se retirer », assure Agha.
Les raisons d’une réémergence
Quels sont les facteurs qui ont favorisé l’émergence de ce groupe ? « Si les Etats-Unis ont officiellement engagé des opérations militaires contre Daech, des rapports suggèrent que l'organisation terroriste aurait pu être utilisée, à certaines occasions, comme un outil dans le cadre d'opérations spécifiques », explique Agha. Il ajoute que la majorité des prisonniers de Daech se trouvent dans des lieux contrôlés par les forces américaines, et de temps à autre, certains membres de l'organisation sont libérés afin de les réemployer dans des attaques contre les forces gouvernementales syriennes ou contre l'Iran et ses factions opérant dans le pays. Selon beaucoup d’observateurs, l'équipement sophistiqué et l'organisation de ces groupes suggèrent qu'ils bénéficient d'un soutien logistique et financier important, allant bien au-delà d'une simple insurrection. Selon Agha, ces factions n'ont jamais mené d'opérations contre Israël, ni sur le Golan ni en Palestine, mais se sont exclusivement concentrées sur des attaques contre des cibles syriennes. Il ajoute que de nombreux rapports font état d'une présence ukrainienne à Idleb, où des services de renseignement ukrainiens auraient fourni des drones FPV et une formation aux factions armées. Et de conclure que « les données confirment que le processus d'armement de ces groupes a été réalisé grâce aux efforts occidentaux, que ce soit avant ou après 2015. Ces factions ont été instrumentalisées pour établir une zone tampon, que ce soit dans le sud ou dans le centre de la Syrie, notamment dans le gouvernorat de Homs et ses villages frontaliers, avec le Liban, afin de limiter l'influence de Bachar Al-Assad et d'affaiblir son soutien aux groupes de résistance palestinienne ».
Lien court: